22 Janvier 2024
Il est certains spectacles auxquels il est impossible d’appliquer la seule grille des jugements esthétiques. Parce qu’ils engagent la vie. Ceux d’Ahmed Madani sont de cette sorte. Emplis d’une sève qui les porte et les transcende.
Ils sont neuf jeunes gens, filles et garçons, à venir tour à tour sur le devant de la scène pour se présenter. Neuf, entre vingt et trente ans, d’origines différentes, de Pologne à Mayotte en passant par le Maghreb, le Cambodge ou l’Afrique noire. Neuf, avec leurs manières de marteler les mots, de les façonner, avec leurs accents qui viennent parfois dire qu’ils ne sont pas tout à fait d’ici, même s’ils y sont nés. Certains font genre, en survêt’ blanc immaculé, d’autres se fondent dans la « couleur » ado par excellence, le noir. Le jeans et les baskets sont bien sûr de sortie. Quant aux filles, elles oscillent entre la minijupe sur des chaussettes montantes extra-longues et le look « garçon » avec la coupe de cheveux ad hoc, rasée derrière les oreilles. À eux tous, ils forment un raccourci de cette humanité multiethnique et multiculturelle qu’on croise aujourd’hui. Black, blanc, beur, jaune, ils sont de toutes les couleurs, à l’image de la population des quartiers populaires d’où ils viennent. Ensemble, avec aplomb et dynamisme, ils dressent de leur communauté, de leurs familles, de leur environnement et de la société un portrait acéré, plein d’humour et de drôlerie. Ils imposent leur image, leur différence.
Une histoire composée de leurs histoires
Incandescences, après Illumination(s) et Flamme(s), est le troisième volet d’une trilogie qui met en scène des jeunes – garçons et filles – non professionnels, nés de parents ayant vécu l’exil. Leur recrutement résulte d’une recherche menée par Ahmed Madani sur une année et dans une dizaine de villes. Le propos naît de cette centaine de rencontres et de la dizaine de stages-auditions qui l’accompagne, pour entendre et collecter ce que ces jeunes ont à transmettre et former la matière vive de la création. Suivis d’un dernier stage de deux semaines pour établir la distribution du spectacle, ces échanges débouchent sur les treize semaines consacrées à la création qui se dérouleront dans cinq théâtres. La pièce, elle, croisera en permanence les propositions d’écriture réalisées par Ahmed Madani à partir des témoignages recueillis mais retravaillés pour les traduire en langue soutenue et poétique, et le travail scénique réalisé avec les jeunes comédiens sélectionnés qui vient en permanence infléchir l’écriture et modifier le texte.
Des histoires de vie
Ces jeunes, ils livrent leur histoire, et à travers elle celles de leur héritage culturel, de leurs familles, de leur inscription dans la France d’aujourd’hui, de leur insertion dans la vie de leur quartier, de leurs difficultés, leurs souffrances, leurs rêves aussi, dans une langue qui leur emprunte leur parler, leurs expressions, leurs images. Ils disent une histoire traversée de bad boys et de femmes trophées, de séparations, de pères en fuite, de viols, de silences sur leur vie passée, d’adoption, de père polygame aux trois familles et aux vingt-deux enfants mais aussi, parfois, tout simplement, d’amour. Ils disent le passé colonial, le grand-père tirailleur sénégalais, les identités d’emprunt, le silence et le repli sur soi. Et eux au milieu de tout ça, ils se cherchent, à cheval entre des cultures, en révolte parfois, traduite dans leur manière de s’habiller ou de se comporter, dans le refuge dans les jeux en ligne où, en geeks, ils se dissolvent, ou dans les émojis qui rythment chaque moment des échanges de leur vie quotidienne.
Et l’amour, dans tout ça ?
Au-delà, le propos d’Incandescences, c’est d’entrer dans ce cœur de l’intime qu’est l’amour pour chacun d’entre eux. Ils se livrent à l’exercice sans pudeur, parfois avec humour, évoquent le porno qu’on regarde en cachette en croyant que là se trouve l’amour, les premiers émois, les premiers baisers, le premier sexe, dans l’inconfort de toilettes publiques, l’amour qui survient – « Ça y est, c’est officiel, j’ai des sentiments pour toi ». Mais si aimer est universel, qui, comment et pourquoi n’est pas qu’une affaire personnelle, en particulier lorsqu’on est enfant d’immigré et que ses attaches sont d’ailleurs… Alors se dévoilent les interdits – le sexe c’est péché – les oppositions de la famille, parce qu’on n’est pas de la même caste même si on vit dans la même misère, ou parce qu’on ne vient pas du même pays, ou encore parce que si on veut « gagner des miles » pour rejoindre le paradis d’Allah, se toucher est interdit … Il y a la difficulté quasi insurmontable de s’opposer à sa famille, les mariages forcés, les jeunes qui surveillent les copines de leur pote, et le qu’en-dira-t-on. Parce que dans le quartier, on est toujours sous surveillance. Les projections vidéo les montrent enfermés dans des boîtes, à l’étroit, empêchés de se déplacer sauf en de minuscules mouvements rabougris, rétrécis. Ils se sentent coincés dans cette vie – leur vie – où concilier la tradition, l’héritage et la modernité forme un parcours d’obstacles souvent infranchissable, même si parfois, une trouée de ciel bleu apparaît. L’un après l’autre et tous ensemble, ils expriment sans fard leurs rêves, leurs désirs et leurs interdits, les parlent, les chantent et les dansent avec une conviction passionnée qui entraîne l’adhésion du public.
Incandescences
S Texte et mise en scène Ahmed Madani S Avec Romain Bouillaguet, Aboubacar Camara, Nathan Mawatu, Marie Ntotcho, Julie Plaisir, Philippe Quy, Merbouha Rahmani, Jean-Baptiste Saunier, Izabela Zak S Assistant à la mise en scène Issam Rachyq-Ahrad S Création vidéo Nicolas Clauss S Création sonore Christophe Séchet S Regard extérieur chorégraphique Salia Sanou assisté de Jérôme Kaboré S Création lumières et régie générale Damien Klein S Régie son Jérémy Gravier S Costumes Ahmed Madani et Pascale Barré S Coach chant Dominique Magloire S Administratrice de production Pauline Dagron S Chargée de diffusion et de développement Rachel Barrier S Durée 1h45 S À partir de 15 ans S Création 2021 S Production madani compagnie S Coproductions Le Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique à Nantes, La MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, Fontenay-en-Scènes à Fontenay-sous-Bois, Le Théâtre Brétigny - Scène conventionnée arts et humanités - Résidence d’artistes, L’Atelier à Spectacle - Scène conventionnée d’intérêt national de l’Agglo du Pays de Dreux, à Vernouillet (28), La Scène Nationale de l’Essonne - Agora-Desnos, La Maison de la Culture à Amiens - Pôle européen de création et de production, La Comédie de Picardie, Le Viv at d’Armentières, Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création, Le Théâtre Les Passerelles à Pontault-Combault - Scène de Paris - Vallée de la Marne, L’Azimut - Antony/Châtenay-Malabry. S Soutiens La Maison des Arts de Créteil, Le Théâtre 71 – Scène nationale de Malakoff, Le Théâtre de Chelles, Le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs à Paris, Le Safran - Scène conventionnée, La Maison du Théâtre à Amiens, Le Théâtre de Poche à Bruxelles, La Mairie de La Courneuve - Houdremont centre culturel. S Le projet bénéficie du soutien de la Fondation SNCF, du Ministère de la Culture (aide au compagnonnage), de la Région Ile-de-France (aide à la création), du Département du Val-de-Marne et du Département des Yvelines, et est réalisé avec la participation artistique du Jeune Théâtre National. Ahmed Madani est artiste associé au Théâtre Brétigny - Scène conventionnée arts et humanités, artiste associé à L’Atelier à Spectacle - Scène conventionnée d’intérêt national de l’Agglo du Pays de Dreux (Vernouillet - 28) et Compagnie en résidence à Fontenay-sous-Bois (Fontenay-en-Scènes). S Madani Compagnie est conventionnée par la Région Île-de-France, par le Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France. Elle bénéficie également du soutien du Département de l’Essonne
Du 29 février au 31 mars 2024, du mardi au samedi 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de la Tempête – Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012 Paris