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Arts-chipels.fr

Le Voyage de Molière. Quand l'hommage au maître incontesté de la comédie rencontre l'amour du théâtre.

Le Voyage de Molière. Quand l'hommage au maître incontesté de la comédie rencontre l'amour du théâtre.

Cette excursion en terres méridionales sur les traces de l’Illustre Théâtre au moment de son errance dans le Sud de la France offre un voyage rafraîchissant aux allures de fantaisie poquelinesque très enlevée.

Sur la scène, un plateau de théâtre tournant, équipé de deux roues, figure le voyage des comédiens. On montera et démontera au fil des épisodes le rideau de théâtre, et on chargera sur le plateau tous les accessoires de cette traversée pleine d’humour et de bonne humeur. Mais lorsque l’histoire commence, nous ne sommes pas à l’époque où Poquelin, rebaptisé Molière, et l’Illustre Théâtre quittent Paris pour un périple qui durera douze ans, poussés par un endettement qui a déjà valu à Molière un emprisonnement, mais à l'époque contemporaine. Entre en scène un jeune homme d’aujourd’hui, Léo. Étudiant en médecine, il est passionné de théâtre et vient passer une audition. Celui qui le reçoit et lui donne la réplique, c’est Charles, comme Charles Dufresne, l’un des comédiens de la troupe de Molière. Léo a le trac. Il fait un malaise… et se réveille en 1656, au moment où l’Illustre théâtre, privé de la protection du prince de Conti, devenu dévot, se voir refuser le droit de se produire à Béziers.

© Stéphane Audran

© Stéphane Audran

Une intrigue cousue de fils multicolores

C’est dans le balancement entre passé et présent que s’effectue ce voyage des comédiens. Pour obtenir l’autorisation de jouer, l’Illustre Théâtre décide d’envoyer à l’évêque de Béziers, pour le séduire, ses deux comédiennes phares, Madeleine Béjart et Marquise Du Parc – qui sera plus tard la maîtresse de Racine. L’atmosphère est au marivaudage avant la lettre. Molière fait feu de tout bois et René Berthelot, dit Du Parc – qui se verra affublé du pseudonyme de Gros-René à partir du Dépit amoureux que Molière présente finalement à Béziers en décembre 1956 avant de le jouer à Paris – porte des cornes. Léo débarque avec son bagage d’aujourd’hui, ses chansons culte auxquelles il initie la troupe dans de cocasses séquences. Engagé par l’Illustre Théâtre, il s’éprend d’Armande Béjart, bien qu’il tente de s’en défendre car il sait qu’elle sera l’épouse de Molière quelques années plus tard. Et lorsque Molière a une panne de plume pour trouver le bon vers, c’est en passionné contemporain qui connaît l’œuvre du maître sur le bout des doigts qu’il lui souffle la suite…

© Stéphane Audran

© Stéphane Audran

Une fable qui emmêle la biographie tout en éclairant l’œuvre

Aux entorses à la Grande Histoire se mêlent des rappels historiques qui bousculent la chronologie. La charrette que poussent les comédiens itinérants, qui fait référence au théâtre de tréteaux, est plus mythique que réelle et le texte est, tout du long, émaillé de citations qu’on saisit au passage sans avoir le temps de les identifier, mais qu'on devine à coup sûr extraites de pièces postérieures à 1656 ou empruntant au théâtre du temps de Molière. Elles viennent dire que l'auteur-acteur, dans ses expériences successives accumulées, a puisé ses sources dans l’observation de la société à laquelle il se frotte. Ses ennemis seront ceux qu’il brocardera pièce après pièce, les médecins, les dévots, les religieux d’opérette, les bourgeois.

© Stéphane Audran

© Stéphane Audran

Au pays du théâtre dans le théâtre

C’est avec une représentation que commence, ou presque, le spectacle, avec une autre qu’elle s’achève, entre la Jalousie du Barbouillé (dont on ignore quand, exactement, elle fut créée pour la première fois), inspirée d’un des contes du Décaméron de Boccace, et le Dépit amoureux, la première pièce en vers de Molière. Dans la Jalousie du barbouillé, on voit apparaître des personnages masqués, référence directe à la commedia dell’arte. Arlequin, Pantalon et le Docteur, entre autres, nous entraînent, dans une gestuelle et un parler mâtiné d’accents provinciaux volontairement outranciers, au pays des excès exigés par la farce. Et à la fin, les comédiens non masqués fermeront le bal avec le salut final du Dépit amoureux, comme en une boucle qui se referme autour d’un thème qui traverse la pièce de bout en bout. Un thème mené tambour battant par des comédiens survoltés qui sont aussi musiciens et chanteurs, avec une drôlerie communicative, alternant séquences sentimentales, évocations quotidiennes et extraits de spectacles.

© Stéphane Audran

© Stéphane Audran

Une déclaration d’amour passionnée

Se dessine le récit d’une passion qui traverse la pièce : celle du théâtre. Elle s’exprime lorsque Madeleine Béjart excuse les passades moliéresques en les justifiant par l’amour exclusif qu’il voue au théâtre. Elle s’épanouit lorsque Léo évoque avec Charles – Dufresne ou pas – ce qui le motive à devenir comédien ou quand il dialogue avec Molière en train d’écrire sa première pièce versifiée. Ce même fil de l’omniprésence du théâtre parcourt la pièce de bout en bout et s’inscrit dans sa forme même, l’enfermant dans un ultime écrin : celui de l’illusion qui fait surgir les personnages du passé à travers l’obsession de Léo pour le théâtre, comme une fleur sortie de nulle part qui apparaît magiquement entre ses doigts. Car au burlesque, à la farce et à la comédie s’ajoute une poésie délicate qui nous touche au milieu des rires. C’est dans cette alliance que réside le charme de la pièce et la jubilation qu’elle procure. Un plaisir qui a nom théâtre.

© Stéphane Audran

© Stéphane Audran

Le Voyage de Molière

S Texte Pierre-Olivier Scotto et Jean-Philippe Daguerre S Mise en scène Jean-Philippe Daguerre S Avec Grégoire Bourbier ou François Raffenaud (Charles Dufresne, Charles le metteur en scène et le Gueux), Stéphane Dauch (Molière), Violette Erhart (Toinette), Mathilde Hennekine (Marquise Duparc), Charlotte Matzneff ou Floriane Vincent (Madeleine Béjart), Teddy Melis ou Michaël Giorno-Cohen (Gros René et L’Évêque), Geoffrey Palisse (Léo) et Charlotte Ruby ou Guilia De Sia (Armande Béjart et Emma) S Musique Petr Ruzicka S Costumes Corinne Rossi S Décors Antoine Milian S Lumières Moïse Hill S Production Théâtre Lucernaire S Coproduction Le Grenier De Babouchka, ZD Productions et Atelier Théâtre Actuel S Remerciements Ville de Herbiers, Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison, AC Théâtre Val d’Europe de Serris

Du 22 octobre 2022 au 7 janvier 2023, à 19h du mardi au samedi, le dimanche à 16h

Au Lucernaire - 53 Rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris.

Réservations : 01 45 44 57 34 et sur www.lucernaire.fr 

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