9 Avril 2022
Un spectacle attachant, où la tendresse le dispute à l’humanité…
« Il paraît qu’ça pas sûr qu’on a toujours été c’qu’on est ». Sur un sol jonché de coquelicots, c’est une petite silhouette qui apparaît dans sa robe un peu elfe, avec son petit chapeau cloche, sa veste de velours violet et ses hésitations langagières, qui se fait du rideau de velours frappé qui ferme le fond de scène une longue traîne royale. Parce que justement, elle va se poser de grandes questions métaphysiques sur avant, « qu’est-ce que ça a bien pu être » ? Et de remonter à la Révolution française et encore plus haut, avant qu’on ne décapite le trône, comme elle dit, quand elle « éta fou du roi ». Le ton est donné, la fantaisie de Sol au rendez-vous de ce questionnement philosophiquement cocasse et décalé qui place à la même table l’origine du monde, la santé et la conquête de l’Amérique.
Un langage « prince sans rire »
C’est parti pour une heure et demie de coq-à-l’âne, d’allitérations, de rapprochements homophoniques ou presque, et de glissements subreptices de langage. Louis XIV s’est mué en « Roi Sommeil », les chanceliers sont chancelants. Le docteur te prend la tension « caractérielle » en écoutant comment tu respires avec le « tétanoscope ». Quant à l’othorino, il « se occupe des joies respiratoires » pendant que le « déchirurgien » te couche sur la table « de soustraction » pour te retirer un organe. Si on repart loin en arrière, qu'on veut remonter au tout début, la première femme descend évidemment la côte (d’Adam)… et le serpent, après la faute, a passé ses lunettes à Adam, ce qui incite Ève à lui demander : « Mon surhomme, ne vois-tu rien venir ? ». Et pour faire bon usage de ces bésicles métaphoriques, voyager loin, il faut évidemment ménager la monture…
Une logorrhée joyeuse et communicative
Elle ne nous laisse pas le temps de souffler, Marie Thomas, qui nous assiège de son avalanche de jeux de mots derrière lesquels on court pour ne pas avoir un train de retard, pour savourer chaque rapprochement insolite, pour se lancer à la conquête de l’Amérique « avant que la Terre ferme », s’enchanter de sa manière naïve d’accumuler « fautes » de français et impropriétés. On passe du physique à la métaphysique et des heurs et les malheurs de la truite et du brochet à la réflexion philosophique. « Il paraît qu’un jour la paix nous est arrivée sur la Terre, ça a pas dû faire beaucoup de bruit… on l’a pas vu venir… peut-être on était distraits. » Dans ce délire surréaliste aux allures de cadavre exquis, le mort ne cesse de gigoter, pour notre plus grande joie…
Pôvre vieille démocrasseuse - Texte Marc Favreau / Sol
Montage des textes, mise en scène Michel Bruzat Jeu Marie Thomas Costumes, maquillage Dolores Alvez Bruzat Lumières Franck Roncière Durée 1h20 Production Théâtre de la Passerelle, Limoges
Du 30 mars au 23 avril 2022, du mercredi au samedi à 19h15 (sf 31 mars et 1er avril)
Théâtre Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris
www.lesdechargeurs.fr Tél. 01 42 36 00 50