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Arts-chipels.fr

Max. Théâtre d’ombres sur écran blanc.

Max. Théâtre d’ombres sur écran blanc.

Cette histoire d’un enfant des champs devenu roi du monde par les vertus du cinématographe a le charme mélancolique et délicat de ce qui reste d’un acteur lorsque le temps a fait son œuvre.

Il ne reste plus aujourd’hui de lui que le nom d’une salle de cinéma mythique sur les Grands Boulevards, et une silhouette de dandy élégant en haut-de-forme, chaussures à guêtres, pantalon à fines rayures, frac et gants beurre frais. Les un peu cinéphiles savent aussi qu’il fut un acteur comique du temps du cinéma muet, connu pour son personnage de séducteur, hâbleur et porté sur le beau sexe, toujours mêlé à des aventures loufoques dont il se tire avec brio.

Quand l’oubli fait son œuvre

Moins nombreux sont ceux qui en connaissent la carrière, savent qu’il fut le premier acteur de cinéma adulé dans le monde entier avant de sombrer dans une jalousie homicide qui l’engloutit tout entier et le conduisit au suicide, un jour des morts de 1925 – il n’avait que quarante-et-un ans. Plus rares encore sont ceux qui connaissent le destin dramatique de son legs cinématographique, retrouvé enterré au fond d’un jardin par une famille, que la pièce évoque, qui exécrait les saltimbanques. Des films enfouis sans leurs boîtes, rongés, troués, illisibles – des quelques cinq cents films tournés en l’espace de vingt ans par ce petit jeune homme originaire de Saint-Loubès en Gironde, à peine une centaine demeurent.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Le retour sur images d’une confession imaginaire

Stéphane Olivié Bisson choisit de faire revivre ce personnage de légende au travers d’une évocation mémorielle. S’appuyant sur les recherches posthumes qu’effectua la fille de Max Linder sur son père qu’elle n’avait de fait pas connu puisqu’elle n’avait que quelques semaines lorsqu’il mit fin à ses jours et à ceux de sa très jeune femme qu’il aimait d’un amour exclusif avec une jalousie féroce, il imagine l’acteur revenu d'entre les morts pour entamer avec celle qu’il ne connaîtra pas un dialogue à sens unique. De son enfance et de sa vie, il lui donnera sa version – celle d’un enfant incompris, méprisé, rejeté par les siens, qui décide d’exister par lui-même en faisant du théâtre. Cette confession, il l’adresse à celle qu’il a abandonnée, comme le désir de tisser un lien qui n’a pas existé, de constituer un héritage par-delà l’oubli. Stéphane Olivié Bisson sait quelle émotion la situation recouvre : il transpose ici une situation vécue avec son propre père, homme de théâtre et acteur flamboyant qu'il a à peine croisé.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Une évocation biographique piquetée comme une pellicule

Sur l’écran noir sali par le temps, envahi de coulures, se dessine peu à peu le personnage. De nu qu’il apparaît lorsque la pièce commence, la silhouette d’un homme qui élabore peu à peu son image s’épaissit pour revêtir enfin la défroque du dandy qui ne le quittera plus. Ce qu’il raconte n’a cependant rien du conte de fées. Il déroule le cortège d’incompréhensions, d’insatisfactions, d’erreurs et d’échecs qui ponctuent un parcours qui va pourtant faire de Gabriel-Maximilien Leuvielle – qui tirera son nom, Linder, d’une boutique de Bordeaux tenue par un Alsacien – la première star internationale du cinéma, le mener un peu partout en Europe, en Espagne, en Allemagne, en Russie et surtout Outre-Manche, à Chicago comme à Hollywood.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Une performance d’acteur pour une réflexion sur le métier d’acteur

Jérémy Lopez laisse voir les failles au milieu des sourires, et les abattements qui accompagnent la gestuelle heureuse du dandy triomphant. Il fait revivre devant nos yeux ces attitudes typiques de l’époque du muet, l’expressivité nécessaire qui remplace la parole. Il fait aussi comprendre en quoi Max Linder se démarque des comiques de son temps en faisant reposer sa « modernité » sur le refus de l’outrance et sur plus de naturel. Au-delà se dessine, sous la plume de Stéphane Olivié Bisson, plus en profondeur, une réflexion sur le métier d’acteur dont Jérémy Lopez, un comédien dans le rôle d’un autre comédien,  se fait miroir à plusieurs faces. À travers cet engloutissement de Max Linder dans l’oubli après sa mort s’amorce la réflexion de ce qui reste de l'activité d’un acteur quand il a disparu. Car son travail n’est qu’écrits sur le vent, châteaux de sable dispersés par le temps. Alors, que signifie au fond consacrer sa vie à l’éphémère d’une disparition programmée ? Une fragilité touchante se masque derrière le sourire éclatant et la nonchalance…

Max. Écriture et mise en scène Stéphane Olivié Bisson

S Avec Jérémy Lopez (de la Comédie-Française) S Scénographie Erwan Creff  S Lumières Bertrand Couderc  S Vidéo Allan Hove / Kristijonas Dirse  S Musique originale Éric Capone  S Régie générale Allan Hové  S Production Le Ksamka, Coproductions Théâtre national de Nice — CDN Nice Côte D’azur, La Comédie de Picardie — Amiens, Coq Héron Productions, Lawrence Organisations, MF Investissement, ATS Production, Théâtre Comédie Odéon et le Projet Linder — Institut Lumière S Avec le soutien du Théâtre du Rond-Point  S Remerciements à la Comédie Française pour le prêt des costumes S Texte publié aux éditions Cambourakis S Durée 1h30

Du 20 septembre au 9 octobre 2022, 20h30

Théâtre du Rond-Point – 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr

TOURNÉE

18 — 20 octobre 2022 La Comédie de Picardie / Amiens (80)

22 — 25 février 2023 Théâtre Comédie Odéon / Lyon (69)

5 — 8 avril 2023 Théâtre National de Nice (06)

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