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Arts-chipels.fr

Le Premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité. À féminin dénaturé, masculin perverti et faussé…

Le Premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité. À féminin dénaturé, masculin perverti et faussé…

Les planches ont beaucoup résonné ces temps derniers du cri des femmes. « Moi aussi j’existe », exprimait le mal-être attenant à leur genre et la revendication d’un droit à la différence ne passant pas par une infériorisation. C’est au tour des garçons de s’insurger contre la normalisation genrée qui leur est faite dans un spectacle plein d’humour qui fait écho au Deuxième sexe de Simone de Beauvoir.

Avec pour tout accessoire un tabouret et un morceau de tissu qui se fait étole, théâtralement enroulée autour du cou, blouse médicale, slip pour homme préhistorique ou lange de bébé, Mickaël Délis, le bien nommé, déroule avec une impudeur malicieuse toute une vie de garçon ou définie comme telle dans un seul en scène très divertissant. Parce que s’il n’est pas facile d’être une femme, il n’est pas moins aisé d’être du genre opposé, comme dirait Brassens.

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

Premier et deuxième sexes

Dans le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir plantait les jalons d’une émancipation de la femme, refusant tout déterminisme sexué a priori et réclamant une volonté solidaire des hommes et des femmes pour conduire à une véritable remise en question des rapports entre les sexes. Avec beaucoup d’humour et une bonne humeur contagieuse, Mickaël Délis retourne la proposition et fait la nique, ce faisant, à un certain Éric Zemmour, grand apôtre d’une virilité archaïque, qui n’hésite pas dans un « essai » intitulé le Premier sexe à vanter le caractère de prédateur sexuel du « conquérant », sa bestialité et sa violence. Autant le dire, le propos du Premier sexe de Mickaël Délis n’a rien à voir avec ce brûlot éponyme qui se hausse du col – érection oblige – et qui laisse affligé. Le Premier sexe du comédien et auteur, lui, marche sur les traces de Simone de Beauvoir et parle d’oppression du masculin par les « normes » sociales, liée à ce drôle de truc qui réside entre les jambes, objet de tant de soins mais aussi de fantasmes et de lieux communs. Et Mickaël Délis de les éplucher un à un, comme on retirerait des peaux importunes. De décortiquer les présupposés implicites, nichés dans les lieux communs et les comportements les plus coutumiers, de traquer les implications cachées dans les replis de la langue et des expressions courantes.

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

La famille, creuset privilégié

Mêlant une imagination débordante à ce qui ressemble fortement à du vécu, il ne nous plonge pas dans le bain normé d’une famille « classique » où l’exclusion et l’intolérance pourraient apparaître comme la règle, mais au sein d’une famille déjà légèrement dysfonctionnelle. Des parents séparés – où la guerre des formules toutes faites fait rage et où « les hommes, tous des salauds » affronte « tu seras un homme, mon fils ». Des parents aimants, pas bornés, ouverts à la différence. Chacun avec ses petites phrases anodines qui s’impriment comme au fer – à friser – dans l’esprit d’un jeune garçon qui se cherche sans trop savoir où aller.

C’est quoi, un garçon ?

Et puis il y a les copains et copines, en classe. La première école de la différence. Les filles qui ont leurs règles – « T’as tes règles, toi ? », la question qui tue et à laquelle on répond en bredouillant une ânerie – et les garçons qui se font une petite branlette et jouent à se la comparer. Les jeux de fille et ceux des garçons. Cuisine et ménagère d’un côté, jeux « virils » de l’autre. Et le premier franchissement de ligne, les premières questions. Mais le garçon en puissance voudrait être comme les copains, leur ressembler. Se faire couper les cheveux, courts – « Oui, mais Charlotte Gainsbourg, elle est quoi, alors ? ». Avoir des amours de vacances, comme tout le monde, se jurer un amour éternel et sans divorce, ne pas se distinguer. Ce qui passe aussi par maigrir pour cesser d’être « le gros ». Alors il se lance dans la gym à outrance pour sculpter son corps et devenir l’apollon parfait dont rêvent les jeunes filles, et pas seulement elles…

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

Et si ça ne marchait pas comme ça ?

Tout ça parce qu’il ne faut en aucun cas entrer dans le champ des plaisanteries graveleuses et insultantes, passer au large du « pédé » qui fait peur, qui engendre la haine, une haine de soi et de l’autre. Ne reste plus alors qu’à exhiber les signes de la virilité pour ne pas « déchoir », se muer en « pédé » invisible, honteux, composer, tricher, mentir. Se faire un cerveau gestapo dans un monde où les hommes qui dansent ont la raideur des touillettes qu’on remue dans le café. C’est cela, l’enfer, même si l’on ne cesse d’en rire, l’homme ramené à l’âge des cavernes qui « en a dans le slip »… De fil en aiguille et d’image en image, Mickaël Délis, avec une pertinence mâtinée d’impertinence, déshabille les poncifs et taille un costard à la « normalité ». Le carnet de croquis mental posé sur son tabouret, que sa gestuelle anime, renvoie dos à dos et main dans la main, dans la joie et la bonne humeur, les clichés qui opposent masculin et féminin pour leur faire rendre gorge. Car « Tu seras un homme, mon fils », ça peut avoir un autre sens que celui qu’on connaît…

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité

S Seul en scène écrit et interprété par Mickaël Délis S Mise en scène Vladimir Perrin et Mickaël Délis S Création lumière Lucas Doyen S Collaboration artistique Elisa Erka Clément Le Disquay, Elise Roth S Collaboration à l'écriture Chloé Larouchi S Production Compagnie Passages S Soutien et remerciements Théâtre de la Loge, Le Carreau du Temple, CDN de Rouen Normandie - Théâtre des deux Rives, Couvent des Récollets / Maison des Arts de Créteil S Durée 1h10 S Le Premier Sexe a été créé à la Loge en 2018 dans une mise en scène d' Elisa Rusckhe

Du 17 septembre au 27 novembre , à 19h15

La Scala – Paris

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