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Arts-chipels.fr

Où je vais la nuit. En suivant Orphée et Eurydice, dans quel état j’erre ?

Photo © Thierry Laporte

Photo © Thierry Laporte

Cette version insolite et décoiffante de l’opéra de Gluck offre un écrin magique et poétique quoique humoristique et distancié à cette œuvre dans laquelle la beauté du mythe, de la musique et de la voix conservent tout leur pouvoir.

À l’entrée dans la salle, quatre interprètes sur scène accueillent le public. L’un est aux claviers, l’autre à la contrebasse. L’une chante et interpelle les spectateurs, l’autre chante aussi tout en jouant du ukulélé. Ils sont lancés dans un florilège de musique pop. I Feel Love succède à Pretty Baby et It Goes Like This escorte la Fille aux « yeux revolver ». Dans le fond, des poteaux enrubannés et couverts de fleurs disent la liesse et la célébration. C’est soir de noces. Comme dans l’opéra de Gluck, un homme et une femme se marient. On rit, on est gai. Le public rythme les chansons en frappant dans ses mains. La suite se placera à l’avenant, dans l’univers de la transposition, de la citation et de la distance.

© Thierry Laporte

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Orphée et Eurydice, un mythe et sa réinterprétation

Chacun connaît l’histoire d’Orphée descendu aux Enfers pour ramener à la vie son épouse adorée Eurydice. Aidé par Apollon, il réussit à endormir Cerbère, le gardien des Enfers, pour approcher Hadès, le dieu qui règne sur les lieux avec son épouse Perséphone et parvient, par le pouvoir de sa musique, à obtenir d’eux le retour d’Eurydice chez les vivants, sous réserve qu’elle le suive en silence et qu’il ne se retourne ni ne lui parle avant d’avoir franchi le seuil des Enfers. La suite, on la connaît. Orphée se retourne et Eurydice est rejetée dans le royaume des morts. Déjà dans l’Antiquité les versions différaient et il est plus que vraisemblable que l’histoire ait des origines plus anciennes – certains la font même remonter au Paléolithique – et vienne du Moyen Orient – on citer, entre autres, le mythe d’Osiris ou la figure du roi David. Et son histoire est longue. Près de nous, Cocteau contemporanéise le mythe en faisant de l’injonction de ne pas regarder Eurydice un interdit permanent et invivable, et Offenbach en fait une satire qui emprunte aux discordes conjugales et au désamour.

© Thierry Laporte

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Orphée et Eurydice, de Gluck à Roland Barthes

Le spectacle de Jeanne Desoubeaux ajoute sa pierre à l’édifice du mythe en repartant de la version de Gluck qui reprend l’interdiction faite à Orphée de regarder ni de parler à la bien-aimée qui se désespère de son silence et de la distance qu’il lui impose et se réfère à l’opéra en langue française créé en 1774. Un violoncelle et un piano, aux accents délicats et romantiques et à l’apparition théâtrale, se substituent à l’orchestration d’origine. Berlioz, qui remania l’opéra en 1859, avait remplacé le contreténor de la version d’origine qui chante le rôle d’Orphée par une mezzo-soprano en travesti. En prenant en compte deux femmes qui chantent, l’adaptation met en scène deux femmes qui s’aiment. Elle interroge le mythe à travers ses deux thèmes de réflexion : l’amour et l’art. En refusant de se retourner, Orphée ferait, selon Barthes, le choix de ne pas vouloir saisir la personne aimée, s’en emparer, se l’approprier. En s’adressant à Eurydice, Orphée ferait, selon Céline Sciamma, « le choix du poète et non celui de l’amoureux ». On pourrait tout aussi bien y voir dans la punition infligée à l’être hybride qu’était Orphée, fils d’un roi et d’une muse (Calliope), pour avoir voulu ressusciter Eurydice, elle-même d’origine divine, quoiqu’inférieure, le châtiment de tout homme qui prétendrait accéder au divin et égaler les dieux.

© Thierry Laporte

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Le choix de la légèreté

Si l’approche de Jeanne Désoubeaux tourne autour du désamour, de la rupture et du deuil, elle s’inscrit dans l’expérience universelle de la vie, avec son cortège d’émotions diversifiées et entre drame et légèreté. Car si l’histoire navigue dans des eaux noires, son traitement oscille entre l’humour et la féerie. Lorsqu’Orphée, en costume contemporain, implore les dieux de lui permettre de franchir le seuil des Enfers pour reprendre Eurydice, c’est à un délicieux couple de Cupidons armés de carquois d’opérette qu’il adresse sa supplique. Quant à sa visite aux Enfers, elle prend la forme d’un voyage dans les limbes où les masses vaporeuses de brumes et de nuées semblent faites du tulle d’un voile de mariée, plus que d’une descente aux Enfers dans les abîmes de l’obscurité – et de l’Être, si l’on interprète le mythe d’Orphée comme un débat, dans les profondeurs de la conscience entre s’appartenir ou faire le don de soi.

© Thierry Laporte

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Un art lyrique pensé comme populaire

La volonté délibérée de créer un spectacle dont l’hybridation est la clé, en mêlant rythmes d’aujourd’hui et d’hier, lyrisme d’hier et récitatifs plus contemporains, en introduisant la question de l’interprétation au cœur même du projet, rapproche l’opéra de nous, et plus particulièrement d’un public qui hésiterait à franchir le seuil les portes d’un lieu dédié au lyrique. C’est là l’une des ambitions de la compagnie Maurice et les autres qui vise à produire des spectacles populaires où théâtre et musique sont étroitement imbriqués et où la qualité reste un critère primordial. L’objectif est ici largement atteint. Cette version d’Orphée et Eurydice, dans son éclectisme et son « infidélité » assumés, dispense une énergie communicative de bon aloi et offre un plaisir de la musique qu’on a envie de partager.

© Thierry Laporte

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Où je vais la nuit

S Librement adapté de l’opéra Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck S Mise en scène Jeanne Desoubeaux S Direction musicale Jérémie Arcache et Benjamin d’Anfray S Avec Jérémie Arcache Nikita, Benjamin d’Anfray Simon, Cloé Lastère Odette/Orphée, Agathe Peyrat Eugénie / Eurydice S Costumes et scénographie Cécilia Galli assistée de François Gauthier-Lafaye et Claire Fabre S Collaboration artistique Martial Pauliat S Arrangements Maurice et les autres S Création lumières Thomas Coux S Création sonore Warren Dongué en collaboration avec Jérémie Arcache S Régie générale Jori Desq en collaboration avec Jérémie Arcache S Administration, production Léonie Lenain S Développement, diffusion Véronique Atlan S Régisseur son Warren Dongué  en alternance avec François Lanièce S Régisseur plateau Paul Amiel en alternance avec Redha Medjahed S Construction décor, costumes Théâtre de Lorient, Ateliers du Théâtre de l’Union-Alain Pinochet, Simon Roland S Production Compagnie Maurice et les autres S Coproduction Théâtre de l’Union CDN de Limoges (87) ; Scène Nationale d’Orléans (45) ; Fonds de soutien à la production de S’il vous plaît, Scène Conventionnée de Thouars / Les 3T, Scène Conventionnée de Châtellerault / Scènes de Territoire, Scène Conventionnée de l’agglomération du Bocage Bressuirais ; Le Gallia Théâtre, scène conventionnée d’intérêt national – art et création de Saintes (17) ; Théâtre de Caen (14) ; Opéra National de Bordeaux (33) ; OARA – Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine. S Avec le soutien du Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National (56), du Théâtre du Cloître, Bellac (87) en partenariat avec la Ferme de Villefavard en Limousin (87), de L’Abbaye aux Dames de Saintes (17), de L’École de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE# Auvergne-Rhône-Alpes. S Avec l’aide à la création de la DRAC Nouvelle-Aquitaine. La compagnie Maurice et les autres est soutenue et financée pour son projet par la Région Nouvelle-Aquitaine.

Du jeudi 31 mars au dimanche 17 avril 2022, ma.-sam. 20h30, dim. 16h

Théâtre des Bouffes du Nord - 37 (bis), boulevard de La Chapelle, 75010 Paris

Rés. 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com

Suzanne et Émilie, un court métrage autour d’Orphée et Eurydice. C’est soir de dernière au théâtre et l’on donne Orphée et Eurydice, l’opéra de Gluck. Suzanne est régisseuse de scène et amoureuse esseulée d’Emilie, la cheffe d’orchestre. Le cœur brisé, Suzanne distribue les tops et reçoit les épanchements de ses collègues. Le trio « Tendre amour », extrait de l’opéra de Gluck, accompagne l’héroïne au fil du film. Ecriture & réalisation Hélène Bougy, Jeanne Desoubeaux et Cloé Lastère. Réalisation Hélène Bougy

Court-métrage diffusé les vendredis et samedis à 19h (entrée libre)

TOURNÉE

- les 15 et 16 mars Scène nationale d’Orléans

- du 31 mars au 17 avril au Théâtre des Bouffes du Nord

- du 26 au 29 avril La Manufacture - CDN de Nancy co-accueil Opéra National de Lorraine

- le 3 juin Biennale Là-Haut, Saint-Omer

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