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Arts-chipels.fr

T Rex. Sur les traces d’un marathonien du toujours plus au boulot.

T Rex. Sur les traces d’un marathonien du toujours plus au boulot.

Un spectacle d’une drôlerie tragique, mené à bride abattue par un comédien survolté.

Alexandre est un cadre sans histoire. Pour un salaire de deux mille euros – bruts – par mois, sa vie se résume, entre deux séquences de suffocation dans le métro, le corps écrasé contre d’autres corps, à surveiller les comptes de clients qui investissent des millions d’euros dans une banque internationale et à sécuriser leurs transactions. Son existence, elle tient entre le petit bureau nickel qu’il occupe à la banque, la machine à café que les employés se sont cotisé pour payer et le canapé dans lequel il s’affale avec sa compagne, une fois sorti du boulot. Mais voici qu’un jour, il est appelé par la supérieure de son chef hiérarchique. Celui-ci s’est suicidé et la place est à prendre. C’est champagne et tralala. Mais il y a un prix à payer…

© Julien Ginoux

© Julien Ginoux

Une peinture au vitriol du monde de l’entreprise

L’auteur, qui visiblement s’y connaît, nous plonge dans l’univers des petits travers, des petits intérêts et des petites crasses qui lient les membres d’une même « team ». « Manager » une équipe, ce n’est pas de la tarte, à plus forte raison quand vous sortez du sérail, et d’autant plus que votre « n + 2 » – hiérarchiquement parlant – vous met la pression. On navigue dans les closer deals, les share holders, les mergers and acquisitions, on slalome entre weaknesses, strengths and threats, on subit une pression permanente qu’on déverse à son tour sur ses subordonnés, d’autant plus forte qu’on développe un système d’aide à l’analyse pour Golden Sacks, qu’évidemment c’était pour hier, que la photocopieuse est en service partagé, que les pannes informatiques sont là, évidemment au mauvais moment, et que, bien sûr, il y a un problème dans les calculs…

© Julien Ginoux

© Julien Ginoux

Et le T Rex, dans tout ça ?

Coincé entre le marteau et l’enclume, de plus en plus stressé, avec des horaires de travail qui débordent inconsidérément, jusqu’à atteindre des dimensions faramineuses, Alexandre a des problèmes de sommeil. Lorsqu’il rentre le soir – dans un appartement bientôt déserté parce que sa copine a jeté l’éponge –, il rêve, ou plutôt il cauchemarde. Lui revient un traumatisme de son enfance, à la suite de la projection de Jurassic Park, le film de Spielberg. Le grondement de la bête, les chairs sanguinolentes qui s’abattent sur le pare-brise de la voiture, les mâchoires du monstre qui le poursuit. Le film postulait que si tu ne bouges pas, le T Rex, qui a mauvaise vue, ne te repère pas… Erreur fatale, bien sûr, car le monstre est dans sa tête…

© Julien Ginoux

© Julien Ginoux

Du bon usage de la métaphore

Lancé à un rythme de plus en plus accéléré dans une course à la performance qui n’a pas de fin, pantin halluciné semblable à une « majorette sous acide », Alexandre ne peut bientôt plus échapper aux mâchoires de la bête qui hante ses nuits, comme l’entreprise tyrannise ses jours. Avec des conséquences de plus en plus tragiques, présentées sur le mode de la farce. Sa silhouette se défait, sa tenue se relâche, sa coiffure impeccable n’est bientôt plus qu’un souvenir, ses subordonnés craquent… Jusqu’à la chute inattendue qui clôt la pièce.

Bien troussé et admirablement construit sur le plan du rythme, le spectacle dresse un portrait acéré du monde de l’entreprise, avec ses anglicismes envahissants, ses objectifs toujours plus inatteignables, sa course à la performance sans état d’âme, qui arase tout et détruit les individus. Et, même si les femmes ne sont pas à la fête dans ce portrait-charge, cette peinture d’un esclavage version moderne qui oublie simplement ce que c’est qu’être humain, passée au filtre du rire et de la bonne humeur, n’en est pas moins fine et pertinente…

T-Rex. Les joies de l’open space, d’Alexandre Oppecini

S Mise en scène Marie Guibourt S Avec Antoine Gouy (Alexandre) S Production La Compagnie Spirale S Coréalisation Théâtre Lucernaire S Partenaires Collectivité de Corse et Cullèttività Di Corsica S Soutien Cità Di Bastia

Du 23 mars au 8 mai 2022, du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h30

Le Lucernaire – 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris

Rés. www.lucernaire.fr et par téléphone 01 45 44 57 34

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