15 Décembre 2022
La vieillesse est un sujet tabou, qu’on se doit de cacher dans nos sociétés occidentales. Et si on la regardait en face, à travers le filtre qu’offre le masque ? Une plongée attachante et pleine d’émotion entre burlesque et tragédies intimes.
Un décor quelque peu miteux et qui sent le vieux, le défraîchi, l’abandon. Ceux qui le peuplent ne valent guère mieux que le poisson bleu qui tourne sans fin dans son aquarium. À petits pas précautionneux ils se déplacent, d’un bord à l’autre du plateau, tâtant le terrain avant d’y poser le pied, attentifs aux accidents potentiels du parcours. Ils sont vieux, très vieux, très très vieux, ceux qu’on a relégués dans cet établissement spécialisé où on les range quand ils ont fait leur temps et que dehors on ne sait plus quoi faire d’eux. Leur visage n’est plus que le demi-masque gris cendre, raviné de rides, qui leur couvre la face.
Une galerie de personnages
Ils ont en commun ce tremblotement de tous leurs gestes, cette manière particulière de prendre la mesure de l’espace avant de s’aventurer, les précautions qu’ils prennent avant de s’asseoir. Leur univers gestuel, il est en permanence à la lisière de la chute. Pourtant ils sont différents. Il y a la vieille belle, la mamie coquette qui, telle une reine sur son déambulateur, assortit ses lunettes à sa tenue et cherche encore à séduire. Il y a le couple dont Madame, en fauteuil roulant, martyrise Monsieur, le vieux couple fusionnel qui clope en cachette, la mémé sans cesse flanquée d’une plante verte ou l’accordéoniste de service. Il y a enfin le nouvel arrivé, un peu moins décrépit que les autres, qui aimerait bien prendre la tangente. Ils usent le temps à jouer aux cartes ou à se plier aux activités d’« aérobic » et de devinettes qui leur sont proposées. Ils sont drôles et touchants, caricature d’humanité car ils nous ressemblent, avec le poids des ans en plus. Ils sont nés du travail effectué par la troupe lors des résidences en EHPAD, du contact des actrices et acteurs avec cette population que la vie moderne a chassé des maisons pour les parquer ensemble en raison de l’incapacité de les assumer liée à l’éclatement du groupe familial.
Un travail d’acteur qui emprunte au mime et à la commedia dell’arte
Le groupe In Itinere rassemble un collectif international d’actrices et d’acteurs issus de l’école Jacques Lecocq. Leur langage théâtral est corporel avant d’être textuel. Et, de fait, il y a peu de paroles intelligibles tout au long du spectacle. Le plus souvent ce ne sont que des grommelots nébuleux et obscurs qui s’échappent, ponctués d’embryons de mots. Parce que les petites vieilles et les petits vieux qui sont montrés ont, dans bien des cas, perdu les mots, qu’ils ne sont plus capables de faire le tri pour organiser, parce que la nécessité de communiquer par le langage n’est plus nécessaire ou s’échappe d’eux. Parce que l’élémentarité de leur vie – manger, dormir, prendre leurs médicaments – ne nécessite plus l’usage de la langue. Chez les soignants aussi, qui n’ont pour masque que les protections prophylactiques qu’on connaît, la langue s’est fait la malle quand elle ne s’applique pas aux nécessités quotidiennes que sont les injonctions faites aux « pensionnaires ». On reconnaît de l’anglais, de l’espagnol, voire du turc, sans comprendre un traître mot tant le débit ou l’intonation rendent ces langues presque méconnaissables. Ce sont les corps qui parlent. Et chez les vieillards, des corps souffrants.
Les vieux et les autres
Pourtant, sous le masque de la vieillesse, ils ont encore les mêmes appétences. L’un des petits vieux reluque, fasciné, les dessous d’un membre féminin du personnel soignant. La vieille précieuse attachée à ce qu’on lui souhaite son anniversaire cherche encore à séduire. On retrouve les « modernes », accrochés à leur portable et les anciens, qui ont la culture du transistor et dansent encore dans leur tête faute de pouvoir tournoyer. La pièce révèle avec humour une société en miniature qui ressemble à la nôtre, où deux vieux amants inséparables se racontent encore l’histoire de l’amour fou, main dans la main et yeux dans les yeux.
Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Quand le masque dévoile des abîmes…
Ils sont cocasses, avec leurs petites manies, leurs obsessions, leurs tics et leurs maladresses, mais en même temps infiniment touchants. La tendresse affleure à chaque instant dans cette galerie de portraits de vies qui se terminent, où un nouvel arrivant remplace chaque fois celui qui est parti. Sous la légèreté et le rire se dissimulent des drames intérieurs, silencieux, que le spectacle révèle. Ceux du manque d’amour ou de l’amour perdu. À sa manière poétique et décalée, le spectacle se fait l’écho des difficultés du grand âge. Et quand des vieux amants l’un s’est éclipsé et que l’autre demeure, qu’il erre et voudrait en finir, on touche aux débats sur la fin de vie qui agitent l’actualité.
Pourquoi les vieux qui n’ont rien à faire traversent-ils au feu rouge ?
S Une création In Itinere Collectif S Mise en scène Thylda Barès S Avec Victor Barrère (France), Andrea Boeryd (Suède), Paul Colom (France), Elisabeth Margereson (Angleterre), Ulima Ortiz (Colombie), Sencan Oytun Tokuç (Turquie) S Lumière et régie générale Clémentine Pradier S Production Compagnie Graines de soleil S Avec le soutien de La ville de Merville-Franceville / Le Département du Calvados / La Région Normandie / L’Étincelle -Théâtre de la ville de Rouen / Théâtre de Fontenay-le-Fleury / La Petite Pierre - Gers / Le CCOUAC -Meuse / Théâtre de l’Unité / Odia Normandie / La CFPPA du Calvados avec le concours de la CNSA /Culture Santé / Hôpital Bretonneau (Paris) / EHPAD Topaze - Dozulé / EHPAD La Fontaine - Marly-le-Roi / Le Marche Pied S Résidences depuis 2019 à l’EPHAD Topaze-Dozulé, à l’Hôpital Bretonneau, mais aussi dans des établissements culturels et des théâtres dans la région parisienne (Essonne, Yvelines, Hauts-de-Seine), en Normandie (Rouen, Caen, Saint-Pair-sur-Manche, Flers, Douvres-la-Délivrande) ou en Dordogne (Périgueux), Doubs (Audincourt), Gers (Jegun) S Représentations à partir de juin 2021 à travers toute la France, mais aussi au Portugal et à Londres. S 2 versions du spectacle : en intérieur et en extérieur S Tout public à partir de 6 ans
Du 14 au 18 décembre 2022. Mercredi à samedi | 19h.Dimanche | 15h
Lavoir Moderne Parisien - 35 rue Léon Paris XVIIIe
TOURNÉE EN COURS
Du 14 au 18 Décembre 2022 Lavoir Moderne Parisien - Paris
Du 7 au 11 Février 2023 MIM Festival - Montpellier - Hérault
Du 10 au 21 mai 2023 Fringe Festival - Istanbul - Turquie
Le 28 avril 2023 Duclair - Seine Maritime
Juillet 2023 Festival Off d’Avignon