30 Juin 2022
En paroles et musique, Philippe Meyer nous fait partager son amour de Paris, un Paris disparu dont le souvenir flotte comme une brume entêtante dans la mémoire amusée, attentive et humoristique du piéton qu’il a été dans une ville qui n’existe plus.
Pupitre, lumière et accordéon et pas plus d’artifice pour errer par les rues d’un Paris disparu, en son cœur et son ventre, en ses hauteurs où se réfugie la mémoire populaire et le long des canaux qui en forment la résille. Des Halles, avec leurs pavillons de métal sacrifiés sur l’autel pompidolien de la modernité, dans le vacarme de la ville qui ne dort jamais où l’on se croise, parfois sans se reconnaître, où l’on s’aime et où l'on se déteste, et où s’active une population bigarrée et bruyante qui s’interpelle, jusqu’à la Butte ou au canal Saint-Martin, c’est toute une histoire en zigzag que nous conte l’auteur dans un parcours où citations littéraires, commentaires et chansons se donnent la main.
Au croisement de l’histoire…
Ce sont les récits de voyageurs et les déclarations d’amour à Paris qui ouvrent le bal. De Jean de Salisbury au Moyen-Âge au mur des Fédérés fusillés pour l’exemple dans les dernières heures de la Commune de Paris, de Montaigne qui en aime même les verrues et les taches au Baudelaire des « vauriens » qui peuplent les poèmes en prose du Spleen de Paris ou à Louise Michel, l’enseignante et pasionaria révolutionnaire, de Charles Quint qui y voyait un monde à Victor Hugo qui en souligne l’association du grandiose et du burlesque, c’est à une traversée dans le temps que Philippe Meyer nous convie. On y découvre l’origine de l’expression « faire des économies de bouts de chandelles ». On voit s’y dérouler la fronde des Fermiers généraux contre le papier monnaie de Law. On y savoure les polémiques autour de la mise en service du « métropolitain ». On se cultive sans avoir l’air d’y toucher.
… et de la mémoire populaire
Paris ne serait pas Paris sans les chansons qui escortent son histoire, sans les échafauds de la rue des Blancs-Manteaux, sans les ritournelles du temps où Pantin s’appelait Pantruche, sans ce Paris, gris le jour, gris la nuit dans lequel passent et repassent, décrépits et charmants, les vieux messieurs du Luxembourg comme les hirondelles à vélo. On suit des jeunes filles aux yeux de ciel amoureuses d’un beau gosse qui les laisse tomber, ou la Chabraque au chien-loup chien-fou, insensible aux trompeuses sirènes des bourgeois et toquée d’un minable. Il y a les chansons de la Butte, qui nous trimballent place du Tertre, à Pigalle ou Place Blanche, et la silhouette de Madame Arthur, escortée par sa foule d’amants, qu’Yvette Guilbert nous a léguée. On retrouve des airs oubliés, on fredonne dans sa tête. L’accordéon de Jean-Claude Laudat distille ce parfum inimitable du temps passé, le temps des pierreuses et des goualeuses, le temps de rire et celui de pleurer, le temps de vivre et celui de mourir, le temps de se battre et celui d’aimer.
Dans la ville qui s’est perdue…
Et puis il y a la nostalgie de ce temps où Paris était un cœur, où Paris était un esprit. Philippe Meyer évoque cette ville qui attirait comme un aimant les provinciaux venus de leur « désert sans solitude », qui mélangeait un monde de princes et de princesses en exil avec l’insolence railleuse et rieuse des « titis ». Il rappelle que la ville se désertifie chaque année un peu plus et qu’elle se gentrifie et s’embourgeoise. Qu'elle expulse la « crasse » et les petits métiers et que la disparition des Halles a sonné le glas des « existences problématiques » qui formaient le tissu et le sel de Paris. Et s’il rappelle malicieusement que dans l’Antiquité commerce et culture avaient un même dieu, qui était aussi le dieu des voleurs, et que les Halles, au lieu d’être le « non-lieu » qu’elles sont aujourd’hui, voyaient, sous les architectures de métal et de verre de Baltard, passer les chariots emportés du Roland furieux de l’Arioste monté par Luca Ronconi, c’est aussi pour nous dire qu’il ne reconnaît plus cette ville et qu’elle n’est plus sa ville. La ville où, sur les traces de Barbara à l’Écluse, on pouvait dire « C’est moi que j’suis la Joconde »...
Paris la grande de et avec Philippe Meyer
S Mise en scène Benoît Carré S À l’accordéon Jean-Claude Laudat S Production Sea Art S Coréalisation Théâtre Lucernaire S Durée 1h20
Du 8 juin au 21 août à 20h, du mercredi au samedi, le dimanche à 17h
Le Lucernaire - 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Rés. www.lucernaire.fr et 01 45 44 57 34