8 Juin 2022
On connaissait le principe du cadavre exquis, inventé par les surréalistes. L’appliquer au théâtre a quelque chose d’un jeu dadaïste. L’« histoire » y prend à coup sûr un coup dans l’aile. Mais faut-il réellement la suivre ? Rien n’est moins sûr…
Vers 1925, Jacques Prévert, Marcel Duhamel et le peintre Yves Tanguy habitent ensemble, au 54, rue du Château à Paris. Les surréalistes sont, on le sait, plutôt joueurs, expérimentateurs, manipulateurs de formes. C’est donc tout naturellement que naît le principe d’un jeu où chaque participant s'attelle, sans voir ce qu’a inventé le précédent, à la composition d’une phrase qui reprend les éléments « normaux » qu’on connaît : sujet, verbe, complément, adjectifs. La première expérimentation fait sortir du chapeau : « Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau. ». Le Dictionnaire abrégé du surréalisme, paru en 1938, en enrichira le champ d’action : « Jeu qui consiste à faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu'aucune d'elles ne puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. ». L’appliquer au théâtre, par essence espace du jeu, s’inscrit dans le droit fil de cette « philosophie ».
Auteurs multiples, couple de comédiens uniques
Six auteurs sont sollicités pour prendre part au jeu : Jacques Chambon, Olivier Maille, Philippe Elno, Jean-Yves Girin, Loan Hill et Peter Dervillez qui en est aussi l’un des interprètes. La règle qui leur est donnée : écrire chacun un texte de 6-8 pages pour deux comédiens, à chaque fois en n’ayant connaissance que de la dernière page écrite par l’auteur précédent, sans avoir aucune indication de la situation initiale. C’est ce que nous explique la projection – humoristique – qui ouvre le spectacle. Ensuite, advienne que pourra et même si les versions successives se contredisent, au metteur en scène et aux comédiens de les faire tenir d’aplomb et de nous proposer une somme qui nous tienne en haleine plus d'une heure durant…
On est où, là ?
C’est ainsi qu’on se retrouve au terme d’une soirée visiblement arrosée. Un cadavre de bouteille traîne sous un Récamier. Un homme et une femme qui ne se connaissent pas se réveillent dans la même pièce. Comment se sont-ils retrouvés là ? Que va-t-il leur arriver au fil des épisodes ajoutés par chacun des auteurs ? Comment la situation va-t-elle évoluer ? Chaque auteur y va de son imaginaire, de sa plume et les personnages se métamorphosent selon le schéma établi par leur créateur. Tous les registres de langage seront permis, toutes les invraisemblances aussi, pourvu que nos acteurs puissent se glisser dans la peau de ces personnages caméléons. Et ils le font avec beaucoup d’allant et de brio, passant d’un registre à l’autre avec un plaisir de jouer et un humour ravageur et contagieux. Pour le théâtre à thèse, vous repasserez. Mais si la délectation de voir des comédiens s’amuser avec un texte, brillant au demeurant, vous suffit – parce qu’après tout on est au théâtre – ne vous privez pas. On passe un excellent moment !
De - Jacques Chambon, Olivier Maille, Philippe Elno, Jean-Yves Girin, Loan Hill et Peter Dervillez Mise en scène - Marc Andreini Avec - Élisa Birsel et Peter Dervillez Production - Théâtre de Poche Graslin (Nantes)
La Nouvelle Seine – face au 3, quai de Montebello – 75005 Paris
Le 14 juin à 21h
https://phenixfestival.com/spectacles/cadavre-exquis
Et à l’Arto – 3, rue Râteau – 84000 Avignon
Du 7 au 31 juillet, 18h10, durant le Festival