27 Septembre 2022
Cette version en créole et français de la Maison de Bernarda Alba offre une intéressante et vivante transposition de cette pièce où se joue le désir d’un groupe de femmes de s’affranchir d’une tradition qui prive les femmes de toute liberté.
C’est en 1936, pour la Barraca, le théâtre populaire ambulant fondé par Federico Garcia Lorca, que celui-ci écrit la Maison de Bernarda Alba. La Barraca, créée en 1931 avec le soutien de la toute nouvelle République espagnole, avait pour mission de diffuser le grand répertoire classique auprès des classes déshéritées. Garcia Lorca, qui en est le directeur, y propose parallèlement les trois pièces de sa trilogie rurale andalouse, Noces de sang, Yerma et la Maison de Bernarda Alba, emblématiques de la volonté militante d’affranchissement des traditions liberticides appartenant au passé et de l’esprit révolutionnaire d'émancipation qui règnent alors.
Dans le huis clos terrible d’une demeure andalouse
Le mari de Bernarda Alba est décédé et celle-ci, qui régente la maisonnée d’une main de fer, impose, conformément à la tradition, à ses filles un deuil de huit années qui les cloître dans leur maison. Elle règle les détails d’un mariage qui unira sa fille aînée, Angustias, déjà vieille fille de trente-neuf ans et l’héritière des biens, à Pepe El Romano, un beau garçon que convoite Adela, bien plus jeune et séduisante, qui l’aime et en est aimée. Les filles de Bernarda symbolisent à elles toutes les attentes et les désillusions de la classe des femmes. Adela est la seule en révolte ouverte contre la tradition. Parmi les autres, l’une rêve d’un mariage d’amour, une autre, aigrie, s’accommode bien du malheur des autres, une troisième est soumise tandis que la mère de Bernarda, sénile et quelque peu illuminée, joue les Cassandre en prophétisant une fin tragique qui ne manquera pas de se produire. Des employées de maison gravitent autour de la famille et ne se privent pas, dans des dialogues savoureux, de commenter et critiquer la situation.
Une transposition guyanaise
Odile Pedro Leal transporte la fable bien loin d’Espagne, au cœur du pays guyanais. Parce que la situation que met en scène la pièce pourrait être celle de n’importe quelle famille d’un pays où les traditions pèsent encore de tout leur poids et où les femmes ont plus de devoirs que de droits. Car c’est bien de femmes et d’émancipation dont il est question, d’un système mis en place par des hommes où les femmes n’ont que le droit de se conformer à des usages qu’elles n’ont pas voulus et dont elles sont victimes. Et gare à celle qui s’en écarte ! Car la communauté exerce un pouvoir de coercition et que l’exclusion et la solitude sont au bout du chemin, même si chacune, en privé, s’en désole et rêverait d’autre chose. La pièce, cependant, propose dans le drame une autre fin et constitue un véritable appel à la révolte.
En français et créole
Mais cette transposition ne consiste pas seulement à faire jouer, en place d’espagnoles sèches et burinées par le soleil, dressées sur les ergots érigés par leurs maris et par la société entière, des femmes d’origine africaine. La pièce donne lieu à une nouvelle écriture des corps, plus libres, plus mobiles, plus expressifs, qui donnent à la pièce une saveur particulière. Pour ancrer davantage le « message » du spectacle et lui donner sa dimension universelle, c’est une identité mixte que ces femmes proposent, où le français n'a qu'une part et se mâtine de chants et de danses propres à la culture créole. Et elles ont une sacrée « pêche », celles qui posent sur leur claustration et leur statut d’infériorité un regard critique et sans complaisance, qui se battent pour acquérir, dans la joie de vivre, les moyens de leur libération et qui dénoncent, par leurs actes et leur liberté de parole, la situation d’aliénation à laquelle on les réduit. Elles sont pleines de vie, convaincantes et lorsqu’elles se font révoltées, reçoivent le soutien des autres femmes, parce que secouer le joug exige le support de la communauté des femmes…
Si elles restent de la maison de Bernarda Alba, les neuf femmes qui peuplent le spectacle sont aussi « de Yana », de Guyane, et disent, avec leurs mots et la faconde de cette langue créole si musicale, que les grandes œuvres de l’humanité portent un message universel et que la cause des femmes est circonscrite au monde entier.
Bernarda Alba de Yana. D’après la Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca
S Adaptation et mise en scène Odile Pedro Leal S Avec Maïté Vauclin (Bernarda Alba, 60 ans), Cornélia Birba (Marie-Josefa, 80 ans), Irène Bicep (Angustias, 39 ans), Jean-Marc Lucret (Magdalena, 30 ans), Émilie Simonnet (Amélia, 27 ans), Ophélie Joh (Martirio, 24 ans), Sarah Jean-Baptiste (Adela, 20 ans), Micheline Dieye (La Poncia, 60 ans), Odile Pedro Leal (La Servante, 50 ans) S Lumières Carlos Perez S Conception du décor Carlos Perez, Odile Pedro Leal S Création des costumes Carmen Bagoe, Léa Magnein S Durée 1h15 S Une création du Grand Théâtre Itinérant de Guyane, compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication et la DAC Guyane en 2021 S Spectacle présenté au Studio Hébertot du 11 au 25 septembre 2022
Le 21 octobre 2022 à 20h
MAC Créteil – Place Salvador Allende – 94000 Créteil
Rés. 01 45 13 19 19 www.maccreteil.com