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Arts-chipels.fr

Anaïs Nin dans le miroir. Fantasmagorie pour une biographie fantasmatique.

Anaïs Nin dans le miroir. Fantasmagorie pour une biographie fantasmatique.

L’œuvre d’Anaïs Nin tient dans le glissement permanent entre la réalité et son fantasme, et le regard sur soi pour contempler le monde. Loin du biopic, ce spectacle onirique et inspiré s’attache à l’esprit plus qu’à la lettre pour nous faire cheminer dans l’entre-deux eaux entre rêve et réinvention du quotidien de celle qui fit d’elle-même une œuvre d’art.

Sommes-nous dans une salle de répétition ou sur la scène non encore installée dans un théâtre ? Le portant où sont accrochés des costumes, des morceaux d’escalier déposés là, la carcasse d’une barque ou le bureau où traînent des livres ne permettent pas de le dire. Ce qui est sûr, c’est que les éléments présents dénotent un processus de gestation. Dans un coin, une technicienne de surface s’active sans excès, bientôt rejointe par une jeune fille en tenue longue, blanche et virginale, qui détonne dans le décor. Elle vient du monde d’avant, des années 1920, cette jeune Anaïs Nin qui correspond aux photos qui nous restent d’elle à cette époque. Égarée là parce qu’on va parler d’elle. D’ailleurs, elle l’évoque, ce passé de jeune fille qui se laisse porter au fil de l’eau par une barque sur l’écran géant qui occupe le fond de scène.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Quand vie et œuvre sont indissociables

Anaïs Nin a onze ans lorsqu’elle commence la rédaction de son journal, et entre vingt-cinq et vingt-sept ans quand elle écrit l’Intemporalité perdue et autres nouvelles, qui constitue l'une des matrices du spectacle. Une vie qui se promène sur la frange entre enfance et âge adulte pour une œuvre qui prend cette vie comme sujet exclusif, comme un miroir où se reflète l’être. Cette image du miroir, reflet dans l’eau d’une silhouette qui glisse lentement dans le fil du courant, elle va guider ce parcours en zigzag à travers des nouvelles inextricablement mêlées aux extraits de son Journal et aux échappées belles de sa biographie, car celle qui a été l’une des icônes du féminisme fut en son temps une personnalité marquante et l’une de ces femmes libres des Années folles où s’est construite cette personnalité hors du commun. Dans les fragments de nouvelles en répétition sur la scène du théâtre s’immisceront aussi bien la brève relation incestueuse qu’elle vit avec son père en 1933 que l'évocation des quinze nouvelles érotiques qu’elle écrit « pour un dollar la page », avec Arthur Miller, à la demande d’un « collectionneur » dans les années 1940, publiées en 1977 sous le titre Vénus érotica.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Vivre et écrire le réel

Anaïs Nin a une conscience aiguë du fait que le réel est d’abord perception et que, dans cette mesure, raconter le réel ne peut appartenir qu’à une forme de fiction. C’est donc tout naturellement qu’elle trouve sa place sur une scène de théâtre où l’illusion est réelle et la réalité illusion. Les cinq acteurs et actrices qui sont aussi danseurs et danseuses, en compagnie de la metteuse en scène et d’un musicien, font leur le jeu de miroirs mis en place par Anaïs Nin pour tenter de saisir l’insaisissable, le mouvant, l’impalpable qui caractérisent la fugacité du moment et le temps qui passe. Ils endosseront tour à tour, telle Shiva aux multiples bras, les facettes d’une personnalité qui refuse de se fixer et d’être fixée, évoquant par exemple, comme en passant, le flamenco qu’elle pratiqua quelques années à partir du milieu des années 1920 ou s’imaginant poisson traversant la paroi translucide de l’aquarium, ou se vivant installée dans la peau des autres. Je est un autre et tous les autres à la fois, et les autres sont moi. Dans l’imagination, affirme-t-elle, il n’y a rien, sinon un vide que les autres remplissent. Et c’est cela que font les comédiens lorsqu'ils prennent place dans le cadre lumineux des néons qui les dessine et les sort de la boîte pour les y replonger le moment d’après. Ils sont dedans et dehors, eux-mêmes et autres, comme l’autrice qu’ils évoquent, invoquent et font revenir du pays des morts où, peut-être, elle réside.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

La passion brûlante d’écrire

Sans cesse l’écriture est leitmotiv, cause et effet, aliment et justification, lieu du dedans en même temps que du dehors, surgissement « des petites choses, parce que les grandes sont autant de précipices ». Parce que les mondes qui nous sont offerts par la vie, les parents, les rencontres sont invivables et que, si l’on veut survivre, il faut en recréer d’autres, seulement pour respirer. « Nous écrivons pour agrandir le monde que nous trouvons étouffé, rétréci ou désolé, énonce Anaïs Nin. Nous écrivons comme les oiseaux chantent, comme les primitifs dansent leurs rituels. » Mais aussi, « comme Proust, pour rendre les choses éternelles et nous persuader qu’elles le sont ». Dans les images que renvoie le miroir de la scène, dans cet éclaté de sensations et de propositions, dans le cadre et hors-cadre, il y a ce caractère baroque de l’éphémère dont toutes les petites pièces forment le costume d’arlequin que le théâtre propose.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Entre fantastique et surréalisme

Les niveaux se mélangent et les histoires s’interpénètrent. La vidéo entame un dialogue avec ce qui se passe sur la scène, les personnages sont ceux d’Anaïs Nin et, dans le même temps, eux-mêmes et les créatures qu’inventent le texte et la mise en scène. Chacune des séquences, comme un pop-up, lève un voile sur l’un des aspects de cette œuvre qui cherche à rassembler dans un projet inatteignable une vie protéiforme qui s'échappe sans cesse. On navigue entre onirisme et informations qu’on sait documentaires, entre deux eaux, entre des mondes et, pour le spectateur, au risque de se perdre. Mais si l’on se laisse emporter dans ce flot faussement déstructuré, à vivre l’instant, à observer les interprètes se transformer à vue dans une polyphonie qui n’a ni début ni fin, ni alpha ni oméga, où tout est transfiguration et métamorphose, on perçoit organiquement l’aspect tentaculaire du projet littéraire. Là est sans doute la fidélité à l’œuvre d’Anaïs Nin, cette manière de « dire l’indicible avec des mots transparents » qui, dans leur immédiateté physique, conservent leur part d’étrangeté et de mystère.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Anaïs Nin au miroir

S Texte Agnès Desarthe librement inspiré L’Intemporalité perdue et autres nouvelles et des Journauxd’Anaïs Nin S Mise en scène Élise Vigier S Avec Ludmilla Dabo, William Edimo, Nicolas Giret-Famin, Louise Hakim, Dea Liane, Makita Samba, Bachir Tlili, Nanténé Traoré, Élise Vigier et le musicien Marc Sens S À l’image Marc Bertin (le Père), Marie Cariès (la Mère), Hannarick Dabo (la mère de Ludmilla), Ôma Desarthe (Anaïs ado), Mia Saldanha (Anaïs enfant), Marcial Di Fonzo Bo, Luis Saldanha, Wandrille Sauvage, Philippe Sicot, Steven Tulmets, Flavien Beaudron, Stephen Bouteiller (les soldats), Claude Thomas, Patrick Demiere, Gérard Lange (les hommes du bal) et les musiciens Louison Audouard, Appolinaire Bertrand-Martembault, Julio De Siqueira, Johan Godard, Léo Zerbib S Assistanat à la mise en scène Nanténé Traoré S Scénographie Camille Faure, Camille Vallat S Films Nicolas Mesdom assisté de Romain Tanguy S Costumes Laure Mahéo S Maquillages, perruques Cécile Kretschmar S Lumières Bruno Marsol S Musique Manusound, Marc Sens S Chorégraphie Louise Hakim S Effets magiques Philippe Beau en collaboration avec Hugues Protat S Régie générale Camille Faure S Régie plateau Camille Faure, assistée de Naoual El Fannane S Régie son Manu Léonard S Régie vidéo Romain Tanguy S Construction décor Ateliers de la Comédie de Caen – CDN de Normandie sous la direction de Carine Fayola S Réalisation des costumes Antoinette Magny - Ateliers de la Comédie de Caen S Couturières Yolaine Guais et Julie Duclutrasse S Habilleuse Marion Régnier S Stagiaire assistant à la mise en scène Flavien Beaudron S Renfort tournage Rosalie Audouard S Production Les Lucioles–Rennes (production déléguée) et la Comédie de Caen – CDN de Normandie S Coproduction Festival d’Avignon, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN, Comédie de Colmar – CDN Grand Est – Alsace, La Passerelle – scène nationale de Saint-Brieuc S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national S Avec l’aide de la Spedidam S Accueil en résidence à La Chartreuse – Villeneuve-lez-Avignon, la Comédie de Caen – CDN de Normandie S Accueil en coréalisation au Théâtre de la Tempête avec le soutien financier de Spectacle Vivant en Bretagne. S Le Théâtre des Lucioles est conventionné par la DRAC Bretagne et soutenu par la région Bretagne et la ville de Rennes. S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et la ville de Paris S Remerciements au Château Fontaine-Henry et au Bato S Durée 2h

Du 10 novembre au 11 décembre 2022, du mardi au samedi 20 h dimanche 16 h

Théâtre de la Tempête Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris

Réservations www.la-tempete.fr  T 01 43 28 36 36

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