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Arts-chipels.fr

Shazam 2.0.2.1. Le retour aux sources, en forme de nouvelle visite à son œuvre passée, d’un chorégraphe touche-à-tout, visionnaire et plein d’humour.

© Laure Delamotte-Legrand

© Laure Delamotte-Legrand

Vingt ans après la création d'origine, Philippe Decouflé remonte Shazam 2.0.2.1., un spectacle emblématique de sa démarche et de sa manière de penser, avec toujours le même talent inventif, malicieux et communicatif.

Philippe Decouflé a un pedigree long comme le bras, passant aussi bien par les jeux Olympiques d’hiver d’Albertville en 1992, la revue Désirs au Crazy Horse en 2009, Wiebo, hommage à David Bowie, présenté en 2015 à la Philharmonie de Paris, des scénographies du Cirque du Soleil (Iris, 2011) ou même le premier spectacle présenté par un metteur en scène français on Broadway (Paramour, 2016), sans compter les créations pour les Opéras de Paris et de Lyon ou pour Chaillot. Touche-à-tout à la formation de mime, de clown et de danseur, postmoderne en prise avec les arts du temps – la vidéo, le manga – il ne dédaigne pas plus la publicité ou la comédie musicale ou fait son grain à moudre des majorettes et autres formes populaires. Il y promène son regard décalé, plein d’humour, allié à une inventivité toujours à l’œuvre. Shazam 2.0.2.1. n’échappe pas à la règle. Clin d’œil au cinéma, ce travail sur les images et leur mode de production lié, comme toujours, à une exploration des limites du corps, situe ce ballet entre art populaire, autobiographie, musique et amitié comme pour rappeler que le sigle de la compagnie, DCA, renvoie à « Diversité, Camaraderie, Agilité ».

© Sigrid Colomyès

© Sigrid Colomyès

Dans les reflets des images

Shazam développe sous une forme chorégraphiée une passionnante approche du corps et de son image qui mêle le cinéma et le spectacle vivant, le corps et son reflet, et sa mise en scène par l’image. Cela commence par une projection muette dont le sujet est le cadre. Cadre simple dans lequel est enfermé le personnage, cadre qu’on déborde, cadre qu’on franchit, cadre ornementé dans lequel n’apparaît qu’un détail du corps, l’œil et son mouvement. Bientôt, à la mise en images médiatisée succède la vision directe. Les danseurs, étagés dans l’espace, reproduisent – plus probablement est-ce l’inverse, ils recréent – les scènes, les attitudes, la mise en espace du corps par rapport au cadre, projetées sur l’écran. Deux caméras se mêlent au jeu, offrant en champ-contrechamp une vision complexe des rapports entre l’être, son image et la perception de l’image qu’on retrouvera plus tard dans un magnifique tableau où trois miroirs sans tain, tantôt réfléchissants et tantôt traversables par le regard, livrent un jeu d’une complexité plus grande encore entre les danseurs et leurs différents reflets, mais aussi avec d’autres danseurs qui se présentent comme des clones des précédents, entamant avec eux un ballet des apparences et des réalités aussi fascinant que passionnant. Magie des facettes qui éclairent la réalité chacune à sa manière, des apparitions et des disparitions... rappellent que « shazam » est un équivalent anglais d’« abracadabra ». Il s’applique aussi à un superhéros de comics, autre thème de prédilection de Philippe Decouflé…

© Sigrid Colomyès

© Sigrid Colomyès

L’exploration des limites

Comme toujours, le chorégraphe valse avec les frontières pour les rendre mouvantes, instables, indéfinissables. À quoi joue la musique – jazzy et rock – excellente et interprétée en live pendant le spectacle ? Qui est premier, de la musique ou de la danse ? Et que font les musiciens lorsqu’ils miment sans bruit avec leurs doigts, en rythme s’il vous plaît, le claquement des castagnettes que la musique diffuse en off ? Cette frange étroite où il devient difficile d’attribuer à chacun un rôle fixe, touche aussi les danseurs. Au début du spectacle, Decouflé s’avance au centre de la scène. Il parle de sa formation, entre mime, arts du cirque et danse, décrit Shazam comme une expérience, entamée en 1998 et toujours inachevée, esquisse une petite danse de bienvenue avant de disparaître, trois petits tours et puis s’en vont. Un peu plus tard, avec quelques variantes, les danseurs reprendront le même discours ou presque, et la répétition engendrera le comique du même genre, bien connu au cinéma.

© Sigrid Colomyès

© Sigrid Colomyès

Voyage aux limites du corps

Le spectacle ne chemine pas seulement aux frontières des genres. Il pousse les corps toujours plus loin dans la liberté du mouvement. Car dans les chorégraphies de Decouflé, le corps entier est engagé dans le moindre mouvement. Les ondulations des doigts qui gagnent les mains, puis les bras, puis le corps entier devenu liane hypnotisent le spectateur, captif de ce serpent à sonnette. Médusé, il retient son souffle tandis qu’un contre-geste, à tout moment, vient casser cette suspension pour introduire un commentaire, un accent musical, une contre-danse ou introduire un contrepoint humoristique. À voir les danseurs s’étirer à la limite de la perte d’équilibre, à les contempler comme suspendus avant la chute sans qu’un muscle ne tremble, on reste bouche bée, pris par la magie de l’extra-ordinaire qui les meut. Car même si l’exceptionnel, l’exploration des possibilités ultimes du corps, sans cesse repoussées plus avant, sont traités par la dérision et par la pirouette, le dépassement de soi est là et chacun le perçoit.

© Sigrid Colomyès

© Sigrid Colomyès

Le passage du temps

Œuvre mémorielle, Shazam 2.0.2.1. pourrait avoir comme sous-titre « Vingt ans après ». Car le spectacle révèle aussi un état d’« avant » en même temps que celui de « maintenant ». Philippe Decouflé a voulu qu’au moins en partie, les interprètes qui figuraient dans la distribution de 1998 reviennent sur la scène dans la version 2022. Si l’on retrouve les corps parfaits et athlétiques à qui il fait tenir des positions impossibles, on voit apparaître des corps vieillis, des chairs plus flasques, des bourrelets causés par les ravages du temps. Mais ils dansent aussi et explorent avec amusement leurs propres limites. Ils apportent au spectacle non seulement la vision du temps qui passe, avec l’usure qu’il provoque, mais surtout l’image poétique et chargée d’émotion d’une beauté qui perdure, à travers le vieillissement même. Le message de ce spectacle qui explore dans les deux sens le passage de l’être au paraître, dans toutes leurs acceptions, et le lien qui unit le réel à l’imaginaire pourrait être que la beauté, où qu’elle se trouve, transcende le temps.

© Sigrid Colomyès

© Sigrid Colomyès

Shazam 2.0.2.1. Un spectacle de la Compagnie DCA / Philippe Decouflé.

S Direction artistique Philippe Decouflé S Collaboratrices artistiques Pascale Henrot & Daphné Mauger (en alternance) S Avec Manon Andersen, Flavien Bernezet, Meritxell Checa Esteban, Stéphane Chivot, David Defever, Eric Martin, Alexandra Naudet, Olivier Simola, Violette Wanty, Christophe Waksmann S Musiques originales La Trabant - Sébastien Libolt, Yannick Jory, Paul Jothy & Christophe Rodomisto S Lumières Patrice Besombes S Accessoires Pierre-Jean Verbraeken S Costumes Philippe Guillotel assisté de Peggy Housset et Jean-Malo S Direction technique Lahlou Benamirouche S Régie générale Begoña Garcia Navas S Construction Guillaume Troublé S Régie vidéo/cinéma Laurent Radanovic S Régie lumières Gregory Vanheulle S Régie plateau Léon Bony & Anatole Badiali S Régie son Jean-Pierre Spirli S Films Michel Amalthieu, Jeanne Lapoirie, Dominique Willoughby & Olivier Simola S Durée 1h20 S Créé le 5 mars 1998 à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle S Production déléguée Compagnie DCA / Philippe Decouflé S Coproduction à la création en 1998 Festival de Saint-Denis, La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle, avec le soutien de la Mission Mécénat de la Caisse des Dépôts et Consignations S Coproduction à la reprise en 2021 Le Volcan, Scène national du Havre, avec le soutien de Chaillot – Théâtre National de la danse (Paris) S La Compagnie DCA est une compagnie indépendante, subventionnée par la Drac d’Île-de-France – Ministère de la Culture ainsi que par le Département de la Seine-Saint-Denis et la Ville de Saint-Denis, où elle est implantée S Ce spectacle est dédié à la mémoire de Christophe Salengro, Jean-Pierre Le Cornoux et Belle du Berry.

Du 30 juin au 10 juillet 2022, du mar. au ven. 20h, sam. 15h & 20h, dim. 15h

La Villette – Grande Halle, Espace Charlie Parker – 211, av. Jean-Jaurès, 75019 Paris

Vendredi 8 juillet - Spectacle adapté en langue des signes française par Laurent Valo, réalisation Accès Culture. La représentation sera suivie d’un bord plateau avec la compagnie et Laurent Valo.

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