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Arts-chipels.fr

Mes parents. Quand les fictions personnelles inscrites dans la vie même alimentent le théâtre.

© DR

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Peut-on créer un spectacle de théâtre sans un filtre fictionnel ? C’est en tout cas le pari que fait Mohamed El Khatib avec les apprentis comédiens de l’école de théâtre du Théâtre National de Bretagne en les faisant s’interroger sur leurs relations avec leurs parents. Un spectacle distrayant en même temps que plein d’enseignements.

Il ne s’agissait pas au départ d’un spectacle destiné à connaître les feux de la rampe. Plutôt un exercice destiné à clôturer un cycle d’apprentissage pour de jeunes comédiens, et qui évolue pour adopter une forme théâtrale présentée devant un public, avec un thème qui parle à chacun : celui des relations parents-enfants, le plus souvent faites d’incompréhension, de non-dits, parfois même d’oppositions. La règle du jeu pour chacun des apprentis-comédiens : parler de ses parents, les portraiturer, mais aussi les interpeller sur leur vie, leur relation au théâtre, leurs attentes.

© Mohamed El Khatib

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Des échanges « médiatisés »

L’aventure se déroule au départ dans une situation particulière – le confinement imposé par le Covid –, sous forme de vidéo-conférences effectuées via Zoom. Un espace où, même si les autres sont présents, on se retrouve d’abord avec soi-même. Face à la caméra, l’autre n’a pas de réalité concrète et la parole s’en trouve facilitée. Chacun se trouve en partie libéré du regard de l’autre. Les paroles s’échangent et le spectacle projette en fond de scène une sélection de ces interventions. Il se fait l’écho de ces séances où chacun livre une partie de lui-même en abordant les relations familiales. Une certaine « trame » se dessine où les parents interviennent, parfois sous simple forme sonore et parfois en « visio ». Mohamed El Khatib est dans son élément. Réalisateur en même temps que metteur en scène et écrivain, il a coutume de développer des projets de fiction documentaire singuliers où interfèrent performance, littérature et cinéma.

© DR

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La vie en direct

Ils surgissent sur une scène vide. Tout juste un banc et deux tabourets sur un plateau blanc, comme un territoire vierge à explorer. Un groupe, compact, de jeunes gens et d’autres, isolés, qui les rejoignent. Leurs parents, ils en détaillent les petits travers, la référence incessante à la Direction générale des Impôts pour l’un, la responsabilité dont ils investissent leur progéniture – ils sont les héritiers, les porteurs du nom – pour l’autre, leurs rêves inaboutis, leurs tentations avortées d’un grand saut dans le théâtre, ou l’incompréhension quant au « métier » envisagé. Ils sont une vingtaine, venus d’horizons divers, et leurs parents ont amené avec eux leurs traditions, leurs croyances, leurs espoirs dont le poids retombe sur leur descendance. Le rêve du beau mariage pour les filles, parce qu’une femme seule c’est la déchéance. La peur du qu’en-dira-t-on, face au métier de saltimbanque ou à l’homosexualité. Les interventions intempestives, l’aveuglement ou la méconnaissance face à ces enfants qu’on ne comprend plus. Chacun va raconter des bribes de son histoire avant que les propos ne se mêlent et que les récits s’interpellent.

© Gwendal Le Flem

© Gwendal Le Flem

Familles, je ne vous hais point

Ils balancent des portraits sans complaisance de leurs parents, ces jeunes gens, dressent un portrait ironique de la génération de leurs aînés et de sa manipulation approximative d’internet et des réseaux sociaux. Ils se gaussent de leurs prétentions quand ils se gargarisent, en matière de théâtre, de leurs souvenirs de Bérénice. Les parents, ils sont forcément à côté de la plaque. Has been. C’est eux que la règle du jeu pointe comme sujets, non pas abstraits mais saisis dans leur intimité : leur rencontre, pas programmée et parfois à leur corps défendant, la manière dont ils tombent amoureux, leur mariage –  et leur séparation parfois. Leurs petites manies sont épinglées, et la question de leur sexualité est posée. Comme une énigme, ou un tabou. Excitante pour les uns, dégoûtante pour les autres, inexistante pour la majorité. Pourtant c’est à ces parents-là qu’ils demandent en permanence « Regarde-moi », comme un leitmotiv entêtant.

© Gwendal Le Flem

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Au cœur de l’expérience théâtrale, dire et écouter

Pour parachever le tableau, c’est aussi aux parents, après avoir essuyé le feu nourri du rappel de leurs petites surdités et manies quotidiennes, qu’on demande de rejoindre sur scène leurs rejetons critiques – la majorité d’entre eux le feront. On s’amuse beaucoup car ces jeunes gens tapent juste et que leur fiction des parents – car seule ici leur version est présente – pleine de vie et d’humour, nous renvoie à nos propres portraits de famille. Mais au-delà, c’est un jeu beaucoup plus complexe qui s’instaure à travers leur dynamisme et leur joie communicative. À étaler au grand jour les incompréhensions et les silences qui règnent dans les familles, ils posent la question des barrières qu’érige la société à l’intérieur même des cellules familiales  comme dans les groupes sociaux dans lesquels elles évoluent. Ne pas dire pour éviter d’ouvrir une brèche est un ressort puissant qui gouverne les relations transgénérationnelles. Ouvrir la route à une compréhension mutuelle, établir un pont, briser ce mur de verre que l’affection renforce, n’est-ce pas aussi, du côté de l’intime, l’une des fonctions « militantes » du théâtre ?

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Mes Parents

S Conception & réalisation Mohamed El Khatib avec la complicité des élèves de la Promotion 10 de l’École du TNB S Collaboration artistique Dimitri Hatton S Dramaturgie Vassia Chavaroche S Son & Vidéo Arnaud Léger S Lumières Jonathan Douchet S Montage vidéo Emmanuel Manzano S Scénographie Mathilde Vallantin-Dulac S Costumes Laure Blatter, Salomé Scotto, Mathilde Viseux S Avec la Promotion 10 de l’École du TNB, en alternance Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Romain Gy, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Merwane Tajouiti, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka S Production Théâtre national de Bretagne – Zirlib. S Avec le soutien du dispositif d’insertion de l’École supérieure d’art dramatique du TNB S Zirlib est conventionnée par le ministère de la Culture-DRAC Centre-Val de Loire, par la région Centre-Val de Loire et soutenue par la Ville d’Orléans. S Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville à Paris, au Théâtre national de Bretagne à Rennes, au Théâtre national Wallonie-Bruxelles et à Malraux-scène nationale Chambéry Savoie. S Spectacle créé le 9 novembre 2021 au Théâtre national de Bretagne de Rennes dans le cadre du Festival du TNB S Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris – Festival d’Automne à Paris S Durée 1h

Du 13 au 23 septembre 20h (relâche dim. 18 sept.)

Théâtre de la Ville-Les Abbesses - 31, rue des Abbesses. 75018 Paris

www.theatredelaville-paris.com 01 42 74 22 77

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