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Arts-chipels.fr

Portrait Avedon-Baldwin. Une humanité en noir et blanc et de toutes les couleurs.

Portrait Avedon-Baldwin. Une humanité en noir et blanc et de toutes les couleurs.

Ce portrait croisé de deux figures majeures de l’Amérique de la seconde moitié du XXe siècle nous parle d’un temps où changer le monde paraissait à portée de main et où une aube nouvelle se levait sur l’Amérique et sur le monde. Mais pas que…

En 1963-1964, l’écrivain James Baldwin et le photographe Richard Avedon s’associent pour publier Nothing Personal (Sans allusion), un livre qui explore les thèmes de l’identité et des rapports humains dans une Amérique toujours marquée par le racisme et la ségrégation. Les deux hommes se connaissaient depuis leurs années de lycée communes dans le Bronx. Dissemblables dans leurs origines comme dans leurs préférences sexuelles, ils incarnent, à travers cette association, les voix de protestation qui s’élèvent un peu partout. En 2019, Élise Vigier inscrit, dans la collection de « Portraits » initiée par la Comédie de Caen, une rencontre entre leurs deux personnalités. Elle interroge la formation de l’identité et les liens qui sous-tendent les rapports humains et formule un message d’espoir en une humanité renouvelée, plus attentive à l’Autre.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Deux figures majeures de l’Amérique artistique des années 1960

Richard Avedon est blanc, juif, hétérosexuel et photographe. James Baldwin est noir, beau-fils de pasteur, homosexuel et écrivain. Le premier, fils d’un commerçant dans l’habillement et voisin de Rachmaninov, qu’il a photographié enfant, a d’abord été fasciné par la mode. Du Harper’s Bazaar à Vogue, il a cherché à capter dans ses modèles une émotion, préféré les personnages en mouvement à une posture statique et glacée et a photographié des stars avant de s’intéresser à des sujets plus quotidiens et de réaliser des portraits d’hommes et de femmes, de face et sur fond blanc, traquant leur vérité et leur humanité. Il photographie ainsi des malades enfermés dans un asile psychiatrique ou son propre père, en phase terminale, mais aussi des mineurs, des ouvriers des champs pétroliers ou des pêcheurs au chômage dans l’Ouest américain. James Baldwin est un enfant de Harlem. Violé dans sa jeunesse par des policiers et en butte au racisme qui sévit en Amérique, il s’exile en France dès 1948. Il a tout juste vingt-quatre ans. C’est depuis Paris puis Saint-Paul-de-Vence qu’il écrit. Il ne cessera d’explorer les non-dits liés aux tensions raciales et aux distinctions sexuelles, questionnant non seulement la société mais aussi l’intime et les pressions psychologiques complexes qu’engendrent les barrières érigées par la société.

© Tristan Jeanne-Valès

© Tristan Jeanne-Valès

Nothing Personal

Le devant de la scène est encombré de livres. On repère, sur la tranche des albums, le nom de Richard Avedon. Marcial Di Fonzo Bo, qui incarne Avedon, en ouvrira quelques-uns pour montrer au public certains de « ses » livres et les commenter tandis qu’en fond de scène, apparaît à l’écran ce qui constitue la démarche photographique de Nothing Personal qui offre, dans sa mise en pages même, l’affirmation de sa démarche. Au portrait moitié-moitié qui associe les demi-visages d’Avedon et de Baldwin succèdent la mise en parallèle, sur une même double page, de néo-nazis américains face au poète juif et homosexuel Allen Ginsberg ou l’association de la poétesse Dorothy Parker et de Marilyn Monroe. Nous sommes dans un studio de photographie et Avedon déplace ses éclairages en même temps qu’il évoque avec Baldwin leurs années de lycée mais aussi la situation américaine : la Marche de Washington pour l’emploi et l’égalité des droits d’août 1963 où Martin Luther King prononça son fameux discours, I Have a Dream, mais aussi les manifestations contre la guerre du Vietnam. Baldwin, en retour, explique comment ce sont les autres qui l’ont fait noir. « À sa mère son père / On demande pas pourquoi on m’appelle ‘‘nègre’’ / On demande qu’est-ce que ça veut dire ‘‘sale nègre’’. » Il dénonce les dérives d’un pays qui s’érige en porte-drapeau de la liberté tout en exterminant les Indiens et en pratiquant l’esclavage puis la ségrégation.

© Tristan Jeanne-Valès

© Tristan Jeanne-Valès

À la croisée des chemins, d’autres portraits croisés

Au détour de l’évocation se superposent d’autres références, d’autres souvenirs, d’autres images. Car ce qui rassemble les deux hommes ne fait pas que leur appartenir. Il fait partie intégrante de questions plus globales qui se posent à l’humanité dans son entier. Au Vietnam répond l’Algérie. Aux vexations subies par les homosexuels américains répond la loi française, promulguée seulement en 1981, par laquelle l’homosexualité cesse d’être un délit. À l’exil de Baldwin répondent les exils des comédiens qui incarnent les personnages. Marcial Di Fonzo Bo parle de sa propre enfance en Argentine, photos de famille à l’appui, de la dictature et de la fuite, Jean-Christophe Folly de ses origines togolaises et de son enfance rue d’Avron. Bob Dylan, Nina Simone ou Nelson Mandela, comme De Gaulle, Godard ou Sylvie Vartan traversent un paysage peuplé de toutes les enfances et de tous les ostracismes…

© Tristan Jeanne-Valès

© Tristan Jeanne-Valès

L’espoir, passerelle et clé commune

À travers ces portraits qui se croisent et se recoupent, directement adressés au public qui en est le destinataire explicite, à travers ces histoires minuscules qui fabriquent la grande Histoire, se dessine une préoccupation commune aux deux hommes comme au spectacle. Témoigner pour les générations futures, se faire les passeurs d’un message véhiculé par le dialogue et non par l’exclusion et la violence. Avec une infinie tendresse, auteurs, comédiens et personnages nous disent que l’exil n’est pas une maladie mais peut être une chance, que le remède aux exclusions de toutes sortes n’est pas dans le refuge communautariste mais dans l’amour, dans l’ouverture à l’Autre, dans la reconnaissance de sa différence et dans le dialogue. En nos temps d’exacerbation des haines et des oppositions, la profonde humanité qui imprègne le spectacle est infiniment réconfortante. Faire se rejoindre des mains qui se tendent porte un message d’espoir pour ces « frères humains qui après nous » vivrez. Nous en avons bien besoin…

Portrait Avedon-Baldwin : entretiens imaginaires

S Texte Kevin Keiss et Élise Vigier, librement inspiré d'essais et d'interviews S Mise en scène Élise Vigier S Avec Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly S Durée 1h05 S Spectacle créé les 13 et 14 juin 2019 à la Comédie de Caen, CDN de Normandie S Production Comédie de Caen — CDN de Normandie

29 mars – 3 avril 2022, 20h30 et 6 – 17 avril 2022, 21h

Théâtre du Rond-Point – 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris

Rés. 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr

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