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Arts-chipels.fr

Jacky Caillou. Entre fantastique et réalisme poétique, l’homme qui se voyait magnétiseur.

Jacky Caillou. Entre fantastique et réalisme poétique, l’homme qui se voyait magnétiseur.

Lucas Delangle signe dans ce film projeté en ouverture d'Acid Cannes 2022 une œuvre étrange, où les expérimentations d’un jeune magnétiseur l’entraînent dans un univers sauvage et enchanté à la frontière du réel.

Jacky Caillou est un jeune homme qui traîne derrière lui comme une indécision de vie. Ses parents sont morts dans un accident de voiture et il a été recueilli par sa grand-mère, magnétiseuse, quelque part dans les Hautes Alpes. Jacky porte comme une forme d’errance permanente. Il joue de la guitare, enregistre les bruits qui l’entourent, cherche à saisir la vibration du monde, presque inaudible et impalpable mais néanmoins présente. Son aïeule, sur sa demande, l’initie au magnétisme. Elle lui enseigne les vertus des arbres, leur capacité à absorber tous les maux que le magnétisme fait passer dans son corps. Mais elle décède et Jacky s’engage à son tour dans la voie du magnétisme.

© DR

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Un chemin initiatique

C’est sur des chemins escarpés, sur lesquels l’homme devient poussière d’espace, que Jacky se déplace, seul ou avec sa grand-mère, grain de sable sur un sentier étroit et escarpé au pied d’une montagne à pic, petite parcelle d’un univers splendide et inapprivoisé où il est plongé. Car c’est de la communion avec la nature que sa grand-mère affirme détenir ce pouvoir de guérir qui fait affluer les personnes les plus diverses dans sa petite maison. Ils viennent des villages environnants et même de la ville. Avec douceur, sans même les toucher, elle fait circuler l’énergie, absorbant dans ses mains la douleur que le malade ressent en lui laissant une sensation de chaleur. Alors Jacky s’entraîne, cherche la sensation, s’applique à puiser en lui-même et dans la nature les ressources nécessaires à guérir par l’imposition des mains. Et lorsque sa grand-mère décède, s’il n’est pas parfaitement prêt, il se sent investi…

Une rencontre déterminante

Le jeune homme a tout lieu d’être heureux. Ses premières entreprises semblent couronnées de succès. Un jour arrive de la ville un père, accompagné de sa fille. Celle-ci a sur le dos une large et vilaine tache que rien ne fait disparaître. Toutes les tentatives de la médecine ont abouti à des insuccès et la tache disgracieuse ne cesse de se développer. Pire, elle se recouvre progressivement d’un duvet qui se transforme peu à peu en poil. La jeune fille est mutique, farouche, rétive. Et belle. Entre le jeune homme sauvage et la jeune fille indomptée, une relation se noue. Mais l’amour n’est pas le remède et Jacky s’obstine. Devant la transformation progressive de la jeune fille, il s’obstine, la séquestre. Mais transformée en bête sauvage, celle-ci s’enfuit…

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Entre hommes et loups

Le monde de Jacky, c’est celui des bergers et des milliers de bêtes qui transitent lors de la transhumance, transformant la montagne en un gigantesque champ coupé d’arbres. Cependant, l’éden n’est pas exempt de flétrissures, un loup rôde dans la région et s’attaque aux brebis. Espèce protégée, il ne peut être chassé et les éleveurs rongent leur frein. Nous reprenons pied dans un contexte très actuel dont la presse s’est maintes fois fait l’écho. Les langues vont bon train dans le café du village, les esprits s’échauffent. Ils s’excitent d’autant plus que ce loup-là ne semble pas comme les autres. Il ne tue pas pour se nourrir mais pour le seul plaisir de tuer. Le nombre de brebis égorgées s’accroît, suscitant la colère des éleveurs que la police locale peine à retenir. Effet de l’imagination ou réalité ? Amplification des conversations de comptoir ou animal monstrueux ? Il devient l’ennemi public, la bête à abattre. Mais qui est ce loup auquel on prête une personnalité de bête du Gévaudan ? A-t-il quelque chose à voir avec la jeune fille que tentait de soigner Jacky ?

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Entre réel et mythologie, croyance et savoir

Le film semble pétri de la beauté tranquille et silencieuse des hommes et des paysages. De la gravité de ces villageois au visage ridé dont chaque pli de peau porte la marque des expériences de la vie et dont le regard doux se teinte de clairvoyance et d’attente d’un miracle espéré. Leur présence monolithique, immémoriale, et leur accent de rocaille plus que leurs mots hissent la fable au rang du mythe. Ils sont là, posés avec gravité comme une vérité première, ontologique, que la caméra capte. Mais cette réalité est hybride. L’irrationnel en fait partie intégrante, et le magnétisme appartient à cet univers où la magie est partout présente. À maintes reprises, le film revient sur son efficacité, qui n’est possible que si l’on y croit. Est-ce la raison pour laquelle l’ambiguïté demeure quant à réussite qu’on peut lui attribuer ? À chacun de croire ce qui lui convient… Mais dans cette atmosphère où le mystère est partout présent, de l’obscurité et des vapeurs qui s’élèvent surgissent des fantômes, des silhouettes qui pourraient n’être que des projections de la pensée. Sommes-nous pleinement dans le réel ou à la frange du fantastique ? La jeune fille se transforme-t-elle réellement en louve ? Est-elle la métaphore de la réconciliation de l’humain avec son animalité, de son retour aux sources, à ses origines ? Ou s’agit-il de l’histoire d’une femme qui s’affranchit des règles qu’on lui impose et, de ce fait, redevient « sauvage » ? Le film ne tranche pas. Comme si la frontière entre réel, imaginaire et fantastique n’était pas possible à déterminer et que la vérité était mouvante, insaisissable… Là réside sans doute l’originalité du film. Au-delà de la respiration particulière des lieux et des êtres qu’il transporte, il n’affirme rien et laisse aux énigmes leurs questionnements.

Jacky Caillou – Un film de Lucas Delangle – 2022, France, couleur – 92 minutes

Film d’ouverture Acid Cannes 2022. Sortie en salle 2 novembre 2022

S Scénario Lucas Delangle et Olivier Strauss S Réalisation Lucas Delangle S Avec Jacky Caillou Thomas Parigi, Gisèle Caillou Edwige Blondiau, Elsa Lou Lampros, Hervé Jean-Louis Coulloc’h, Mathieu Romain Laguna, Monsieur Bert Georges Isnard, Loïc Sivan Garavagno, Le Maire Jean-Marc Ravera S Image Mathieu Gaudet S Son Gaël Eléon, Laura Chelfi, Paul Jousselin S Montage Clément Pinteaux S Musique originale Clément Decaudin S Production Les Films du Clan, Charles Philippe et Lucile Ric S Coproduction Micro Climat Studios S Avec le soutien de Centre national du cinéma et de l’image animée (Avance sur recettes avant réalisation), Région Sud, en partenariat avec le CNC En association avec CINÉMAGE 16

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