9 Décembre 2022
C’est avec un fort parfum d’enfance mâtiné de références au cinéma muet qu’on ressort de ce poétique et délicieux spectacle à la fois nostalgique et drôle.
Il a un air de p’tit jeune égaré dans la grande cité mangeuse d’hommes, le look survêt’ et les mains dans les poches tandis que les avions décollent et que les voitures passent sans discontinuer. Décalé. Isolé, tandis que lui reviennent, sur un écran de fortune composé de toiles flottantes, des images d’enfance, de sa mère, dans des paysages naturels, des réminiscences de draps accrochés et de petits gestes quotidiens dont on se souvient lorsqu’on en est privé. Et il n’est pas si loin de l’enfance, celui qui se raccroche à son doudou orange, s’en frotte le visage et le caresse pour se rassurer tandis qu’il traverse la mer pour être débarqué sans ambages, vomi sur le devant de la scène pour y expérimenter à ses risques et périls les innombrables embûches de la grande ville.
Un solitaire dans un monde hostile
Comme chez Buster Keaton – et la référence au cinéma muet est permanente dans ce spectacle où les taches, trous et coulures des vieux films qui abîment l’image apparaissent sur les écrans qui découpent l’espace comme un leitmotiv pour dire cette mémoire passée par l’usure du temps –, le personnage est confronté à un monde hostile où les objets ne semblent placés là que pour constituer des obstacles. Notre héros malgré lui se débat ici avec une poutre étrangement douée de vie et qui semble toujours vouloir se mettre en travers. Elle monte, descend, se relève ou s’abaisse sans, évidemment, qu’Hektor y soit pour quelque chose, créant des évitements nécessaires, des accidents possibles, qu’on guette en bons habitués du cinéma muet. Et lorsqu’on le voit s’emparer d’un grand drap orange, on pense immanquablement à la séquence des Temps modernes ou Charlie Chaplin, cherchant à rattraper un camion pour lui rendre le foulard rouge qui est tombé, provoque une manifestation qui se constitue derrière lui.
Entre clownerie et acrobatie
Hektor naît en 2016, lors de la création du Terabak de Kyiv, cabaret de Stéphane Ricordel avec les musiciennes ukrainiennes des Dakh Daughters. Il se développe avec la Fuite avant de connaître ces nouvelles « aventures ». À la croisée de l’art du clown et de l’acrobatie, la performance de Matias Pilet ne cesse de recourir à ces disciplines circassiennes tout en les détournant, en les outrepassant. C’est ainsi qu’avec une précision millimétrée, des pieds disparaissent pour apparaître bien plus loin que la limite du corps ne l’autorise, que des doigts s’enfoncent pour émerger, dans le même temps, à l’autre bout du plateau, ou que le doudou, doué de vie propre devient oiseau, serpent, danseur. Et le jeu dangereux avec le risque ne manque pas tant cette poutre semble décidée à contrarier le personnage. Point n’est besoin de parole dans ce monde où la face lunaire d'Hektor s’essaie à survivre au milieu des dangers de toute sorte qui érigent leurs barrières sans relâche. L'ennemi c'est le dehors, qui n'est qu'hostilité et indifférence, et si l'on rit, ce n'est pas pour se moquer mais parce qu'on mesure la distance entre les aspirations du personnage, qui sont aussi nos rêves, et la réalité.
Côté public, on s’amuse beaucoup, parfois on anticipe les gags, et parfois on se trompe. Mais en même temps une poésie douce, tendre comme une chair d’enfant, émane du spectacle. Elle s'ancre dans notre mémoire, celle qu’on retrouve en nous et qui emprunte les voies buissonnières du plaisir et de l’émotion.
Les Aventures d’Hektor
S Metteurs en scène Olivier Meyrou & Stéphane Ricordel S Interprète Matias Pilet S Création magie Arthur Chavaudret S Manipulateurs Arthur Chavaudret / Pierre-Marie Lazaroo S Comédienne (court-métrage) Shaghayegh Beheshti S Création scénographique avec Stéphane Ricordel, régisseur plateau, interprète barrière Salvatore Stara S Création son Sébastien Savine S Création lumière Elsa Revol S Régisseuse lumière Sofia Bassim S Régisseur son/vidéo Auguste Diaz S Régisseurs généraux Simon André & Karim Smaili S Chargée de production & diffusion Lyévine-Marie Chevalier S Production déléguée Le Monfort Théâtre – Paris S Avec le soutien de DGCA, DRAC Île-de-France « Aide à la création 2019 », Le Canal - théâtre du Pays de Redon, scène conventionnée pour le théâtre, MA scène nationale - Pays de Montbéliard S Coproductions La Brèche - Pôle National Cirque de Normandie / Cherbourg-en-Cotentin, MC2 : Grenoble, Théâtre de la Ville - Paris S Remerciements Jan Naets, Léo Ricordel, Daniel Bevan, Nicolas Lavergne, Christele Lefebvre, Audrey Walbott Avant-premières en mars 2020, MA scène nationale – Montbéliard S Premières en octobre 2020, Le Monfort théâtre-Paris, Cirque-Théâtre d’Elbeuf S Présentation en décembre aux professionnels, MC2 : Grenoble (représentations initialement prévues du 8 au 17 décembre) S Durée environ 1h10 S À partir de 6 ans, spectacle en salle
Du 8 au 17 décembre 2022 à 19h30, dimanche 11 à 15h
Le Monfort - 106 rue Brancion, 75015 Paris