14 Octobre 2022
El Poyo Rojo quitte les rives escarpées et cocasses du sport pour aborder sur les pontons du monde de l’internet et des réseaux sociaux. Quand une vision vitriolée de notre société s’accorde s’adresse aux d’jeun’s dans leur langage et avec leurs codes, dans le rire et la bonne humeur.
Ils étaient muets, grandes girafes au corps souple rompues à tous les exercices. Les voici bavards, volubiles même, lancés dans une logorrhée sans temps mort, sans pause. À l’entrée dans la salle un écran diffuse des images de leur précédent spectacle tandis que la radio, en fond sonore, diffuse tout et rien sans qu’il soit véritablement possible de percevoir ce qui compose le bruit de fond. Le ton est donné. Il sera question de médiatisation à tout crin, mais pas seulement. Et de fait, le spectacle va s’ouvrir sur un dialogue cocasse entre deux personnages, femmes-hommes vêtu.e.s de tenues excentriques qui font des mines à l’écran tandis que les mêmes – Alfonso Barón et Luciano Rosso – font une apparition fantomatique sur la scène.
Trucages, mensonges et vidéo
Sous l’écran, le fond de scène et le sol sont recouverts du tissu vert habituellement utilisé en vidéo pour détacher l’action des personnages, filmés hors de tout contexte, et les incruster ensuite dans un autre décor, leur créer une vie artificielle détachée du contexte du filmage d’origine. Déjà il devient difficile de faire la part du vrai et du faux, de la réalité et de l’illusion. Car les images se superposent et se mélangent et que s’instaure un dialogue entre les reflets. Car non seulement ce sont nos deux compères qui singent deux influenceuses façon réseaux sociaux, mais ils dialoguent avec eux-mêmes. Au fil du temps, les reflets se multiplient, se superposent, se mélangent au point qu’on ne distingue plus ce qui a été créé en studio et ce qui se crée en direct, tandis que derrière le rideau, un maître d’œuvre démiurge joue à introduire cette confusion des genres qui dénonce la fabrication de l’information, de quelque nature qu’elle soit.
Une dénonciation sur le mode du rire
Les deux compères tapent sur tout ce qui ne bouge pas, sur tout ce qui enferme, supprime, annihile, interdit. La vidéo transforme en visages hallucinés ceux qui dénoncent les artistes comme dégénérés, les complotistes qui voient des francs-maçons et des Illuminati partout, les coincés en tout genre et horrifiés du sexe. Ils sont hommes, femmes, trans, tout ce qui se démarque de la norme, tout ce qui vit à côté. Ils s’interrogent sur l’empreinte carbone de leur spectacle, s’amusent en passant du véganisme ambiant, font écho en riant aux rumeurs les plus absurdes sur le vaccin anti-covid – tu comprends, ils te géolocalisent… –, insèrent des pages de publicité loufoques dans leurs interventions, mais ils dénoncent en même temps les codes de masculinisation de la société comme les règles du capitalisme à la Milton Friedmann qui fait l’objet dans le spectacle d’un # « à bas ! ». Ils ironisent sur une société où tout passe par le portable et où trouver du travail, quand tu ne peux plus te payer un portable, devient mission impossible. Et ils accusent : « Vous avez volé notre enfance ! »
Plaider contre tous les racismes et le droit à la différence
Entraîné dans le rythme infernal de leurs transformations incessantes, réjoui par la suite de déconstructions des mécanismes de notre société, menée tambour battant, séduit par la faconde, le corps-liane et la souplesse joueuse des deux interprètes coauteurs et de leur comparse vidéaste, le public salue ces Argentins déjantés qui se dépensent sans compter sur un plateau devenu terrain de jeu pour une bande de garnements insolents et facétieux. Dans un langage fragmenté, discontinu, zapping, hérité du monde des ados et des d’jeun’s d’aujourd’hui, ils établissent un dialogue de plain-pied avec les forces vives de demain. Une manière de prêcher pour le droit à la différence et d’en appeler à d’autres modèles que ceux dont nous avons hérité sans se prendre la tête, et de pousser à la réflexion tous ceux que cette perspective horrifie en utilisant le rire…
Dystopia
S Création Alfonso Barón, Hermes Gaido, Luciano Rosso S Collaboration Julien Barazer S Mise en scène Hermes Gaido S Chorégraphie et interprétation Alfonso Barón, Luciano Rosso S Scénographie Hermes Gaido, Alfonso Barón, Luciano RossoLumière Hermes Gaido S Musique originale Hermes Gaido, Alfonso Barón, Luciano Rosso, Sebastián Pérez Echegaray S Édition et régie vidéo Hermes Gaido S Habillage Luciano Rosso, Alfonso Barón S Régie générale Hermes Gaido S Production Un Poyo Rojo et Teatro Español – Madrid S Diffusion et production France Quartier Libre Productions Management T4 / Maxime Seugé et Jonathan Zak S Avec le soutien de la DRAC Occitanie, du Pôle de Développement chorégraphique Bernard Glandier – Montpellier, de L’Arsénic – Gindou (Communauté de communes Cazals-Salviac), du Théâtre Molière Scène nationale Archipel de Thau – Sète, du SPEDIDAM et de la DRAC S Spectacle créé le 24 juin 2022 au Teatro Naves del Español / Madrid S Durée 1h10
11 – 30 octobre 2022, 18h30 Relâche les lundis et le 13 octobre
Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
www.theatredurondpoint.fr ou 01 44 95 98 21
TOURNÉE
24 juin - 10 juillet 2022 Teatro Español / Madrid (Espagne)