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Arts-chipels.fr

Pablo Reinoso. Circonvolutions et débordements.

Les Trois Grâces, 2012. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Les Trois Grâces, 2012. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Deux expositions sont consacrées au même moment à l’artiste franco-argentin Pablo Reinoso. La première, au château de Chambord, fait suite à une résidence de l’artiste. La seconde lui est consacrée par la galerie Xippas, à Paris.

Pablo Reisono est installé à Paris depuis 1978. À la croisée de la sculpture, de l’installation, de l’architecture, du design et de la peinture, il crée une œuvre qui se démarque des frontières de genres pour venir s’inscrire dans une conception plus environnementale et réflexive de l’art, dans laquelle une nature qui ne cesse de s’émanciper joue un grand rôle. Utilisant le plus souvent le bois ou le métal, il procède par détournements. Une vie autonome semble animer les œuvres de Pablo Reinoso. Comme si les objets, affranchis des limites imposées par la main de l’homme, se trouvaient doués d’autonomie pour sortir du cadre imposé. Comme s’ils ne cessaient de grandir, de se développer dans l’espace, fût-il à deux dimensions. Comme si, tout à coup, ils prenaient leur revanche sur les obligations qui leurs sont  traditionnellement imparties en repoussant les limites habituellement fixées.

Promenade, 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Promenade, 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Ceci est-il un banc ?

Les objets « utilitaires » abondent dans l’œuvre de Pablo Reinoso. Bancs et chaises déroulent ainsi dans l’espace leur formes de bois tourné, plissé ou courbé à chaud, révélant, à travers leur architecture de longs rubans alanguis en de lentes circonvolutions, la matière même qui les compose. Ceci n’est pas une chaise, pourrait-on dire, paraphrasant Magritte, des sièges, dépouillés de leur fonction utilitaire par l’absence d’assise qui développent ainsi, tout en sinuosités, leurs empilements dénués d’usage, ou semblent étirer sur le sol leur ombre matérialisée en bois. Les cadres de bois accrochés au mur n’exposent plus qu’eux-mêmes dans les circonvolutions savantes où des tasseaux de bois enchevêtrés sortent du cadre. Quant aux bancs « Spaghetti », qui semblent avoir choisi, délibérément, de s'emparer de l'espace en débordant de la fonction qu’on leur assigne, s’ils servent encore de siège, c’est en même temps en empruntant des chemins de traverse inattendus, des formes buissonnières, en laissant s’échapper les lattes qui les composent tels fumée sans feu ou complexe tressage. Proliférantes, les lanières de bois grimpent ou s’étalent au sol, comme une plante qu’on aurait négligé de tailler.

Photo Galerie Xippas, Paris © DR © ADAGP, 2022

Photo Galerie Xippas, Paris © DR © ADAGP, 2022

Saisir la respiration de la nature

Dans le temps même où provocation et détournement semblent de mise s’élève un suave parfum d’harmonie. Car, hormis la rigidité des Frames – déjà tempérée par les formes arrondies – qui marquait les œuvres du début, la courbe domine, et avec elle un sentiment de plénitude. Les objets, libérés de la pesanteur de la reproduction mécanique, semblent prendre leurs aises. Le bois respire, grandit, prolifère réoccupe son espace. Le vivant et l’artificiel se réconcilient pour faire danser des arbres associant bois et métal, qui développent leurs formes élancées et graciles dans le cycle récent des Up Rooted. Arbres lianes aux formes mouvantes, blocs articulés qui semblent figurer un enfant avec ses parents, ou on ne sait quelle représentation anthropomorphe qui intègrerait l’homme dans la nature, oiseaux de fer, libérés de tout volume, qui planent dans les airs… il y a dans ces sculptures immobiles comme une vibration subtile qui met en situation et en accord l’objet exposé avec un impalpable du monde. Et puis il y a ces « Respirantes », commencées dans les années 1990 et réactualisées, qui mettent cette fois directement en scène la pulsation vitale qui anime de petits coussinets de tissus, animés par un ventilateur, qui se gonflent et se dégonflent comme pour nous inciter à régler notre respiration sur ce rythme qui nous dépasse.

La grande parole, 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

La grande parole, 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Plonger dans l’esprit des lieux

De cette osmose entre l’œuvre et le monde, on retiendra l’importance que l’esprit des lieux occupe dans le processus de création. Aussi, lorsque Yannick Mercoyrol, directeur du Patrimoine et de la programmation culturelle du Domaine national de Chambord, invite Pablo Reinoso à une résidence d’artiste dans le château, débouchant sur une importante exposition qui traverse quarante ans de création, c'est tout naturellement que l'artiste s'inscrit dans ce projet. Pablo Reinoso avait déjà créé in situ. Sur les quais de Saône à Lyon, l’environnement jouait un rôle fort. Inondées trois mois par an, et parfois recouvertes entièrement, les sculptures qu'il avait installées disparaissaient pour réapparaître quelque temps après. Capter la réalité de Chambord représentait donc un enjeu pour l'artiste. Quand « on se retrouve dans le contexte si particulier d’un château, ou d’un autre lieu de ce type, il faut prendre le temps d’intégrer leur histoire, leur inertie, leur âme et il faut parvenir à glisser son regard dans ce cadre », exprime l'artiste.

Extinguo & Feu de tout bois, 2022. Photos © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022Extinguo & Feu de tout bois, 2022. Photos © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Extinguo & Feu de tout bois, 2022. Photos © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

À Chambord, la conjonction d’une œuvre et d’un lieu

Plus de cinquante œuvres de Pablo Reinoso sont exposées à Chambord, en intérieur comme en extérieur. Vingt-trois d’entre elles ont été créées spécialement pour le lieu. Pour la première fois dans l’histoire de Chambord, un artiste investit le noyau du célèbre escalier à double révolution, dont la légende veut, à tort, qu’il ait été conçu par Léonard de Vinci. Il y déroule une installation d’œuvres « Respirantes » sur plus de 18 mètres. Dans les cheminées du deuxième étage prennent place des bois en flammes qui ne brûlent pas mais élèvent leurs volutes dans l’espace. Ailleurs, les bûches en fonte de fer évoquent une combustion impossible tandis qu’une salamandre, emblème de François Ier, rappelle la sculpture surmontée d’une couronne à Chambord, qui porte la devise « Nutrisco et Extinguo » (« Je me nourris du bon feu et j’éteins le mauvais »). Si l’artiste fait ici feu de tout bois, c’est paradoxalement, en montrant une combustion impossible. Il développe aussi à l’intérieur du château sept peintures à l’encre de Chine, prolongeant une exploration plastique entamée en 2020. Les circonvolutions étranges de ces figures fermées, au contraire des sculptures et installations où l’évasion semble la règle, rappellent les méandres complexes du cerveau ou les plissements des coquillages ou encore le développement énigmatique de structures imaginaires. Parfois, prolongeant dans l’espace l’esprit des bancs Spaghetti, elles se développent en rubans, longues algues entrelacées qui nous invitent au voyage.

Révolution végétale (d’après Léonard), 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Révolution végétale (d’après Léonard), 2022. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

En extérieur aussi

Les Arbres de bois et de métal prennent place au milieu des allées boisées. Still Tree déploiera ses branches d’acier au cœur du bosquet de merisiers tandis que la Révolution végétale (d’après Léonard), sculpture monumentale en pierre et métal déployant des marches ouvertes sur le vide, formera comme le contrepoint de l’escalier à double révolution. Les Bancs trouvent aussi leur place parmi les douze sculptures de l’artiste disséminées dans le parc. Des sièges disposés dans le parc élèvent de hautes ramures comme branches tendues vers le ciel. Enfin une installation monumentale de 45 mètres de haut, emblématique de son exploration de la peinture à l’encre de Chine, vient habiller la tour Robert de Parme.

Impertinence, humour et métaphore sont au rendez-vous de cette œuvre qui plonge ses racines dans la conscience d’une nature aujourd’hui mise à mal, qui prend, d’une certaine manière, sa revanche en détournant les détournements que l’homme a perpétrés. Une belle leçon à retenir en même temps qu’un grand plaisir esthétique, à découvrir au Château de Chambord ou à la galerie Xippas.

Éclosion, 2021. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Éclosion, 2021. Photo © Rodrigo Reinoso © ADAGP, 2022

Domaine national de Chambord - 41 250 Chambord

Du 1er mai au 4 septembre 2022, de 9h à 17h

Rés. www.chambord.org Tél. 02 54 50 50 40 et reservations@chambord.org

Exposition comprise avec le billet d’entrée

& Galerie Xippas, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris

Du 19 mai au 23 juillet 2022

01 40 27 05 55 www.xippas.com

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