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Arts-chipels.fr

L’Oral et hardi. Au pays des mots tortus, des syntaxes d’habitation linguistique et des granmaires improbables.

© Carole Bellaïche

© Carole Bellaïche

Entre Verheggen et Bonnaffé, une plongée de bonne foi dans la truculence et les acrobaties langagières d’un poète qui tourne la langue dans sa bouche mais parle quand même, et qu’on a envie d’écouter.

Il se présente, propre sur lui dans son petit costume, comédien emprunté dont on ne sait pas s’il parle de lui ou nous narre déjà le texte. Il hésite, butte sur les mots. Il lui est difficile de prendre vie – pardon, voix – dans cet univers où même un cerveau « à mobilité réduite » ne risque pas de perdre pied. Nous voilà partis, sans savoir où nous allons, sur les traces de celui qui a fait de l’assonance et du jeu de mots un art à part entière. Et Bonnaffé sait y faire, de nous balader dans ces histoires belges sans histoire – il est du Nord, lui aussi, il n’est pas dépaysé…

© Carole Bellaïche

© Carole Bellaïche

Un pouët poète

Il n’a pas sa langue dans sa poche, celui qui enfourche celle d’Artaud Rimbur pour nous dire qu’au fond, la langue c’est de la viande pourrie, avant de s’enfoncer dans le caméléon Personne-Pessoa, dénoncer les vertiges ridicules de la grande poésie, Verlaine et Saint-John « Berce mon cœur d’une longueur… » vraiment monotone. Entre saint Antoine et San Antonio, il se livre à un art de la fuite des institutions, à la mise à l’écart des « Régularisés » et des « Ultimes Surréalistes », à un vibrant appel à quitter tous les chemins convenus. À saute-mouton sur les mots, un son en appelle un autre. Aux ironiques s’ajoutent les Iroquois, aux nymphettes en jupette, Verheggen met aux trousses les sado-machaussettes. Il sait trousser, accumuler et railler les travers linguistiques de nos chers managers – organisationnels, tout en paramètres qualitatifs, en changements analytiques et en résultats cumulatifs… Il a aussi des lettres, le bougre ! Si Carthage doit être détruite, en latin dans le texte, Carthagogo est dans le même sac. Quant à Maisoùetdoncornicar, il en prend pour son grade. Mais la langue trouve grâce quand elle se nomme wallon, une langue prétend-on, en « voix » d’extinction, et il a pour ses apocopes, élisions orales, calembours et expressions phonétiques les yeux doux de Chimène.

© Carole Bellaïche

© Carole Bellaïche

Un p’tit détour par le p’tit ch’nord !

Jacques Bonnaffé, lui, est solidaire de cette langue si proche de celle qu’on parle chez lui, à Douai, dans le nord de la France. Son grain de sel, il l’extrait de cette terre, en isole les cristaux qu’il fait sonner avec le texte de Verheggen. Sautillant, emporté, dynamique, il joue avec le plateau comme il joue avec les mots, dévidant, avec l’accent, le long rouleau de ces richesses populaires accumulées par la tradition orale dans lesquelles il se retrouve. Tâcheron inspiré qui n’a pas peur des taches sur son tablier ou sur son costume, zouave sans culotte mais assez Sans-culotte, il se démène, s’agite, s’emballe, mélange la voix de Cafougnette, sorte de Marius ch’ti créé par un poète mineur, Jules Mousseron, à celle de Verheggen. Il faut dire que c’est dans ses cordes, à lui aussi, le goût des mots, et à la compagnie « faisan », grande organisatrice de banquets littéraires, qui rassemble poètes, musiciens – de jazz en particulier –, comédiennes et comédiens autour d’une cuisine qui n’est pas que linguistique. De bonne chère, en tout cas, au théâtre de la Bastille – ou ailleurs si ce spectacle, créé il y a dix ans, récompensé d’un Molière et repris aujourd’hui, tourne à nouveau, ce qu’on peut espérer – il n’y a que cette parole provocatrice, insolente, singulière, infiniment séduisante, interprétée par un comédien inspiré. C’est déjà beaucoup…

© Carole Bellaïche

© Carole Bellaïche

L’Oral et hardi – Allocution poétique

S Textes de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonnaffé S Jeu et mise en scène Jacques Bonnaffé S Avec le regard et la complicité de Luc Leclec du Sablon S Scénographie Michel Vandestien S Lumières Orazio Trotta S Musiques Louis Sclavis (extraites de l’album La Moitié du monde) S Collaboration sonore Bernard Vallery S Régie générale Gaëtan Lajoye S Durée 1h20 S Production Compagnie faisan - Jacques Bonnaffé S Coproduction Théâtre Sénart - Scène nationale S Production et administration Émilie Morin S Diffusion Carol Ghionda

Du 1er au 24 juin 2022 (sf dimanches et le 6 juin)

Théâtre de la Bastille – 76, rue de la Roquette, 75011 Paris

Rés. 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com

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