19 Mai 2022
Ce passionnant spectacle propose, à travers l’évocation du parcours de Robespierre, un effet miroir où se retrouvent face à face les idéaux de la Révolution française, ses prolongements et dévoiements, et l’histoire contemporaine. Il engendre des réflexions et des débats qui ne sont pas près de s’éteindre…
Une longue table est disposée sur la scène. Les spectateurs sont invités à prendre place tout autour. Voici le spectateur convié à un banquet de mots – républicain. Derrière, un homme, long foulard blanc noué autour du cou, prend un bain de pieds. C’est Robespierre, habillé comme tout un chacun. Le ton est donné. On chemine entre deux mondes, hier et aujourd’hui. Les contours entre les deux époques sont floutés.
De la terreur à la Terreur
Il est là pour se laver des accusations qu’ont colportées certains historiens – Damien Houssier, qui incarne Robespierre, montre le livre de François Furet, qui fut l’un de ses détracteurs –, ou tout au moins pour en expliciter les raisons. Il est question de la Terreur et de sa légende noire. De ces exécutions où chacun dénonce l’autre et de ce temps du Comité de Salut public où la guillotine fonctionne à plein. Les discours de Robespierre, et son grand discours de la Terreur, l’avant-dernier, sont cités – ils nous sont connus parce que très mauvais orateur, au contraire de Danton capable d’improviser sans peine, l’avocat préparait par écrit ses interventions. Robespierre replace la Terreur dans son contexte. Une vie dans la peur, à chaque instant, d’une arrestation ou d’un meurtre, gouvernée par le sentiment d’urgence, l’absence de sommeil, l’atmosphère enfiévrée. Un temps où prendre la parole signifie prendre un risque et où s’exacerbent les passions comme les tensions.
Robespierre au-delà de la Terreur
À sa légende noire, Robespierre oppose son inspiration rousseauiste, son sens du bien-être public, ses positions morales, son plaidoyer pour la paix, la démocratie directe et la justice sociale, sa défense des pauvres. Il rappelle ses condamnations des excès de la Révolution – il s’opposera à Mirabeau en jugeant non nécessaire la proscription des émigrés et condamnera Fouché et ses mitraillades de Lyon, jugeant que la répression violente ne devait toucher que les vrais coupables, non leurs comparses, et se limiter au strict nécessaire. Il expose son rôle dans la première abolition de l’esclavage. Il ne plaide pas seulement pour l’égalité des humains dans les colonies et l’instauration du droit de vote pour tous, il réclame, pour les bâtards, des droits identiques à ceux des enfants légitimes. Rigueur et probité morales – Robespierre associe l’immoralité au despotisme – sont mises en avant, y compris dans la longue liste des fêtes, à l’intitulé éclairant, qui doivent souder la conscience nationale : « … les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793[…] les fêtes dont l’énumération suit : À l’Être suprême et à la Nature – Au Genre humain – Au Peuple français – Aux Bienfaiteurs de l’humanité – Aux Martyrs de la liberté – À la Liberté et à l’Égalité – À la République – À la Liberté du Monde – À l’amour de la Patrie – À la haine des Tyrans et des Traîtres – À la Vérité – À la Justice – À la Pudeur – À la Gloire et à l’Immortalité – À l’Amitié – À la Frugalité – Au Courage – À la Bonne foi – À l’Héroïsme – Au Désintéressement – Au Stoïcisme – À l’Amour – À la Foi conjugale – À l’Amour paternel – À la Tendresse maternelle – À la Piété filiale – À l’Enfance – À la Jeunesse – À l’Âge viril – À la Vieillesse – Au Malheur – À l’Agriculture – À l’Industrie – À nos Ayeux – À la Postérité – Au Bonheur. »
Une « petite voix » questionnante
Tout au long du spectacle une voix off sert d’aiguillon à un discours qui traverse le temps. Marchant sur les traces de l’historienne Sophie Wahnich, qui croise histoire, anthropologie et études politiques sur la Révolution française et interroge notre présent en écoutant les conseils, avis et perplexités vécues de nos ancêtres révolutionnaires, Anne Montfort fait résonner les événements du passé dans notre époque et Damien Houssier lui emboîte le pas. Les sujets sont légion. La Terreur mène à une réflexion plus globale sur le terrorisme et sur les lois liberticides récentes, votées au nom du bien public et de la préservation de l’« ordre ». Le « jacobinisme » français, centralisateur, est contredit par son origine historique, qui prônait une responsabilisation et une possibilité d’intervention à tous les niveaux administratifs.
Des questions qui interpellent le public
Damien Houssier s’adresse directement au public assemblé autour de la table. Il nous prend à partie, appelle notre réaction, même si celle si n’intervient pas dans le déroulé du spectacle. Car le théâtre a pour mission ici de rendre compréhensible. Chaque spectateur de ce banquet du questionnement est au bord d’une parole qui se libère une fois le spectacle terminé. Il faut dire que les interrogations qu’il suscite nous touchent de très près. Il est beaucoup question de « démocratie ». Mais sa définition aujourd’hui vacille. C’est en son nom que sont mises en place des mesures largement antidémocratiques. Cette même démocratie a conduit, dans le passé, à la « dictature du prolétariat » dont on connaît aujourd’hui les limites. Quant à la « liberté », ses relations avec la « démocratie » sont loin d’être évidentes. Les appels à la discrimination, à l’intolérance, à l’homophobie, à la haine raciale ou religieuse qui circulent sur les réseaux sociaux ressortent-ils de la liberté ? Le « radeau démocratique », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Sophie Wahnich dont la réflexion alimente le spectacle, prend l’eau de toutes parts, mais chahuté, balloté, contesté, il demeure un refuge, l’espoir d’un salut possible…
Le « peuple » et la question du politique
La démocratie par le « peuple », en particulier, prônée par les révolutionnaires, ouvre la voie à de nombreux questionnements. Car le concept de « peuple » élaboré par le romantisme et le premier socialisme au XIXe siècle a pris aujourd’hui des colorations qui interpellent. C’est de lui que se réclament les extrêmes diamétralement opposés de la vie politique française, ce qui fait réfléchir. Sont-ce deux faces d’une même médaille ou reflètent-elles une fausse similitude ? Et que recouvre cette notion de « peuple » ? Le début du XXIe siècle aura été celui d’une confusion des valeurs et du retournement des concepts dont on croyait connaître la définition. C’est au nom de la défense du « peuple » qu’on prône l’ostracisme et la xénophobie. C’est en arguant de la démocratie que les extrémismes religieux diffusent un point de vue qui n’a rien de démocratique et appellent à la violence. Et c’est au nom de la « dénazification », donc de la lutte contre une dictature fasciste, que la Russie selon Poutine justifie un acte d’agression qui va à l’encontre de toute volonté populaire. La grande danse des concepts aux multiples bras qui ont alimenté la raison d’être de la révolution est aujourd’hui plus que troublante et pose des interrogations de fond. La « Méduse démocratique » nous transformera-t-elle en statues de sel, rigides et immobiles, une tentation souvent mise en avant, ou doit-elle au contraire nous pousser à sortir de notre torpeur, à reprendre la parole, à nous réapproprier le politique ? La réponse d’Anne Montfort est claire. Elle choisit la deuxième alternative…
La Méduse démocratique D’après Robespierre et Sophie Wahnich
S Mise en scène Anne Monfort S Avec Damien Houssier S Création et régie lumières Hugo Dragone et Romane Margueritte S Costumes Louise Yrribaren S Production Coralie Basset S Diffusion Florence Francisco - Les Productions de la Seine S Création 5 mai 2018 à Besançon (25) dans le cadre du festival de Caves S Production day-for-night, festival de Caves 2018 S Avec le soutien du Théâtre-Cinéma Paul Éluard de Choisy-le-Roi, du Nouveau Théâtre de Montreuil-CDN S La compagnie day-for-night est conventionnée par la DRAC Bourgogne - Franche-Comté, soutenue par la Région Bourgogne Franche-Comté et dans ses projets par le Conseil départemental du Doubs et la Ville de Besançon.
Programmation : à venir