3 Octobre 2022
Poésie, danse et vision politique, tel est le cocktail hallucinatoire de cette nouvelle chorégraphie de Oona Doherty.
La première partie commence dans la lumière. Les 12 danseurs et danseuses sont alignés en fond de scène et commence doucement à se mouvoir sur les premières notes du Concerto n°2 en Ut mineur de Rachmaninov. De très beaux mouvements de groupe et de belles figures dansées avec toujours si on regarde attentivement un élément un peu en dissonance à chaque fois, comme un rouage qui serait un peu en décalage de la belle machine. Et puis soudain un coup de feu et un danseur s’écroule avec une flaque de sang bleu. La dimension dramatique que sous-tend la musique est désormais complètement présente. Et les danseurs s’écroulent les uns après les autres. De très beaux passages philosophiques sur le courage, le dévouement et le sacrifice, si bien suggérés par la chorégraphie. La dramaturgie est intense. On peut y voir des tas d’évocations et de parallèles avec notre époque si perturbée. Le terrorisme, le capitalisme sans fin qui nous tue, le réchauffement climatique et pourquoi pas aussi le Covid, bref nous ne manquons pas de fléau qui ravage et décime l’humanité hélas…
Et petit à petit l’obscurité gagne la scène. La scène de transition entre les deux parties est magnifique. Les effets vidéo de Nadir Bouassria sont d’une rare beauté et d’une très belle poésie.
La deuxième partie est donc une renaissance. Autant la première partie mettait en œuvre plus le côté individuel autant dans cette deuxième partie le côté collectif, le groupe est mis en exergue jusqu’au final qui pour moi m’a fait penser à une boule. Vrai contraste avec le début du spectacle qui était une ligne. Autant dans la première partie la chorégraphe partait de mouvements classiques qu’elle interprétait et dépassait pour suivre la dramaturgie de Rachmaninov autant dans cette deuxième partie on n’est plus du tout dans ce registre. Les mouvements sont libres et tout à fait contemporains. Cette deuxième partie est magnifique. Elle commence avec la diction d’un texte très puissant qui nous interpelle toutes et tous sur notre actualité et se poursuit avec les compositions de Jamie XX. La dramaturgie est toujours aussi intense mais le rythme change avec ses compositions pour finir dans cette évocation du monde, d’une boule créée par les danseurs tous les uns contre les autres au milieu du plateau. Image très forte et magique.
Le concerto n°2 en Ut mineur de Rachmaninov.
Ce Concerto a sauvé Rachmaninov. Le compositeur a composé ce concerto après trois ans de dépression nerveuse suite de l'échec de sa première symphonie, démontée par les critiques. C’est une œuvre intense et dramatique avec une dimension de résurrection. C’est comme une urgence irrésistible qui nous emporte, ainsi le choix de ce Concerto est donc pleinement en phase avec le propos de Oona Doherty.
La dimension politique de ce spectacle est à souligner.
Contrairement à beaucoup de chorégraphes qui ne rentrent jamais dans le champ politique direct Oona Doherty avec ce texte très fort, brutal, sans concession nous ramène à notre actualité. Elle nous parle de notre monde avec ses mots qui sont aussi nos mots et nos maux. Elle interpelle le monde en nous prenant à témoins sans culpabilisation mais avec beaucoup de fermeté. Ce texte, dit au début de la deuxième partie, résonne sur le plateau avec une intensité incroyable. C’est en cela il me semble que Oona Doherty prend le plus de risques, surtout à l’heure des réseaux sociaux ou il faut être transparent et lisse pour un artiste, elle prend le risque de dénoncer les dérives de notre société ouvertement et sans se cacher. C’est un pamphlet politiquement affirmé, tout comme sa danse. Oona Doherty affirme et confirme (s’il le fallait) que la danse est aussi un engagement politique, que la danse fait partie aussi de ces arts polémiques qui parlent de notre monde sans chercher à plaire, juste à en dénoncer les dérives.
Ce spectacle est à voir absolument.
Chorégraphie : Oona Doherty
en collaboration avec les danseurs
Musique : Sergeï Rachmaninov, Concerto no 2 en ut mineur,
Jamie xx
Vidéo, projections : Nadir Bouassria
Lumières : John Gunning
Texte : Oona Doherty et Bush Moukarzel
Costume : Lisa Marie Barry
Production : diffusion Gabrielle Veyssiere
Production déléguée : Lea Connert et Dana Tucker
Avec : Amancio Gonzalez Miñon, Andréa Moufounda, Arno
Brys, Louise Gourvelec, Hilde Ingeborg Sandvold,
Joseph Simon, Mathilde Roussin, Ryan O’Neill,
Sati Veyrunes, Thibaut Eiferman, Tomer Pistiner,
Zoé Lecorgne, Magdalena Öttl