22 Septembre 2022
Le Théâtre du Point du jour affectionne le rapport entre documentaire et fiction théâtrale. Le choix de la chambre d’hôtel offre ici un espace idéal pour de petites formes où se croisent le réel et l’imaginaire.
Selon la taille de la chambre, quinze spectateurs ou plus prendront place autour de ce qui constitue le centre de la chambre d’hôtel : le lit. Un espace fantasmatique s’il en est, dans un lieu où une certaine liberté se donne libre cours en même temps que s’y exprime la contrainte. Un espace de solitude où l’on se retrouve face à soi-même, confronté à ses propres démons dans cet autre versant de la vie sociale. C’est ce lieu qu'Angélique Clairand et Éric Massé ont choisi d’investir avec les performeurs et comédiens de la Compagnie des Lumas, du Collectif Marthe, de la Compagnie Y et de la Compagnie Courir à la Catastrophe qu’ils ont conviés à partager cette expérience insolite. La collaboration de ces sept metteurs en scène et comédiens a donné naissance à sept petits objets dans lesquels chaque artiste met en chambre un autre artiste.
Un théâtre qui s’enracine dans le témoignage et l’immersion
Leur démarche, c’est d’abord et avant tout de travailler le rapport entre la réalité que livre la vie quotidienne et les fictions qu’on peut en tirer. Les courtes formes qui en sont issues pour Portraits Hôtel, d’une quinzaine de minutes chacune, constituent autant de propositions inspirées d’enquêtes, de témoignages, de recensions ou de réflexions sur la vie comme elle vient, captées sur un support ou un autre ou à l'occasion de rencontres. Leurs thèmes couvrent un vaste spectre. L’expérience solitaire de l’individu, qui se retourne, dans le silence de la nuit, sur sa vie dont il voit défiler les épisodes, ou celle du thanatopracteur dont l'art consiste à rendre la mort acceptable, celui que viennent hanter, chaque nuit d'insomnie, les rêves et cauchemars maintenus en laisse tout le jour, voisinent avec la présence de cet autre-là, le personnel chargé de faire fonctionner la machine hôtelière, cette population quasi invisible qui grouille et s’agite, furtivement et dans le silence.
L’apport du lieu
Pour réaliser l’ensemble des sept pièces, jouées en alternance dans trois lieux différents – l’expérience est, bien sûr, transposable dans d’autres lieux hôteliers, hors de la ville et de la région – trois hôtels lyonnais, de classe différente, ont accepté de jouer le jeu et mettent à disposition du théâtre quatre chambres pour des représentations bloquées chaque fois sur une ou deux journées. Cette capillarité assumée entre espace réel et lieu de fiction introduit, pour le public, de subtiles distorsions de la perception dans lesquelles se glisse le jeu. Le spectateur se trouve à la fois plongé dans un univers concret qui renvoie à des situations déjà vécues et, dans le même temps, à une perte de repères.
Une règle du jeu qui privilégie les diversités d’approche
Les formes elles-mêmes assignent au spectateur un rôle différent. Lorsqu’il suit, comme s’il regardait un film documentaire, le quotidien d’une gouvernante, dont la fonction dans l’hôtel est de veiller à ce que tout soit en place avant la venue des clients et de vérifier que le ménage a été correctement effectué par les équipes de nettoyage, il est comme le témoin, le surveillant qui regarde de loin un système qui se met en marche, illustré par un discours déshumanisé commentant en voix off, à la façon d'un prospectus publicitaire, les atouts de l’hôtel. Dans le même temps, ce fantasme de l'entreprise, il le perçoit à travers l'univers mental de la gouvernante. C'est dans sa tête que tournent les injonctions et les slogans, le souci de ne rien oublier et les multiples tracas qui, au fil du temps, ne manqueront pas d'aboutir à la catastrophe. Si le spectateur se fait ici voyeur passif, il peut se voir ailleurs assigner une fonction de personnage, comme dans la chambre de cette dormeuse insomniaque qui peuple, dans les délires de sa veille contrainte, sa chambre de fantômes à qui elle s'adresse pour les chasser.
Le lit comme « champ de bataille » et espace fantasmatique
Autour du fantasme du lit gravitent, bien sûr, l’amour, le sexe et leurs satellites. Le lit devient le lieu d'un enterrement de vie de garçon avant un mariage gay, source de bien des questionnements qui s'y ébattent en liberté. Il est aussi celui des amours avortées, des rendez-vous manqués où l’on attend le client ou l’amant qui ne viendra plus. Mais il est aussi l’espace à la fois public et intime de l’influenceuse, la jeune fille qui vend sa peau et son minois pour promouvoir le confort d’un hôtel comme une marque de produits de beauté ou une paire de chaussures sexy et pour qui la trivialité de la confession intime et l’étalage public de soi-même sont arguments publicitaires.
Une exploration des formes qui est un voyage
En jouant l'introspection ou le mode de la comédie musicale, en adoptant les codes du polar ou du film fantastique, en convoquant le cinéma ou les références populaires, ces Portraits Hôtel nous baladent dans l'univers des multiples fictions dont nous sommes coutumiers. Les interprètes qui commandent eux-mêmes depuis un boîtier une lampe qui met en lumière ce que le portable filme, qui déclenchent une sonnerie de téléphone, la réponse d'un interlocuteur invisible, un éclairage insolite, se font régisseurs d'un spectacle en direct qui emprunte à des stéréotypes qui nous sont familiers. Mais cet exercice de style n'est pas non plus unique. Chacun des spectateurs présent lors des représentations voit quatre des sept séquences proposées. Mais tous ne les voient pas dans le même ordre. Divisé en quatre groupes, le public est réparti entre les quatre chambres. Il voit donc l'ensemble en ordre dispersé, ce qui induit chaque fois une approche différente. Dans ce voyage particularisé, individualisé, où la frontière entre réel et spectacle est poreuse, le « comme si c’était vrai » occasionne, pour certains spectateurs, un trouble et des frémissements tant l’effet de réalité leur semble prégnant. Là réside aussi la richesse de la proposition. Résonnance et décalage sont les maîtres-mots de ce dépaysement hôtelier qui nous plonge en pays connu. Ce n’est pas le moindre des faux-semblants véhiculés par ce cheminement fluctuant entre réalité et imaginaire…
Portraits hôtel. Spectacle hors les murs dans des chambres d’hôtel
S Texte et mise en chambres Clara Bonnet, Angélique Clairand, Étienne Gaudillère, Aurélia Lüscher, Éric Massé, Sacha Ribeiro, Alice Vannier S Création lumière et régie générale Quentin Chambeaud S Régie plateau Bertrand Fayolle S Régie Nomades Hadrien Martel S Visuel Jean-Louis Fernandez S Production Théâtre du Point du Jour, Lyon • Compagnie des Lumas S Durée estimée 1h10 S Création le18 septembre 2022 à l’Hôtel des Savoies dans le cadre des Nomades du Théâtre du Point du Jour, Lyon
Représentations
• Hôtel des Savoies, 80 rue de la Charité, Lyon 2. Dim. 18 septembre à 16h et 18h. Lun. 19 septembre à 18h et 20h. Ma. 20 septembre à 18h et 20h
• Fourvière Hôtel, 25 rue de la Charité, Lyon 5. Dim. 25 septembre à 18h et 20h. Lun. 26 septembre à 18h et 20h
• Le Phénix Hôtel, 7 quai de Bondy, Lyon 5 Dim 2 octobre à 16h et 18h
Les performances
• « Qui m’aime me suive » Alice Vannier • « Hors la loi » Éric Massé • « Circus » Étienne Gaudillère • « Immanence ou l’incorruptibilité des corps » Aurélia Lüscher • « Coup de feu » Angélique Clairand • « Chantons sous la nuit » Sacha Ribeiro • « Au plafond » Clara Bonnet
Un parcours de 4 chambres par représentation.
Dim. 18 sept. – 16h et 18h Angélique • Clara • Alice • Sacha
Lun. 19 sept. – 18h et 20h Angélique • Clara • Alice • Sacha
Mar. 20 sept. – 18h et 20h Éric • Aurélia • Clara • Sacha
Dim. 25 et lun. 26 sept. – 18h et 20h Éric • Angélique • Aurélia • Étienne
Dim. 2 oct.– 16h et 18h Éric • Étienne • Alice • Sacha
Théâtre du Point du jour – 7, rue des Aqueducs – 69005 Lyon
www.pointdujourtheatre.fr 04 78 25 27 59