L’aventure est dans votre cuisine. Petites chroniques poétiques de la vie culinaire pour non-lieux de spectacle.

Quand la gourmandise des mots se marie au théâtre pour parler de l’intime, le plaisir peut aussi être ailleurs que dans l’assiette.

Abbaye de Saint-Riquier. Un bel après-midi chaud et ensoleillé qui rappelle la Provence où Marie-Paule Pomaret et Hélène Cingria ont écrit ce livre de cuisine original qui forme la trame du spectacle. Ils sont venus pour l’occasion, des spectateurs qui ne fréquentent que peu, voire pas du tout les théâtres. Parce que le principe, de cette Aventure culinaire, c’est d’être jouée ailleurs que dans les salles traditionnelles. Médiathèques, bibliothèques, salles des fêtes, lycées hôteliers, centres de rencontres, églises… la règle du jeu, c’est la proximité, le lieu qu’on fréquente et dont la fonction n’est pas, a priori, le théâtre. Un spectacle hors sol qui incite, tout naturellement, à choisir un thème qui échappe à ce qu’on voit d’ordinaire au théâtre.

Vous avez dit livre de cuisine ?

Le propos, ici, concerne un ouvrage rédigé à quatre mains par deux autrices évoluant dans les milieux artistiques. Marie-Paule Pomaret (1889-1975) épouse en premières noces Henry Lapauze, directeur du Palais des Beaux-Arts de la ville de Paris et fondateur de deux revues artistiques. À son décès, elle reprend la direction des périodiques et lui adjoint une galerie d’art. Quant à Hélène Cingria (1905-1983), elle est la fille du peintre suisse Alexandre Cingria et la filleule de l’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz à qui l’on doit, entre autres, l’Histoire du soldat mis en musique par Igor Stravinsky. Elle est l’épouse de Jacques Guenne, codirecteur des Nouvelles littéraires et fondateur de l’Art vivant. De ce bain artistique ne pouvait naître qu’une vision particulière de la cuisine et leur livre de recettes échappe aux énoncés un peu secs qu’on connaît au genre pour se muer en promenade littéraire en même temps que culinaire.

Quand la cuisine se fait littérature

Car les recettes qui nous sont proposées sont comme les variations d’un courrier du cœur où la cuisine joue le premier rôle. Les ingrédients, que la pièce présente tour à tour, sont à l’honneur. Les œufs aux multiples facettes et à la consistance vagabonde, la magie des herbes aromatiques qui réveillent nos sens, les saveurs sucrées-acidulées de la tomate célèbrent leurs noces avec volailles à plumes et bêtes à poil, mais aussi monstres marins surgis des profondeurs. L’anguille et le homard voisinent avec le cochon, le poulet épouse le chocolat et, sans souci du « politiquement écolo » de notre époque, lièvre et lapin se cuisinent au sang. Le canard à l’orange fait l’objet de soins particuliers, les maquereaux sont au champagne et les côtelettes de porc s’associent aux figues fraîches. Mais la ratatouille est tout autant à l’honneur et les sauces se font guillerettes…

Une histoire d’amour de cuisine vécue à deux.

Sur scène, ils sont deux. L’allure dégingandée, un peu gauche, un garçon et une fille confrontés à la précarité partagent, sur le même banc, des recettes d’exception totalement étrangères à leur quotidien. À leurs pieds, le livre repose sur une nappe toute simple en vichy rouge et blanc. Tous deux découvrent les « mariages d’herbettes » et les « aventures pascales de l’agneau », sans compter les truffes « mystères et cryptogames ». Comme d’une malle au trésor, ils extraient du banc providentiel sur lequel ils se tiennent ingrédients grandeur réelle, planches explicatives plats et couverts. Le banc se mue en plan de travail où l’on dispose fruits et légumes extraits de ses flancs, comme sortis d'une caverne d'Ali Baba gustative ou de la malle-sac magique de Mary Poppins, nous rendant un peu de notre âme d’enfant.

D’hier et d’aujourd’hui

Au travers de cette évocation se profile, plus qu’un ouvrage pratique, un état d’esprit. Car le livre égratigne au passage quelques petits travers de notre société. Au premier rang, les manuels fortement teintés de machisme qui dressent le portrait de la parfaite ménagère que doit devenir la femme pour satisfaire son mari, comme il se doit. Il renvoie ces préceptes dos à dos avec la position des insurgées pour qui cuisiner s’apparente à un martyre – en notant au passage avec malice que la cuisine est l’un des facteurs de la paix des ménages et qu’un homme « bien nourri » se transforme en « pacifiste né ».

Le public, un troisième acteur

Les considérations sur la cuisine, qu’on aimerait cependant davantage imprégnées se sensualité, se muent en rafraîchissant dialogue qui touche directement le public. Car si le texte amuse et enchante, il interpelle les spectateurs qui se sentent directement concernés. Dans la salle, les commentaires vont bon train. Les interjections fusent : Ah ! », « Oh ! », « Oui. C’est tout à fait ça ! ». Et les discussions se prolongent à la sortie. À la matière à rêver et voyager proposée par le spectacle et au plaidoyer amoureux pour une cuisine sans micro-ondes ni surgelés, mitonnée avec soin, s’ajoute pour les spectateurs le plaisir d’un théâtre qui se mêle au réel pour venir leur parler d’eux-mêmes. C’est au-delà de la pièce que se situe sa raison d’être…

L’aventure est dans votre cuisine de Marie-Paule Pomaret et Hélène Cingria

S Adaptation Yves Graffey S Mise en scène Nicolas Auvray S Assistante Marie Szlamowicz S Avec Amandine Testu et Niels Roelandt S Scénographie Vincent Szlamowicz S Lumières Jean-Louis Letexier S Son Sébastien Dupont S Plateau José Da Fonseca S Costumes Alexandra Boukaka S Construction Maurice Crochu, José Da Fonseca, Clément Szlamowicz et Charlie Vergnaud S Illustrations Stéphane Jouannet S Production Comédie de Picardie