Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Villes mortes. Entre réel et fantastique, la conscience d’un monde agonisant.

Villes mortes. Entre réel et fantastique, la conscience d’un monde agonisant.

Quatre femmes cheminent dans un monde à la frange entre réalité et imaginaire. Elles disent leurs désillusions et dressent un tableau de vies contrariées, désabusées, déstructurées, atomisées, où réel et fantasme se renvoient la balle.

Quatre femmes apparaissent hors scène sur un bruitage d’aéroport. Ces quatre voyageuses font la queue, comme elles le feront dans le spectacle où chacune porte un récit qui succède à celui que la précédente a rapporté. Il est question d’ouragan, de catastrophe, d’évacuation, mais les récits qui vont suivre évoquent d’autres types de catastrophes.

© Héloïse Logié

© Héloïse Logié

Au-dessous du volcan

Sur le plateau, c’est un amas de plastique épais et froissé qui occupe l’espace. Une femme attend. L’homme qu’elle aime et qui est fuyant. De sa fenêtre, elle contemple le Vésuve, masse noire parfois frissonnante. C’est le feu qui couve sous la cendre, celui de la passion de cette femme pour l’homme qui doit venir. Elle évoque les corps saisis, cramés par la vague de chaleur dans la ville noyée sous le volcan à Pompéi. Elle se projette dans les fresques du lupanar, dans le sexe qui imprègne ces grondements sous la surface. Un sexe qui sent le soufre et prend des allures de cauchemar. Elle se glisse sous le plastique qui devient volcan ou drapé antique, sur un air d’« Amore mio » pour un homme qui ne l’aime plus. Impudique, désespérée, elle tente tout, décrit tout avec une précision maniaque. Dans la chambre 407 de l’hôtel Plaza, un volcan est passé et ne laisse que des cendres…

© Héloïse Logié

© Héloïse Logié

Sous la terre

La première femme a emporté avec elle les plissements et les froissures plastiques de sa vie amoureuse détruite. Celle qui lui succède n’a pour tout accessoire qu’une chaise sur un plateau nu et les ballons d'un simulacre de fête. Pourtant elle nous transporte en plein pays minier. Les mines ont bien sûr fermé et la toux des mineurs silicosés résonne dans le silence des machines arrêtées. Ils n’ont plus que leurs souvenirs et cette statue de sainte Barbe que la narratrice explose. Leur univers a rippé de la sainte Barbe à Santa Barbara, le feuilleton télé dont ils ne manquent plus un épisode. Les personnages de la télé ont fait irruption dans leur quotidien qui s’est confit dans les cérémonies sans charme qui les rassemblent encore. Dans ce milieu au vocabulaire imagé où les anciens mineurs ne « tripent » pas fort et où l’on risque de mourir de « fret », « pogner » un sein a une odeur de sang, comme celui qui s’écoule du nez de Kelly, et les relents du mal de vivre sont partout.

© Héloïse Logié

© Héloïse Logié

Sous le dôme et sous le conflit

Les deux autres femmes nous entraîneront sous d’autres cieux mais dans un temps qui reste le nôtre. Nous voici projetés du fond de la mine dans le labyrinthe d’un centre commercial. Une musique de Noël résonne alors qu’on est en novembre, le premier, ce jour où les morts reviennent. Et justement les zombies sont revenus et se lancent à l’assaut. Mais sont-ils vraiment des morts, ou des vivants devenus zombies au milieu des rabais et des Apple stores ? De quoi devons-nous nous défendre ? Alors partir en guerre, parce que Dix30, le centre commercial symbole du capitalisme triomphant, est à abattre. De guerre justement, il est question avec le quatrième récit, qui nous transporte à Kandahar où les forces internationales se sont désengagées. Elles ont effacé le problème pour faire comme s’il n’existait plus. Comme si les exils de femmes sans espoir de retour et ce qui restait derrière n’importait pas.

© Héloïse Logié

© Héloïse Logié

Le désarroi d’une génération

Chacune des héroïnes, à sa manière vit son drame dans une réalité alternative où l’on ne distingue plus la réalité du fantasme et où toutes deux virent au cauchemar. Elles n’ont pas de nom, ces femmes, mais une parole qui reflète les affres que traversent aujourd’hui les jeunes femmes de la génération Y. Repliées sur elles-mêmes, en perte de repères, en proie aux fantasmes, nostalgiques des valeurs familiales, elles vivent en quête de causes communes qui manquent le plus souvent à l’appel. Si le lit forme le lien entre les quatre histoires, c’est qu’il reflète à la fois le trouble qui surgit au passage à l’âge adulte et le repli sur l’espace intime occasionné par un monde qui part à vau-l’eau. On imagine qu’on pourrait multiplier à l’infini les saynètes de ce récit perturbateur, diffracté, mémoire zapping, qui s’écarte de la vision linéaire d’une fiction traditionnelle. À mondes sans issue, pièces sans fin… et veillée funèbre au chevet de la conscience d’un monde qui meurt.

© Héloïse Logié

© Héloïse Logié

Villes mortes – Je me sens comme Pompéi. Texte Sarah Berthiaume (éd. de Ta Mère)

S Mise en scène Noémie Richard, assistée de Louise Robert S Décors Milena Forest S Costumes Milena Forest S Son Agnès Lerdou S Avec Anahid Gholami Saba, Héloïse Logié, Ségolène Marc, Ruthy Scetbon S Durée 1h20 S Production Compagnie 512

Aux Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris

Du 29 mai au 21 juin à 19h15, les dimanches, lundi et mardi

www.lesdechargeurs.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article