19 Juin 2022
L’exposition, organisée à l’initiative de la maison Chaumet à l’École des Beaux-Arts de Paris, offre un parcours sensible et très diversifié qui met en scène la source d’inspiration que représente la nature et les créations artistiques qu’elle a fait naître.
De tout temps le spectacle de la nature a inspiré les artistes. Reflet des états d’âme, elle est aussi souvent associée à une forme de perfection. Flotte dans son sillage le souvenir d’un âge d’or, un parfum de jardin d’Éden où l’Homme vivait en harmonie avec elle. En ces temps troublés où les atteintes à l’intégrité de la planète prennent une dimension préoccupante, le besoin de nous reconnecter à l’univers du vivant dans son entier – et les plantes en sont une partie fondamentale – apparaît comme une nécessité. Végétal, qui provoque la rencontre entre la nature telle qu’elle est, la manière dont elle a été et est perçue par les naturalistes et la source d’inspiration qu’elle représente dans la création humaine, y trouve donc une place de choix.
Pierre-Joseph Redouté et Claude Antoine Thory, « Rosa Tomentosa », dans Les Roses, Paris, Firmin Didot, tome 2, pl. [98], 1817-1824. Planche gravée en couleur. Paris, Muséum national d’Histoire naturelle © Muséum national d’Histoire naturelle
Entre botanique et beaux-arts
Placée sous le commissariat de Marc Jeanson, ancien responsable de l’Herbier du Muséum national d’Histoire naturelle, l’exposition, si elle ne regarde pas la nature sous l’angle purement botanique, vise à faire percevoir avant tout la beauté, toujours un peu mystérieuse, de cette incroyable diversité de formes et de couleurs, qui n’existe que dans la nature, née des multiples fonctions des plantes dans la grande mécanique de la planète. Les planches de botanique, qu’elles proviennent d’herbiers ou de planches dessinées ou peintes, jalonnent ainsi le parcours, qui compte près de 400 œuvres recouvrant 5 000 ans d’histoire. Conçue à l’initiative de la maison de joaillerie Chaumet, qui possède d’un des patrimoines les plus importants de l’histoire du bijou en Europe et se présente, à sa création en 1780, comme un « joailler naturaliste », l’exposition se devait de réserver une place privilégiée à la joaillerie. On y trouvera donc près de 80 objets joaillers provenant des collections de Chaumet ou d’ailleurs. Enfin, de la représentation de la nature à son interprétation par l’art – qu’il s’agisse d’en traduire la beauté ou d’en faire la matière d’une réflexion plus vaste sur le devenir de l’humanité ou une source d’inspiration déconnectée de son objet, le pas est franchi, confrontant art des siècles passés et art contemporain.
Philippe Lelièvre, Le Cèdre, 1974. Vernis mou, impression couleur sur papier Canson. Paris, École nationale supérieure des beaux-arts © Droits réservés © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais/ image Beaux-arts de Paris
Un parti pris thématique
L’exposition écarte le parti pris de la chronologie, pour privilégier une approche plus naturaliste, par milieu. Elle s’ouvre, après une courte introduction qui en situe les grandes directions, sur la nature « sauvage » avec, au premier rang, l’arbre et la forêt. Elle aborde ensuite le milieu marin et l’infinie variété des algues qui peuplent l’estran. Des eaux agitées par la mer aux eaux douces où s’élèvent les roseaux, peuplées d’oiseaux de toute sorte et de libellules vibrionnantes dont l'art Nouveau fera un bel usage, le passage est aisé avant d’aborder la nature façonnée par l’homme sous ses deux aspects : l’utilitaire, avec les céréales et le potager, l’agrément dans l’explosion colorée des fleurs qui s’installent au jardin. La présence humaine boucle la boucle avec les portraits faits de fruits et de fleurs de Giuseppe Arcimboldo (le Printemps et l’Été, 1573), prêtés par le Louvre.
Joseph Chaumet, Diadème aux boutons d’églantine, vers 1922. Platine, diamants, perles. Collection particulière © Droits réservés
La beauté, sous toutes ses formes
Les formes que prend la représentation de la nature sont ici montrées dans leur diversité. On y trouve aussi bien le report d’une figure préhistorique de palmier, des plantes collées sur un herbier avec toutes leurs caractéristiques physiques et leurs particularités, des phasmes épinglés, que les croquis préliminaires à la naissance d’un bijou, des maquettes en maillechort grandeur réelle destinées à étudier ces formes qui seront d’or et de platine, serties de diamants et de pierres précieuses. Les textiles – soie brodée, velours frappé… – ont leur part, tout comme les vêtements de mode et la tapisserie, la marqueterie de bois ou de marbre, les fleurs de porcelaine, les coupes, les vases, les peintures et les sculptures de toutes époques, mais aussi les photographies, tels ces cyanotypes d’algues de la botaniste Anna Atkins, exposés malgré leur fragilité.
Jules Fossin, Broche trèfle de l’impératrice Eugénie, 1853. Or, argent, émail vert translucide et diamants. Paris, collections Chaumet © Droits réservés
De merveilles en surprises
Cette traversée de la science et de l’art réserve de multiples plaisirs. Les dessins bien connus de Rebouté vont de pair avec les plantes japonaises en aquarelle et gouache sur papier de riz d’Ogi Gengai et de Mikuma Shikô (xviiie siècle) ou avec les courges visitées par les guêpes, réalisées au crayon et à l’aquarelle par Émile Gallé. On reste en arrêt devant un diadème en forme d’ailes en platine, diamant et émaux de Chaumet ou devant la finesse de ce martin-pêcheur, réalisé par Pierre Sterlé pour Chaumet, en lapis-lazuli, or brossé et diamant d’une finesse incomparable, ou devant le Diadème fleurs de pensée de Jules Fossin, en or, argent et diamants, où les pétales, faits d’un émail translucide, sont pleins de délicatesse. On s'étonne de ce radis en or, argent, diamant et émail d'Henri Vever (vers 1890-1900) monté en broche. On peut ajouter la beauté des pièces historiques, tel ce fossile de rameau de laurier daté du cénozoïque (25 millions d’années avant notre ère) découvert dans l’Aude, ou cette couronne de myrte dorée, découverte à Derveni en Grèce et datée du ive siècle avant notre ère.
Gustave Caillebotte, Chrysanthèmes blancs et jaunes, 1893. Huile sur toile. Collection particulière © Rebecca Fanuele
Au-delà de l’imitation, l’interprétation
Les Nymphéas de Monet – et d’autres – sont des incontournables, et les iris du même peintre voisinent avec ceux d’Otto Dix. Les capucines au motif japonisant et les chrysanthèmes de Caillebotte accompagnent les fleurs de Gustave Courbet, les tulipes de Berthe Morisot ou les études de chardons de Delacroix. La photographie n’est pas en reste avec les jacinthes de Dora Maar, l’opulence des pivoines de Mapplethorpe ou le pistil de tulipe débordant de sensualité de Brassaï. Et puis l’on s’éloigne de la représentation du réel. Avec la Tapisserie de fabrication franco-flamande « Mille-fleurs », dite de l’Adoration (1530-1535), utilisée à Pistoia en Italie lors du Vendredi Saint, et ses 230 plantes, on aborde aux rives de l’imaginaire. La symphonie de la nature s’accompagne de lapins s’ébattant en liberté mais aussi d’une licorne comme pour renvoyer le spectateur au souvenir, peut-être, d’un monde disparu. La relation entre les formes de la nature et l’architecture est présente dans la mise en relation d’une photographie de Nymphea regia, un nymphéa géant d’Amazonie que Joseph Paxton, chef jardinier du domaine de Chatsworth, fit fleurir pour la première fois en construisant une serre adaptée à ses besoins. Fasciné par la nervation de ces gigantesques feuilles, il la transposa dans l’architecture du Crystal Palace dont il fut l’un des concepteurs et que réalisa Richard Armiger en 1850-1851. Le dessin de branches bourgeonnantes à visage humain de Karl Blossfeld (1928) intitulé Urformen der Kunst (Formes primitives de l’art) est une invitation au voyage que Séraphine de Senlis, avec ses Grappes de raisin proliférantes (v. 1930) permet de poursuivre. Il y a cette photographie troublante d’un arbre suspendu à l’envers et son pendant provenant de la Maison Morel & Cie, un projet de candélabre pour le surtout du Prince Radziwill (v. 1845) avec ses chandelles, accrochées aux branches comme un pied-de-nez à un possible incendie. Il y a enfin la saisissante forêt d’Eva Jospin (Galleria 2020-2021) réalisée en carton ondulé, bois et colle, qui ouvre l’exposition, où le naturel a cédé la place à l’artificiel, ou encore cette installation de Giuseppe Penone (Alpi Marittime, 1968-1973) où il place une main en bronze sur le tronc d’un arbre qu’il photographie, à cinq ans d’intervalle. Le tronc se reforme autour de cette excroissance artificielle, comme une résilience de l’arbre face aux déprédations de l’homme, et Penone sous-titre, marquant l’impact de la présence humaine : « Il continuera à croître, sauf à cet endroit ».
Bien d’autres œuvres mériteraient qu’on les commente ou les mette en exergue et chacun – passionnés de plantes, amateurs d’objets d’exception ou férus d’art – y trouvera son propre grain à moudre. Ce qui ressort à coup sûr, c’est l’intérêt de la démarche et la richesse de la sélection qui ouvrent un champ de possibles dans lequel le spectateur peut s’ébattre à loisir…
Brassaï (Gyula Halász, dit), Pistil, vers 1932. Tirage gélatino-argentique. Paris, centre Pompidou, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, donation de Mme Gilberte Brassaï © Droits réservés
Végétal- L’École de la beauté
Exposition réalisée à l’initiative de la maison Chaumet, avec le concours des Beaux-Arts de Paris et avec la participation exceptionnelle du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, du musée d’Orsay et du musée du Louvre.
Commissaire de l’exposition Marc Jeanson Scénographie Studio Adrien Gardère Sélection musicale Laurence Equilbey / Insula Orchestra Affiche Emmanuel Guibert
Aux Beaux-Arts de Paris- 13, quai Malaquais, 75006 Paris
Du 16 juin au 4 septembre 2022. Du mercredi au dimanche, de 12h à 20h
Billetterie responsable. Sur réservation sur www.chaumet.com