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Arts-chipels.fr

Les Couleurs de l’air. Un exorcisme sur les berges de la mémoire.

© Lionel Nakache

© Lionel Nakache

Igor Mendjisky, avec cet exercice de style autour de la figure du Père où il se met en scène lui-même, se livre à un jeu passionnant où le fantasme d’une saga familiale le dispute à la réalité – comme au théâtre…

Les accessoires sont disposés sur la scène, à vue, les costumes, accrochés sur des ceintres à une penderie mobile. Deux caméras trônent de part et d’autre du plateau. Au centre, un lit d’hôpital. Parmi les deux personnages qui apparaissent, l’un donne la couleur : il parle russe. L’autre, c’est Igor Mendjisky. Ils se font face dans un jeu de miroirs où parler de l’autre, l’absent, revient à parler de soi et vice-versa. Au fond, une paroi translucide dessine en bleu les circonvolutions d’une peinture appliquée à la brosse. Un homme est mort. C’était le père de l’acteur-auteur-metteur en scène, un peintre renommé, et les messages de condoléances que dépouille la famille le disputent aux réclamations des créanciers à qui il a vendu des toiles et dessins de maîtres – de Modigliani, de Picasso, etc. – qu’il ne possédait pas. Réunie autour de la table, la famille ouvre les lettres en même temps que vient le grand déballage sur sa vie dont chacun ne connaît qu’une petite partie et découvre, à l’occasion de sa mort, des pans entiers d’une existence qui ne cessait de se dérober.

© Lionel Nakache

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Règlements de compte posthumes

Igor Mendjiski a de la colère vis-à-vis de ce père qui n’a cessé de les bercer d’illusions en leur jetant en permanence – à eux comme à tous ceux qu’il a abusés – de la poudre aux yeux. Une vie de faste avec des moyens qu’il n’avait pas. De belles voitures, des cadeaux fastueux, des voyages, une superbe propriété. Mais une personnalité insaisissable, une présence évanescente, absente, des origines juives semi-véridiques, et une tripotée de dettes à la mesure du personnage. On gratte les fonds de tiroirs, les tableaux mis de côté par son ultime épouse, l’argent qu’on a retrouvé planqué, mais c’est une goutte d’eau dans l’océan du désastre. L’unique solution, c’est le refus de l’héritage, un acte qui dépasse très largement son seul aspect financier car il revient à nier une existence.

© Lionel Nakache

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La mise en scène d’un psychodrame familial

La mort du père, Igor Mendjisky choisit de la mettre en scène pour l’exorciser. Pas seulement sous forme théâtrale, mais à travers un film sur la saga familiale, dont le tournage vient s’introduire dans l’espace théâtral, pour permettre une plongée dans le passé qui le fera résonner dans le présent. Le cinéma est devenu un théâtre qui se joue au théâtre. Igor et tous les membres de sa famille présents à la lecture du testament en seront à la fois les acteurs et les personnages, dirigés à la baguette par leur démiurge-partie-prenante de fils ou de frère, qui impose sa vision. Ce qui nous est donné à voir dans ce théâtre cinématographique qui se prend pour objet, c’est la vision d’Igor. D’ailleurs il dirige les personnages, les place sur la scène, corrige leurs attitudes et n’admet pas qu’ils se rebellent. Quant au spectateur, il s’introduit peu à peu dans le fantasme du maître des lieux pour naviguer à la frange entre la réalité et l’imaginaire.

© Lionel Nakache

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Un voyage onirique pour des retrouvailles

Peu à peu, les détails s’accumulent. Mendjisky était-il un faussaire en plus d’avoir été un escroc ? Le mort s’invite au banquet, on parcourt le temps en zigzag, les fantômes des anciens apparaissent pour évoquer l’histoire d’avant. À mesure qu’on remonte dans le temps, Igor Mendjisky revient à son enfance, à ce désir du Père qu’il n’a pas pu combler, aux figures tutélaires, protectrices, qui ont émaillé ses verts paradis. Dans un flash-back qui va crescendo, les souvenirs se mêlent et l’imaginaire s’en mêle. La réalité vole en éclats et Igor tend et tord ses mains vers cet ailleurs où il prend sa source qui est aussi celui où il se ressource. Et, même si l’improvisation a sa part dans le processus de création, c’est au bout du compte la vision d’un seul homme qui se dégage. Comme un parfum étrange et séduisant, un fond aux couleurs changeantes, mobiles comme le parcours poétique et mystérieux de la mémoire en eaux profondes…

© Lionel Nakache

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Les Couleurs de l’air

S Écriture et mise en scène Igor Mendjisky S Dramaturgie Charlotte Farcet S Avec Raphaèle Bouchard en alternance avec Alexandrine Serre, Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Hortense Monsaingeon, Guillaume Marquet, Juliette Poissonnier, Esther Van den Driessche, Jean-Paul Wenzel, Yuriy Zavalnyouk S Lumières Stéphane Deschamps S Musique Raphaël Charpentier S Costumes May Katrem et Sandrine Gimenez S Vidéo et son Yannick Donet S Scénographie Claire Massard et Igor Mendjisky S Assistant à la mise en scène Arthur Guillot
S Construction des décors Jean-Luc Malavasi S Production Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord & Moya Krysa S Coproduction Le Grand T, Théâtre national de Loire-Atlantique ; L’Azimut - Antony/Châtenay-Malabry ; Les Célestins, Théâtre de Lyon ; Théâtre et cinémas de Saint Maur ; Théâtre Romain Rolland Villejuif ; ACTIF Association Culturelle de Théâtres en Ile de France ; EMC – Saint-Michel-sur-Orge ; Cercle des Partenaires des Bouffes du Nord S Soutien Adami Déclencheur et Artcena. S Action soutenue par la Région Île-de-France S Ce texte est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA S Le texte Les Couleurs de l'air d'Igor Mendjisky est publié chez Actes Sud-Papiers S Durée 3 heures avec entracte.

Du 3 novembre 2022 au 19 novembre 2022, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h
Théâtre des Bouffes du Nord – 37 bis, boulevard de La Chapelle – 750110 Paris

www.bouffesdunord.com 01 46 07 34 50

TOURNÉE

26 novembre 2022 – Théâtre de Saint-Maur

11 au 15 janvier 2023 – Théâtre des Célestins, Lyon

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