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Arts-chipels.fr

Un jour en été. Comme un dernier parfum de la Russie tsariste finissante…

Un jour en été. Comme un dernier parfum de la Russie tsariste finissante…

Entre acidité légère et comédie, entre réalisme et poésie, ces derniers jours de la Russie tsariste campés par Anton Tchekhov au tournant du XXe siècle et par  Ivan Bounine trois décennies plus tard témoignent avec humour d’un changement d’époque en train de s'accomplir.

Si le théâtre de Tchekhov est bien connu et régulièrement mis en scène, c’est un autre éclairage qu’a choisi Patrick Sommier en reprenant cinq nouvelles de Tchekhov et une, postérieure mais dédiée à la même période, d’Ivan Bounine, grand admirateur et exégète de l’écrivain et dramaturge dont il fut l’ami et le biographe, bien qu’il n’ait jamais achevé cette biographie en forme d’essai littéraire. Six nouvelles qui racontent la Russie à un moment de bascule, en choisissant les personnages qui marquent ce monde en train de sombrer tandis qu’un autre est en passe de naître.

© Alejandro Guerrero

© Alejandro Guerrero

Une galerie de portraits emblématiques

Ceux qu’on voit apparaître sur le devant de la scène, c’est tout un peuple de commerçants, de fonctionnaires ou d’étudiants porteurs d’idéaux révolutionnaires face à une aristocratie en déclin sur fond d’abolition du servage. Les nouvelles de Tchekhov choisies pour le spectacle sont issues de l’abondante production de celui qui écrit, pour gagner sa vie, des histoires drôles pour des journaux satiriques. Et il en publie près de 250 en deux ans (1885 et 1886), croquant d’une plume alerte les travers de la société qu’il côtoie. Ce sont deux amis, plus que passablement éméchés, qui, croyant rentrer chez eux et chantant la sérénade pour se faire ouvrir, se retrouvent environnés de volatiles agressifs, ou ce qui ressemble fort à un nouveau riche dont le précepteur français s’entend conter les merveilles de la Sainte Russie et la dégénérescence de la cuisine française jusqu’à ce que la moutarde – au sens propre – ne monte au nez des deux hommes. On y croise une population bigarrée, d’avocats plus préoccupés par leur ventre que par le contenu de leurs plaidoiries, de bourgeois qui ont engrossé la bonne, d’officiers pleins de morgue, d’aristocrates en peine de trouver des paysans pour cultiver la terre et d’amours enfuies.

© Alejandro Guerrero

© Alejandro Guerrero

L’espace de la littérature

Sur le mode de la narration et du dialogue, les saynètes s’enchaînent les unes aux autres pour dresser le tableau haut en couleur des petites turpitudes d’une société en pleine décomposition. Les peintres s’éprennent des jolies aristocrates, le père malgré lui cède au chantage et hérite d’un bébé dont il ne sait que faire, la vodka fait descendre tout cela. Mais on voit aussi, à travers la Maison à mezzanine de Tchekhov (publié dans la Pensée russe en 1896) se dessiner, au-delà de la satire, une critique sociale plus affirmée et des réminiscences de l’expérience vécue de l’écrivain. Le narrateur en est un peintre confronté à une famille d’aristocrates dont le chef de famille a disparu. La mère élève seule ses deux filles et l’aînée, qui se pique de politique locale, s’occupe de bonnes œuvres. Elle s’oppose au narrateur-écrivain sur le sort des paysans pauvres, préconisant de soigner les effets de la pauvreté en ouvrant des dispensaires et des écoles, là où lui voudrait agir sur les causes – le travail, le froid, la faim et la peur qui empêchent les hommes de penser – et partager le travail entre tous… Et lorsque l’été prend fin, avec les Allées sombres d’Ivan Bounine (1937-1944), ce n’est pas seulement de la chaleur et des amours qu’il sonne le glas.

© Alejandro Guerrero

© Alejandro Guerrero

Des comédiens aguerris pour des rôles très diversifiés

Ce qui frappe dans ces tableautins, c’est, au-delà des situations, souvent cocasses, la beauté et l’amour du pays qui émanent de ces courts textes. Sur fond d’allée de bouleaux, les trois comédiens sur scène passent avec maestria, pour les rôles féminins, de la servante à la maîtresse et, pour les hommes, de l’ivrogne à l’homme de loi truffé de gourmandise ou au narrateur épris d’idées sociales avec un plaisir communicatif tandis qu’en passant, par petites touches impressionnistes, se met en place toute une société avec ses hiérarchies, ses passe-droits et son carcan moral. Dans ce milieu en mutation, les cours de savoir-vivre sont de rigueur. « La bonne éducation consiste non pas à ne pas renverser la sauce sur la nappe, mais à ne pas le faire remarquer quand cela arrive à un autre », dit l’un des personnages. Avoir à le dire révèle que le changement est en marche…

Un jour en été

S Six récits d’Anton Tchekhov et Ivan Bounine S Adaptation et mise en scène Patrick Sommier S Traduction Michel Parfenov et Patrick Sommier S Avec Christiane Millet, Hervé Briaux, Laurent Manzoni S Costumes Malaury Flamand S Lumières Juan Cristobal Castillo-Mora S Son Lazare Boghossian S Durée 1h15

À partir du 03 novembre 2022, du mardi au samedi 19h, dimanche 17h30
Relâche les 25/12 et 01/01
Théâtre de Poche Montparnasse - 75 Bd du Montparnasse, 75006 Paris
Rés. : 01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com

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