22 Décembre 2022
Sous le positif affiché du « nouveau » management et du bonheur dans l'entreprise se cache une réalité plus sordide. Vincent Farasse la pointe du doigt dans cette « comédie » grinçante qui a pour thème l’entreprise.
Deux saynètes successives vont mettre en scène deux personnages : un homme et une femme. Chacun à leur manière, sur un plateau nu où leur parole résonne avec une force accrue, ils livrent la vision d’une vie gouvernée par les injonctions du monde contemporain, qu’ils alignent comme graines de chapelet qui roulent sous les doigts. Des phrases préfabriquées dans une formulation « positive » qui masque la pire des aliénations car elle ne dit pas son nom.
Petit présent ordinaire d’un homme sans histoire ou presque
Il semble un peu perdu dans son manteau trop grand, cet homme neutre et effacé jusqu’à l’excès. Seul en scène, avec pour tout accessoire une chaise, il vient nous raconter sa vie de presque rien. Il n’a pas la naïveté affichée du clown qui se fait rouler dans la farine avec une jovialité cocasse. Pourtant il pratique l’antiphrase sans s’en rendre compte. Parce qu’il reprend à son compte les slogans déversés à la chaîne par un nouveau management qui parle de bonheur au travail, de créativité développée par l’entreprise, d’optimisation et de performance. Notre homme, il a suivi les aléas liés à l’évolution de sa société. De technicien il est devenu commercial. Il accepte le changement, le comprend, l’intériorise. Aussi, lorsqu’on le met à l’écart, qu’on ne lui donne plus rien à faire et qu’on interdit à ses collègues de lui parler, il comprend encore. C’est pour l’intérêt commun que son sacrifice sera nécessaire…
Dans les couloirs de l’épanouissement personnel
Le pendant de ce capitalisme « heureux », c’est le bonheur individuel, le contentement de soi, l’accomplissement de soi-même dans un cadre dessiné par d’autres. Le corollaire, c’est que si vous n’êtes pas heureux, la faute vous en revient, que vous n’avez pas su trouver le bon chemin pour être bien. La femme qui entre en peignoir de bain le dit. Si vous mourez, c’est que vous n’avez pas fait ce qu’il fallait, pas consulté le médecin en temps utile, pas fait votre bilan de santé comme vous le devriez… Dans un monde où tout est à sa juste place, où l’on a imaginé pour vous des lieux adaptés à chaque fonction, des espaces conçus pour éviter les incidents, des résidences prévues pour favoriser la convivialité, il ne peut arriver que du bien.
La vision de Vincent Farasse, qui éclaire ce retournement des concepts, est révélatrice. L’assurance tranquille avec laquelle les deux protagonistes prennent à leur compte des diktats imposés est glaçante. Elle fait froid dans le dos. À travers les deux formules du bonheur qui nous sont proposées, sous des dehors positifs et rieurs, le meilleur des mondes du « nouveau » capitalisme a décidément un arrière-goût persistant d’amertume et de tragique.
Un incident
S Écrit et mis en scène par Vincent Farasse (texte publié aux éditions Actes sud-Papiers) S Avec Redjep Mitrovitsa et Eve Gollac S Lumières Nathalie Perrier S Production Cie Azdak Coproduction le Préau, CDN de Vire, La Virgule, Centre transfrontalier de création théâtrale Tourcoing-Mouscron S Avec le soutien de la Drac Haut-de-France, et du Plateau 31, Gentilly S Durée 1h05