10 Octobre 2022
Si l’on pouvait restituer la vie à travers un mélange de senteurs propres aux lieux et à ceux qui les fréquentent… Une pièce attachante où le parcours des odeurs se fait expérience de vie.
Elle est assise à son bureau, en train d’écrire. Il est attablé devant une autre table encombrée de flacons. Elle, c’est Claire, une chercheuse en biologie, lui est parfumeur, du moins nez car depuis dix ans et le décès de sa femme, Paul n’a plus créé de parfum et a fermé son atelier. Il lit la lettre qu’elle lui a envoyée, comme une bouteille à la mer. Elle lui raconte. Son fils atteint d’une maladie dégénérative qui lui a fait perdre la vue et la motricité et dont la mort s’annonce prochaine. Pour retenir les dernières parcelles de vie de ce jeune homme de dix-neuf ans, Darius, elle imagine de faire revivre pour lui les sensations nées de ses voyages passés à travers leurs odeurs, un sens que conserve encore, et de manière hyper développée, le jeune homme. Alors elle lui met le marché en main, qui est aussi un véritable challenge pour un parfumeur : recréer les odeurs des lieux que Darius a visités et des rencontres qu’il a faites…
Une vie d’odeurs
Paul, après un refus initial – sa vie s’est arrêtée – change d’avis lorsque Claire, sur un marché, le met en présence de Darius. Il relève le défi et s’inscrit dans les traces du jeune homme pour traquer les odeurs qu’il a emmagasinées dans un coin de sa mémoire. Mais comment arriver à reconstituer la multitude de fragrances qui composent un lieu ? ce mélange indiscernable de parfums qui émanent de la matière – senteurs de décomposition, arômes, odeurs humaines propres à l’individu ou liées à son activité ? Comment, au-delà de la collection d’odeurs qu’il renferme, rendre perceptible l’esprit des lieux ? C’est dans cette quête qui devient bientôt un jeu que se lance le parfumeur.
La correspondance de deux désespérés
Hormis leur rencontre initiale sur le marché, Claire et Paul ne se rencontrent pas. Ils correspondent et leurs échanges, toujours passés au filtre des réactions de Darius, de ses hésitations, de ses certitudes et des plaisirs que la symphonie des odeurs lui procure, deviennent progressivement de plus en plus proches, de plus en plus intimes. Au travers de leurs lettres, chacun livre de lui ce qu’il tenait caché, le récit de leurs pertes, et leur histoire s’apparente bientôt à une correspondance amoureuse dont pour pourrait penser qu’elle évoluera dans le monde réel. Mais au-delà, ce qui se joue, c’est la définition de la vie. Celle que l’un et l’autre ont, à leur manière, écartée et qui revient en force dans le projet qu’ils ont formé pour Darius.
Sur les traces de Marcel Proust
Catherine Aymerie et François Cognard donnent de leur personnages une version habitée et sensible, marchant dans les pas de Marcel Proust. Du côté de chez Swann, dans la quête mémorielle incessante que mène Proust, interroge en effet les rémanences du souvenir quand « d’un passé ancien rien ne subsiste » et que « seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer ». Le spectacle s’en fait l’écho. Avec délicatesse et une infinie tendresse, il sublime le drame absolu de la dégradation et de la mort dans une aventure initiatique où, bulle légère et évanescente, fugace comme un parfum qui passe, éclate la vie.
Darius de Jean-Benoît Patricot
S Mise en scène André Nerman S Avec Catherine Aymerie et François Cognard S Scénographie Stéphanie Laurent S Création lumière Kosta Asmanis S Création musique Laurent Clergeau S Le texte de Darius est édité aux Editions Riveneuve / Archimbaud
Du 29 septembre 2022 au 11 décembre 2022, jeu.-ven.-sam. 21h, dim. 18h
Théâtre de l'Essaïon - 6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris - 01 42 78 46 42
Jeudi 15 décembre à 20h45
Théâtre de l'Athénée - 2 Av. Alsace-Lorraine, 92500 Rueil-Malmaison 01 41 96 90 60