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Arts-chipels.fr

Le Cri d’Antigone. Un protest song contemporain pour une voix mythique.

© Vincent Beaume

© Vincent Beaume

Réinterroger une nouvelle fois l’histoire d’Antigone, c’est non seulement la regarder à l’aune de la fascination qu’elle a exercée au fil des siècles, mais aussi s’interroger sur la manière dont les enjeux de ses actes résonnent aujourd’hui. Loïc Guénin y apporte une réponse musicale, nourrie des réflexions contemporaines.

Sur le plateau dépouillé, seule une forme ovoïde recouverte de feuilles mortes accompagne le groupe d’instruments posés là, où des instruments de musique « traditionnels » – guitares, accordéon, violon, contrebasse, percussions – voisinent avec de plus insolites tels que feuilles sèches, verres à demi remplis et petits blocs de polystyrène. Ici, Créon, roi de Thèbes, n’apparaîtra pas, pas plus qu’Ismène, la sœur d’Antigone. Le propos, c’est le personnage d’Antigone, et plus particulièrement ce qui se vit dans sa tête et va l’amener à entrer en révolte contre la décision de Créon qu’elle juge inique.

Le destin malheureux d’Antigone

Antigone et Ismène sont les deux filles d’Œdipe et de Jocaste. Nées de cette union incestueuse, elles ont pour frères Étéocle et Polynice. À la mort de leur père, les deux hommes décident de se partager le pouvoir en gouvernant en alternance un an chacun. Mais Étéocle revient sur cette décision et une guerre s’ensuit, au cours de laquelle les deux frères sont tués. Créon, le frère de Jocaste, hérite du pouvoir et décide, au motif de trahison, de refuser à Polynice le droit d’être enterré. Antigone passe outre et, découverte, est condamnée par Créon à être emmurée vivante dans une grotte. Pour priver ce dernier de sa « punition », Antigone se pend. Mais Créon, par son refus, a bafoué un droit sacré et offensé les dieux. Son fils Hémon, amoureux d’Antigone, et son épouse Eurydice se suicident de chagrin.

© Patrick Gherdoussi

© Patrick Gherdoussi

Une fascination à la mesure de toutes les interprétations possibles

Derrière Sophocle, Hölderlin, Honegger, Cocteau, Anouilh ou Brecht se sont intéressé aux actes d’Antigone tout comme, plus près de nous, le poète et psychanalyste Henry Bauchau ou la philosophe Camille Froidevaux. Parce que la prise de position et les choix d’Antigone sont sujets à de multiples interprétations qui peuvent aller dans des directions opposées ; qu’on peut y voir un acte de rébellion absolue contre l’autorité ou au contraire le signe d’une obéissance aveugle à une tradition ; qu’on peut l’imaginer comme le simple instrument d’un destin déjà écrit par d’autres, ces Dieux qui poursuivent Œdipe et sa descendance, ou montrer, à la suite de Brecht, que l’homme forge son propre destin.

© Patrick Gherdoussi

© Patrick Gherdoussi

Antigone, une femme qui crie

Le propos de Loïc Guénin s’enracine dans une considération particulière, en phase avec l’esprit du temps : toutes les versions d’Antigone ont été écrites par des hommes. Au XXIe siècle, verrait-on encore cette histoire de la même manière ? Que représente Antigone, plus particulièrement dans une société où les femmes se dressent pour réclamer une égalité véritable de droits et non des déclarations de papier ? Et qu’en pensent les femmes ? Alors il interroge. Une metteuse en scène, Anne Montfort, par ailleurs responsable, au Syndeac (le Syndicat des Entreprises Artistiques et Culturelles), d’une commission « Égalités » ; les personnes dont il s’entoure pour la création, des femmes et des hommes, qui vont se pencher collectivement sur la personnalité d’Antigone, interroger le mythe chacun avec sa manière de voir. Ces réflexions, il les intériorise comme une composante essentielle et leur fait prendre corps dans le spectacle au travers de cette femme qui crie.

© Vincent Beaume

© Vincent Beaume

Une Antigone plurielle

Cette exploration de l’Antigone contemporaine, il l’effectue en utilisant la pluralité qui caractérise le groupe, leur diversité de genres, la variété de leurs parcours – les musicien.ne.s sont issus des univers baroques, classiques et contemporains – et l’apport plus « théâtral » d’Anne Montfort, qui enrichit l’approche de considérations plus orientées vers la notion de « spectacle » mais aussi vers l’histoire du théâtre, en transformant par exemple le chœur antique en assemblée de citoyens répartis dans le public. Cette version plurielle de l’Antigone moderne passera aussi par la multiplicité des formes musicales, alliant aria, chanson, récitatif avec ou sans chœur, parcours instrumental pur ou fragments d’interviews agencées ensemble pour porter leur propre voix, leur discours d’aujourd’hui.

© Patrick Gherdoussi

© Patrick Gherdoussi

Une œuvre musicale

La composition en six tableaux détaille ce qui pourrait s’apparenter au parcours libératoire d’Antigone. À la plainte de la femme se lamentant sur son statut forgé par les hommes – « Qu’avez-vous fait ?», « Suis-je un corps ? » – succèdent les réponses possibles – l’amour et non la haine, la volonté de se faire entendre, tant verbalement que musicalement, et la nécessité d’agir. Élise Chauvin, qui incarne Antigone, engage son corps entier dans l’aventure de sa voix qui explore aussi bien les aigus du cri et de la rage que le grondement venu des profondeurs des entrailles tandis que la musique, qu’on aimerait parfois plus découpée, moins « massive », laissant aux instruments plus d’individualité, alterne rugissements façon hard rock, pulsations marquées par les percussions, martèlements qui évoquent une marche au supplice et musiques bruitées qui résonnent en contrepoint dans les moments d’accalmie.

© DR

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Un parcours d’art total

Derrière les musiciens, la plasticienne Maya Le Meur entame une immense fresque qui ferme la scène sur trois côtés et qui ne s’achèvera qu’avec la fin du spectacle. À grands passages de brosse enduite de peinture blanche sur un support noir, elle dessine de larges formes abstraites qui rappellent l’art délicat de la calligraphie, l’immédiateté réfléchie mais sans repentir du mouvement dans l’art zen et le dynamisme enlevé de l’abstraction lyrique. Elle complète le voyage initiatique textuel, sonore et musical d’Antigone. Son envolée referme l’espace tel un écrin et sert de caisse de résonance au cri qui résume l’Antigone du XXIe siècle : « Je suis une, je suis un. » Un cri qui n’est d’ailleurs pas seulement l’apanage du genre féminin…

© DR

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Le Cri d’Antigone

S Livret, composition, direction artistique, percussions, claviers analogiques, informatique musicale Loïc Guénin S Mise en scène Anne Monfort S Voix Elise Chauvin S Instruments Vincent Lhermet (accordéon), Eric Brochard (contrebasse, patch et informatique), Alice Piérot (violon), Fabrice Favriou (guitare électrique) S Artiste peintre Maya Le Meur S Régie générale et technique Thierry Llorens S Création et régie lumière Vincent Beaume S Régie son Yoann Coste S Administration Anouche Allain S Production Fany Ridel S Médiation Lucille Frank S Communication Danaé Guilbot S Production Compagnie Le Phare à Lucioles S Coproduction LE ZEF – scène nationale de Marseille | Le gmem-CNCM-marseille | La Muse en Circuit – CNCM | La Cité musicale-Metz | La Courroie S Soutiens le Centre National de la Musique et a été réalisé avec la partition du DICRéAM (CNC) S La compagnie Le Phare à Lucioles est conventionnée par le ministère de la Culture (Direction Régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur). Elle reçoit le soutien du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (programme LEADER), de la Région Sud, du Département du Vaucluse, de la Communauté de Communes Ventoux-Sud, de la Commune de Sault, de la SACEM et du Centre National de la Musique. S La compagnie est membre du réseau Futurs Composés.

10 novembre 2022 - 20h À la Cité Musicale de Metz

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