Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Angela Davis. Démêler l’écheveau des discriminations, c’est les traiter toutes ensemble, hier comme aujourd’hui…

© Jérémie Lévy

© Jérémie Lévy

Angela Davis, vous connaissez ? Pas évident pour les générations X, Y et Z… Où l’on découvrira que cette petite révision générale issue des années 1970 donne à penser pour aujourd’hui.

Côté cour, un écran est installé. L’actrice qui joue Angela Davis est interviewée par le metteur en scène du spectacle. Ça commence par le contemporain, l’élection de Trump, et la position d’Angela Davis, qui ne soutient pas Hillary Clinton pour des raisons politiques – le Parti Démocrate, comme le Républicain, sont trop liés aux intérêts capitalistes. Une manière de dire qu’Angela Davis n’est pas morte, même si sa mémoire s’est quelque peu perdue, en tout cas en Europe, au fil des décennies, après les années 1970 où elle devint – à son corps défendant – l’ennemi public numéro un traqué par le FBI aux États-Unis. Une manière aussi de privilégier l’analyse sur la prise de position a priori. Car c’est bien de cela dont il est question. Au-delà des slogans et des jugements à l’emporte-pièce, l’attitude philosophique de celle qui porte en bandoulière sa façon singulière de revendiquer son identité de noire, de femme et de communiste, mais pas seulement, a beaucoup à nous apporter.

© Jérémie Lévy

© Jérémie Lévy

Une théâtralité volontairement minimaliste

Peu d’éléments concourent à créer le spectacle. En dehors de l’écran sur lequel apparaîtront des documents d’archives des années 1970 – émeutes, poing levé des athlètes noirs au JO de Mexico en 1968, manifestations américaines, mais aussi françaises, qui mêlent l’opposition à la guerre du Vietnam au soutien à Angela Davis et aux Black Panthers, entre autres – c’est sous la forme d’une conférence politique et poétique que se présente le spectacle. La conférencière – la comédienne qui joue Angela – se présentera face au public pour évoquer sa vie et ses rencontres, et la manière qui lui est propre de lier intimement expérience de vie, pensée et action politique. La parole et la prise de parole jouent un rôle fondamental dans la vie de celle qui fut une icône et dont la chevelure, fièrement revendiquée « afro », inspira et inspire encore nombre de coiffures « opposantes ». Seule en scène, elle manipule elle-même les instruments de sa présentation.

Entre conférence, slam et rap

Mêlé aux extraits des discours d’Angela, aux archives vidéo et au texte de Faustine, le rap apporte la dimension d’une poétique contemporaine. Sur une petite table équipée d’une loop station et avec pour seul accessoire un micro, la comédienne convie en direct la musique des mots composée par le rappeur franco-sénégalais Blade MC Alimbaye. À cheval entre des identités, né en Normandie, il incarne cette mixité qui nous compose. Il fait résonner, sur un rythme slamé, les échos de la parole d’Angela Davis, rythme et rime l’enfer d’un tribunal où « bâtards » et « barbares » se retrouvent dans un univers où « probatoire », « moratoire », « compensatoire », « diffamatoire », renvoient aux « négros / sous les barreaux / dans les cachots ». Les images prennent tout à coup l’allure d’une langue d’aujourd’hui. Le rap, genre politique par excellence, dans les saccades et les heurts qui font grincer les mots, rend présente l’inscription d’une parole militante dans un espace poétique.

© Jérémie Lévy

© Jérémie Lévy

Une petite fille noire dans un pays où égalité de droit n’est pas égalité de fait

Les incursions contemporaines qui émaillent le spectacle ne font pas oublier la trajectoire d’Angela Davis. Elle revient sur son enfance de fillette noire élevée en Alabama dans un quartier surnommé Dynamite Hill en raison des plasticages réguliers du Ku Kux Klan. Elle décrit les vexations que subissent les « négros », les matraquages et les meurtres racistes qui sont monnaie courante, l’inertie de la police quand celle-ci ne participe pas à la violence. Elle évoque les premières figures qui se dressent, celle de Rosa Parks qui refuse, à l’intérieur d’un bus, de s’installer dans les places réservées aux noirs, et l’impression de respirer quand elle gagne New York pour y faire ses études, son adhésion au Parti communiste et aux Black Panthers. Elle explique comment elle est devenue, à tort, l’« ennemi » traqué par la police américaine, les conditions de sa cavale et de sa capture, la peur au ventre d’être descendue et la victoire que représente le procès qui l’innocente.

© Jérémie Lévy

© Jérémie Lévy

Une personnalité qui ne se laisse pas enfermer

Étudiante à la Sorbonne et à Francfort, celle qui s’intéresse à Sartre et à Camus, suit les conférences de Theodor W. Adorno et étudie avec Herbert Marcuse dont la pensée se situe à la croisée de Marx et de Freud, utilise, articulant le particulier et le général, les expériences de sa propre vie pour forger son expression théorique. Elle se veut libre. Femme, marxiste et noire. Mais son combat ne s’inscrit pas dans les cases qu’on lui assigne. Sa lutte pour les droits des noirs se rattache à la lutte globale qu’elle mène contre les discriminations. Elle s’attaque à l’antisémitisme et place la lutte des femmes au même niveau. Au sein des Black Panthers – le parti se déclare au départ comme « la crème de la masculinité noire » et l’égalité hommes-femmes est loin d’être la règle pour tous –, elle ne craint pas de s’inscrire en faux. Son opposition au séparatisme professé par certaines des organisations du Black Nationalism, qui prônent la création d’un État noir, lui vaut aussi d’être rejetée. Elle n’en rejoint pas pour autant l’intégrationnisme de Martin Luther King. Internationaliste, elle cherche à faire cause commune de toutes les injustices dans le monde, transcende les genres et les frontières et hisse l’expérience individuelle au niveau d’une compréhension sociale et politique globale. Écouter cette voix, dans notre époque où se fortifient les communautarismes et les mouvements extrêmes et où se développent les discriminations en tout genre, peut aider à recentrer le curseur…

© Jérémie Lévy

© Jérémie Lévy

Angela Davis. Une histoire des États-Unis de Faustine Noguès

S Sur une idée originale de Paul Desveaux & Véronique Felenbok S Mise en scène & scénographie Paul Desveaux S Assistante à la mise en scène Ada Harb S Avec Astrid Bayiha, en alternance avec Flora Chéreau S Création musicale & coaching chansons Blade AliMBaye S Lumière Laurent Schneegans S Images Jérémie Lévy S Régie générale Johan Allanic S Résidences de création Théâtre Le Passage / Fécamp, L’Eclat / Pont Audemer, Le Magasin / Malakoff, L’Etincelle / La Chapelle St Louis / Rouen Théâtre du Passage / Fécamp S Créé à Fécamp le 9 novembre 2021 S Production L’héliotrope S Coproduction L’éclat / Pont Audemer, L’étincelle / Rouen, Théâtre Le Passage / Fécamp, avec la participation artistique du Studio|ESCA L’héliotrope est une compagnie conventionnée par la DRAC et la Région Normandie. S Présenté au Théâtre Paris-Villette en mai-juin 2022 et au Théâtre des Halles (Avignon) en juillet 2022.

TOURNÉE 2024

Théâtre Le Sémaphore - Port-de-Bouc le 12 avril 2024

Théâtre Fontblanche – Vitrolles le 14 mai 2024

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article