7 Décembre 2022
Un plateau recouvert d’une terre ocre, six danseurs et danseuses de dos, pénombre… Pirouette incroyable d’un des danseurs - Med Medelsi - et juste des mouvements de bras des autres… comme des oiseaux. On est envol, on est nageoire, incroyable fluidité, incroyable poésie du mouvement… On est dans un vol d’oies sauvages à l’automne, dans un ban de raies mantas au fond des océans. La beauté du monde sauvage face à la réalité des histoires humaines, histoires d’itinérances, histoires de migrations, histoires de traversées du désert, de traversées de la mer. Migrations, itinérances, les corps bougent, les corps souffrent, le sable vole. Les corps sont confrontés à la poussière rousse qui forme un nuage comme un voile qui obscurcit notre regard et comme une auréole de lumière qui atténue les contours.
Puis soudain des jets d’eau partout aux quatre coins de la scène… Des milliers de gouttes dont le reflet dans la lumière brille comme des étincelles de vie… ou des étoiles d’espoir. L’eau peut être la joie, la vie mais aussi parfois la souffrance et la mort. Lorsque l’on part de chez soi et que l’on abandonne tout ce et ceux que l’on connait pour affronter des épreuves et des éléments plus forts que soi parfois seulement soutenu par l’espoir et la force de vivre
Ce sont de multiples histoires, toutes différentes mais toutes tournées vers un ailleurs porteur d’espoir. Mathilde Rispal, interprète, décrit ce processus de création comme une proposition, un départ à partir d’une émotion pure pour aller vers le mouvement. « L’émotion pure provient généralement d’une situation vécue à laquelle on fait référence, les espaces, les odeurs, les énergies viennent provoquer l’émotion et vont nourrir le mouvement. »
Bouziane Boutledja, chorégraphe de la Cie DANS6T, a réalisé cette création avec des danseurs de France, d’Algérie et du Maroc dont certains ont vécus cette migration à travers un continent et la traversée en mer. Ils et elles sont pour beaucoup autodidactes et la danse, cette danse, est un prolongement, une autre façon de raconter leur « migration », leur déplacement. Cette chorégraphie est bien l’histoire de leurs souffrances et de leurs espoirs. On retrouve des influences très diverses comme les danses sud-africaines tel gumboot, le pantsula, et aussi les danses plus modernes comme le break ou le hip hop. Toutes ces danses ont en commun de mettre en mouvement le corps pour exister, pour crier sa soif de vie. Ce sont des danses de l’espoir qui transcendent les corps et vont chercher des émotions parfois enfouies très loin. Cette énergie vitale dont on se nourrit tous et toutes déborde sur la scène et nous transporte nous aussi très loin.
Le chorégraphe Bouziane Boutledja se revendique lui-même comme fils de migrant algérien, dans une famille de neuf enfants où la vie n’était pas forcément aussi facile que pour d’autres. C’est la danse qui lui a donné les moyens et l’énergie de s’en sortir. IL a monté une association DANS6T pour juste donner des cours à l’origine et transmettre aussi cette énergie aux autres. Et de fil en rencontres, il est devenu ce chorégraphe généreux et pédagogue qui n’oublie jamais de tendre la main et aborde des sujets essentiels avec humilité et talent.
En parallèle, et il faut le souligner, il continue ces actions avec Dans6T, dans les quartiers, les campagnes les plus reculées, pour essaimer la danse, comme une forme de thérapie permettant de s’exprimer, se libérer, aucun sujet n’est exclu, il les aborde tous même ceux un peu délicat parfois, comme la laïcité, la lutte contre la discrimination, l’homophobie, la radicalisation, l’obésité et dans ce spectacle on aborde un autre sujet latent dans cette chorégraphie c’est la conscience de l’Anthropocène et de ses effets sur le réchauffement climatique. Cette terre desséchée avec des arrivées d’eau aléatoires perçues comme une fête ou comme une souffrance nous rappelle notre réalité et cette préoccupation qui va devenir incontournable hélas et que beaucoup voudront encore oublier pour un moment.
Certains on dit que c’était le chemin qui comptait, peut-être, surement, mais l’arrivée lorsqu’elle est aussi magnifiée est vraiment porteuse d’espoir.
Distribution :
Chorégraphie : Bouziane Boutledja
Interprétation : Mathide Rispal, Clara Henry, Alison Benezech, Zineb Boujema, Faouzi Mrani, Redouane Nasry, Med Medelsi /
Assistante chorégraphique : Alison Benezech /
Création musicale : Le Naun /
Lumière : Cyril Leclerc /
Scénographie : Clément Vernerey