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Arts-chipels.fr

Politichien. Petit manuel pratique sur l’art et la manière d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir.

Politichien. Petit manuel pratique sur l’art et la manière d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir.

Cette adaptation savoureuse du Bréviaire du politicien du cardinal Jules Mazarin – réjouissante si l’on aime l’humour noir – a, dans le monde d’aujourd’hui, d’étranges résonnances. N’y a-t-il donc rien de nouveau sous le soleil dans l’exercice du pouvoir depuis le siècle de Louis XIV ?

Politichien. « Homme politique jugé combinard et plus souvent motivé par son intérêt personnel que par celui de la nation », ainsi le définit le dictionnaire. Or c’est bien le sujet des réflexions éclatées du cardinal Mazarin, regroupées et publiées de manière posthume en 1684, l’honorable cardinal ayant quitté ce monde en 1661. Un petit guide pratique sur l’art d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir qui fait assez froid dans le dos tant son pragmatisme est sans foi ni loi et trouve sa justification dans le simple calcul politique et l’ambition personnelle.

Un Bréviaire du XVIIe siècle dans le monde d’aujourd’hui

Lorsque spectacle commence, seule une assistante est présente en scène. Elle s’ennuie, esquisse des petites moues, comme poursuivant des pensées que nous ne connaîtrons pas. C’est, sorti de sa douche, que nous saisirons le « grand » homme. Peu à peu, au fil de son discours, nous assistons à sa métamorphose. Le complet veston et la cravate qu’il finira par arborer nous installent dans le monde d’aujourd’hui, renvoyant dos à dos un texte qui émane du XVIIe siècle et sa prise en compte par l’un de nos contemporains qui le récite comme une antienne. Notre imaginaire, face à ce politique si proche de nous, lui substitue sans cesse des incarnations contemporaines d’hommes politiques et, au jeu des noms, la liste est longue…

© Camille Millerand

© Camille Millerand

Gardez-vous de vos amis…

La liste des conseils du malin cardinal qui réussit, à force d’intrigues, de manigances, de bons coups joués – le jeu faisait partie de ses péchés mignons – et de courbettes, à devenir, lui, de basse extraction et d’origine sociale modeste, Italien de surcroît, l’homme le plus puissant et la première fortune de France de son temps, est édifiante. Entre les réflexions physiognomoniques et les analyses de comportement destinées à évaluer l’apparence de chacun, qui va de la méfiance envers les hommes de petite taille ou des trop soucieux de leur paraître ou de leur bien-vivre aux conseils pour se composer un visage affable mais distant qui ne laisse passer que les sentiments qu’on veut bien simuler, on prend la mesure de la rouerie du personnage, frotté au commerce des autres. L’habile à la flatterie donne les conseils nécessaires pour se prémunir de ses semblables et évaluer avec pertinence ceux qu’il rencontre. Se profile derrière lui le jésuite manipulateur qui feint d’attribuer ses réussites à autrui, se montre l’ami de tout le monde et flatte le peuple en cultivant ses « bas » instincts. Quant à la loi du silence et de la dissimulation qu’il s’impose, elle touche tous ceux qui l’entourent, y compris les plus proches.

© Camille Millerand

© Camille Millerand

Un « bréviaire » qui passe par les codes du cirque

Lorsqu’il apparaît sur scène, l’homme politique s’approprie un espace circulaire, qui a la forme emblématique de la piste de cirque. Dans ce cercle magique où il se métamorphose, il est protégé des puissances maléfiques qui ne peuvent franchir la frontière de ce rond de craie qui l’isole. C’est dans cet espace qu’il construit son personnage, en se costumant d’abord, en se faisant recouvrir le visage de blanc sur lequel sont dessinés au crayon noir les sourcils dissymétriques, caractéristiques du clown blanc, renvoyant à la tradition circassienne où le clown blanc est l’être « noble », celui qui sait parler et personnifie le pouvoir qu’il exerce tyranniquement sur le malheureux auguste, figuration populaire qui lui sert de souffre-douleur.

Celle qui s’active dans le silence

L’auguste du clown blanc, ici, n’est pas grimée. C’est l’assistante impavide, ce qui ne l’empêche pas parfois d’oublier où elle se trouve pour esquisser une grimace ou se laisser aller à la rêverie, la personnification du petit peuple et du tout-un-chacun. Elle réagit au claquement de doigts impatients de celui qu’elle sert, l’habille, le grime, lui apporte boisson et nourriture sans jamais franchir le cercle magique. Aux inflexions successives et aux variations de tons du politique à l’incessant monologue, elle oppose le mutisme et une apparente impassibilité. Elle s’empresse de lui approcher sa veste ? Il se place de l’autre côté du cercle et tend les bras, l’obligeant à se déplacer, comme pour affirmer son emprise. Leur relation offre un miroir scénique au contenu du texte. Et, lorsque la belle mécanique des conseils politiques s’enraye, qu’elle tourne sur elle-même jusqu’à se vider comme elle vide celui qui la porte, elle sortira de sa passivité.

© Camille Millerand

© Camille Millerand

Le spectacle clownesque du monde politique

C’est avec beaucoup de finesse que François Jenny réussit, plus d’une heure durant, par le presque seul pouvoir du verbe et de son énonciation, à rendre variée et passionnante cette plongée dans le monde de l’arrivisme cynique et de la dissimulation érigée en système de gouvernement. Marine Barbarit, à travers son comportement mutique, parvient à rendre ses silences éloquents. Et ce traité sans l’être de gouvernement inspire au spectateur une réaction qui oscille entre le rire – jaune – et l’effroi. Parce que le spectacle politique qu’il nous est donné de voir aujourd’hui, de quelque bord politique que ce soit, ne diffère pas foncièrement du numéro de clowns auquel se livrent les protagonistes sur la scène du théâtre...

Politichien

S Mise en scène François Jenny S Adaptation François Jenny, d’après le Bréviaire des Politiciens de Jules Mazarin S Traduction du latin Florence Dupont S Collaboration artistique Vincent Kuentz S Lumières Luc Jenny S Décors Samuel Misslen S Conseil artistique & Costumes Barbara Wagner S Avec Marine Barbarit & François Jenny S Durée 1h10 S Production COME PROD

Du 2 au 26 novembre 2022, du mercredi au samedi à 19h

Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris

www.lesdechargeurs.fr 01 42 36 00 50

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