25 Mai 2022
Quatre chanteurs-comédiens, embarqués, a cappella, pour un spectacle plein d’humour sur les difficultés d’être, ce n’est pas banal. Leur dynamisme communicatif et leur qualité emportent l’adhésion.
Un plateau nu, un « espace vide » à la Peter Brook, que viennent habiter ces personnages de notre temps que sont Alban et ses amis. Cet espace de nulle part et de partout à la fois évoquera aussi bien une salle de bistrot bruyante et enfumée, une fin de party où, dans les vapeurs d’alcool, les esprits et les mots se lâchent, que les différents moments de la vie d’Alban. Alban, justement, n’est pas bien dans sa peau. Pas à l’aise dans ses baskets. Sa vie est un ratage complet : il s’est séparé de sa copine et se retrouve seul ; l’architecte de talent avec lequel il s’est associé a tant tiré la couverture à lui qu’Alban n’y trouve plus son compte, et il a escorté son père dans la phase terminale de son cancer. Pourtant, il a tout bien fait. Il est écolo, décroissant, citoyen, conscient des risques que court la planète, militant même… Dans son ivresse, aggravée par la consommation d’un space cake un peu fort en weed, il se retrouve projeté dans le musée de son existence…
Quatre interprètes pour une traversée du temps
Les amis qui entourent Alban sont pleins d’empathie et de bonne volonté. Ils aimeraient voir leur ami plus satisfait de son sort mais il freine des quatre fers à chaque nouvelle proposition pour s’en sortir. Heureusement le petit gâteau magique est là et les amis vont se métamorphoser, dans l’imaginaire embrumé d’Alban, en une série de personnages destinés à l’aider à revisiter son passé et régler les comptes qu’il se refuse à considérer. Nous voici donc lancés dans les différentes phases de la vie d’Alban, escorté par un « ange » malicieux et quelque peu ironique, à partir de sa petite enfance, avec ses parents, si « compréhensifs » et attentionnés. On remonte dans ces silences qui ont gardé leur épaisseur, dans ces non-dits qui pèsent comme du plomb et ont creusé les vides de sa vie. On revisite les espoirs de ses années estudiantines, les projets utopiques formés pour pratiquer l’architecture autrement, la rencontre avec l’amour de sa vie. Les trois comparses qui escortent Alban dans son retour vers le passé usent de tous les artifices. Ils sont « trop ». Trop suaves, trop doux, trop enthousiastes, trop militants purs et durs… Bien sûr, musical oblige, au terme de ce parcours initiatique, Alban trouvera, comme il se doit la vérité de son comportement et le moyen de le changer.
Une tragicomédie musicale, pour rire
La composition s'inscrit dans une démarche typiquement postmoderne empruntant à tous les styles de musique en fonction des situations – du chant Renaissance à Rachmaninov, du baroque à Bjork, de Debussy au rock britannique des années 1970 ou à Daft Punk –, et les interprètes inscrivent le voyage initiatique d’Alban dans le chant d’une variété revisitée. Et ils chantent bien, les bougres, mêlant leurs voix a cappella, sans accompagnement musical ou bruitage d’aucune sorte, dans un équilibre parfait qui entrelace les lignes mélodiques de chacun de manière harmonieuse. On savoure l’association des hauteurs de timbres en même temps qu’on s’amuse de leur chorégraphie qui emprunte en les démarquant aux poncifs de la comédie musicale. Et si le monde qu’ils évoquent n’est pas tout rose et pourrait fournir matière à drame, il suffit d’une pirouette musicale ou scénique pour retourner la situation comme un gant et entraîner le spectateur plus loin, dans un univers où tout n’est peut-être pas si noir…
« Vous croyez que Kubrick a eu des déprimes ? », disait le personnage de Roy Scheider, double de Bob Fosse dans All that Jazz, qui chantait ses adieux au bonheur – et à la vie. Ici, on se tournera plutôt vers Chantons – et dansons – sous la pluie – et des lendemains plus riants…
Ego système. Le musée de votre existence.
Théâtre musical a cappella S Texte et musique Raphaël Callandreau S Mise en scène Nicolas Guilleminot S Chorégraphie Johan Nus S Lumières Patricia Luis-Ravelo S Avec Chloé Hory, en alternance avec Jeanne Jérôme, Vincent Gilliéron, Marie Glorieux, Adrien Biry-Vicente S Durée 1h10 S Une création de La Servante et de La Voix du Poulpe
Les lundis, mardis, mercredis jusqu’au 15 juin 2022, à 21h
Théâtre Essaïon – 6, rue Pierre-au-Lard, 75004 Paris
Rés. 01 42 78 46 42 www.essaion-theatre.com