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Arts-chipels.fr

Le Firmament. Règlements de comptes pour jury féminin dans une société d’hommes.

© Victor Tonelli

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Entre événement astronomique et déflagration sociale, cette pièce d’une des enfants terribles du théâtre anglais d'aujourd'hui nous plonge dans un dix-huitième siècle aux relents fortement contemporains.

Elles sont treize à table, enfermées dans une salle coupée de l’extérieur que garde un huissier. Douze femmes habilitées à décider si la treizième, Sally Poppy, doit mourir. Sally était domestique. Une vie de pauvreté, de privations et de corvées. Coupable du meurtre particulièrement violent de la fille de ses maîtres, elle a été condamnée à la pendaison. Mais Sally clame haut et fort qu’elle est enceinte. La protection de la vie étant sacrée, on ne peut l’exécuter. Si elle dit vrai, c’est l’exil, au lieu de la mort, qui l’attend. Cependant les juges doutent de la véracité de ses propos. Pour une fois, ils se déclarent incompétents et demandent à un jury de douze femmes de statuer.

© Victor Tonelli

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Une galerie de portraits comme un raccourci du monde

Ces femmes qui tiennent entre leurs mains le sort de la jeune fille sont de tous âges. Elles appartiennent à toutes les classes de la société, maîtresses et domestiques, paysannes et citadines, et leur langage, châtié ou populaire, voire populacier, comme leur attitude, traduit leur condition. L’une s’inquiète des poireaux qui lui restent à ramasser et voudrait hâter le mouvement, d’autres profitent de cette parenthèse qui les place, pour une fois, au premier rang. La pièce souligne la situation exceptionnelle qui leur accorde ce pouvoir de mort qui est l’apanage des hommes. Libres de toute tutelle, elles ont la possibilité de choisir leur comportement sans rendre des comptes, mais aussi d’abuser de leur position et c’est l’un des enjeux dont elles débattent. Sally leur oppose sa hargne et sa colère. Vindicative, emportée, elle s’est érigée en ange exterminateur, madré, plein de ruse, pour qui tous les arguments sont bons pour garder la vie sauve.

© Victor Tonelli

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La comète comme une perturbation de l’ordre du monde

Ce monde, justement, est marqué par le passage de la comète de Halley. La présence de la comète est documentée depuis le VIIe siècle avant notre ère. Si Edmund Halley, au Siècle des Lumières, en fait un objet de science, démontre que son arrivée correspond à un cycle périodique de soixante-seize ans et prédit son passage en 1758 (en fait, ce sera 1759), la croyance populaire ne cesse de lui attribuer une valeur symbolique forte. L’arrivée de la comète annonce ou engendre, dit-on, de grandes catastrophes ou des changements historiques importants – le débarquement de Guillaume le Conquérant en Angleterre n’a-t-il pas lieu en 1066, année de l’un des passages de la comète ? Le choix par l’autrice de 1759 comme date où elle situe l’action n'obéit donc pas au hasard. Sa pièce souligne le caractère exceptionnel du contexte dans lequel elle se déroule et toutes les idées reçues qui s’y rattachent. Elle décrit un moment où le monde vacille sur ses bases, où un « jury de matrones » tient le sort du monde entre ses mains, où les éléments se déchaînent, comme pour en révéler le dérèglement, et où les populations, livrées à la dictature de l’opinion publique, appellent au lynchage.

© Victor Tonelli

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Dirty girls in a dirty world

Justice partiale, déterminisme, patriarcat, tabous sur la maternité, bonne conscience de la classe dominante et haine du peuple envers les plus riches sont ici complétés par le colonialisme qui s’ébauche en toile de fond – 1759 est aussi l’année où l’Angleterre remporte des victoires significatives aux Caraïbes, en Inde et au Canada. Et, pour faire bonne mesure, l’autrice ne nous donne pas l’espoir de trouver une héroïne « positive » dans ce monde chamboulé – les personnages ne sont pas toujours ce qu’ils paraissent, les vernis craquent et même la sage-femme, la seule à se faire l'avocat de la défense de la meurtrière, a ses zones d’ombre. « Je trouve Lizzie beaucoup plus intéressante si le costume est sale », dit Lucy Kirkwood. « Que nos héroïnes soient propres et parfaites, ajoute-t-elle, […] est une conception masculine […] et je ne vois pas de grand progrès dans le fait que nous parachutions des actrices dans les films Marvel […] on ne fait que changer la cerise sur le gâteau ; on ne change pas le gâteau. » Le Firmament propose un autre scénario, celui d’un dynamitage bienvenu des poncifs et des credo. Une entreprise de démolition systématique non exempte de rires salutaires qui ne masquent pas l’actualité du message de la pièce mais, au contraire, l’amplifient et le mettent en perspective.

© Victor Tonelli

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Le Firmament de Lucy Kirkwood S Traduction Louise Bartlett

S Mise en scène Chloé Dabert S Avec Elsa Agnès, Sélène Assaf, Coline Barthélémy Sarah Calcine, Bénédicte Cerutti, Gwenaëlle David, Brigitte Dedry, Marie-Armelle Deguy, Olivier Dupuy, Andréa El Azan, Sébastien Éveno Aurore Fattier, Asma Messaoudene, Océane Mozas, Léa Schweitzer et Arthur Verret S Assistanat à la mise en scène Virginie Ferrere S Scénographie, réalisation Pierre Nouvel S Création costumes Marie La Rocca S Création lumière Nicolas Marie S Création son Lucas Lelièvre S Régie générale Arno Seghiri S Atelier décor Ateliers du Théâtre de Liège S Atelier costumes Peggy Sturm, Magali Angelini, Bruno Jouvet et Élise Beaufort S Maquillage Judith Scotto S Accessoires Marion Rascagnères S Stagiaire assistante à la mise en scène Mégane Arnaud S Stagiaires atelier costumes Marion Chevron, Camille Debas Gauharou et Cléo Pringigallo S Tournage film Mohamed Megdoul, cadreur Raphael Dallaporta, chef opérateur Thomas Lanza, assistant réalisateur Figurants Léone Lagrange, Misha Charmillot-Ferrere S Durée estimée 3h, entracte inclus S À partir de 15 ans S Création le 28 septembre au CENTQUATRE - PARIS S Production La Comédie - CDN de Reims S Coproduction Théâtre de Liège - DC&J Création, Comédie de Caen – CDN de Normandie, Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint Denis, Scène nationale du Sud-Aquitain, Théâtrede la Cité – CDN Toulouse Occitanie, Le Parvis – scène nationale de Tarbes-Pyrénées, Le Quai - Centre dramatique national Angers Pays de la Loire S Soutiens Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et Inver Tax Shelter, le Centquatre-Paris S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national S L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.

TOURNÉE

Les 02 et 03 fév. 2023 Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône

Les 08 et 09 fév. 2023 Comédie de Caen – CDN de Normandie

Le mercredi 22 mars 2023 à 19h : Comédie de Colmar – Centre dramatique national Grand Est Alsace avec le Festival Vagamondes de la Filature Mulhouse. Départ de La Filature (Mulhouse) en bus à 18h

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