11 Avril 2022
Et si le grand méchant loup était sexiste ? C’est la proposition que fait Mike Kenny dans ce spectacle pour enfants et parents qui met en avant la liberté de l’enfant au sein de la famille et de la société.
« Il était une fois trois sœurs… » L’histoire met en scène une famille comme une autre vivant à la lisière d’une forêt, à ceci près que leurs enfants ne sont que des filles. Bien sûr la fable du Petit Chaperon rouge, vue par Perrault, mangée par le Loup sans le happy end d’être sauvée par les Chasseurs, hante l’imaginaire et les enfants jouent à se faire peur. Parce que braver l’interdit et s’écarter du chemin, c’est classe. Mais ici le conte prend pied dans le réel. Les loups ont envahi l’espace du dehors et il est impossible pour les femmes de sortir sans présence masculine. La mère et ses trois filles se retrouvent cloîtrées chez elles quand le père disparaît. C’est la galère. Elles en sont réduites, pour se chauffer, à brûler tout ce qui peut brûler, meubles et livres compris. L’une des trois filles a alors une idée. Elle se costume en garçon et devient Jimmy…
Le sort fait aux filles et aux femmes
Jimmy est d’abord une histoire de femmes. De femmes contraintes, empêchées – un « modèle » qui appelle, en le transposant, des images du quotidien vécues par certaines familles. Chacune d’entre elles a son propre comportement. Si la Mère accepte la loi de l’enfermement imposé, elle n’en tombe pas moins malade et sombre dans la dépression. Quant aux filles, passé le temps où le jeu les occupe, quelle solution trouver ? L’une lit, l’autre cuisine. Quant à la troisième, elle rue dans les brancards. Devenue « Jimmy », elle prend goût à la liberté de comportement et d’action qui est l’apanage des garçons. Elles vont devoir braver les interdits pour conquérir leur liberté et trouver, chacune à sa manière, le moyen de s’affirmer, avec ce qu’elles sont, face à l’extérieur. Redistribuant les standards de la masculinité et de la féminité, celle qui est devenue « Jimmy » ne se départira plus de la liberté de s’habiller ou de se comporter en garçon, mais en garçon « qui a le droit de pleurer ».
Loup, y es-tu ?
La figure du Loup, invisible mais omniprésent à travers ses grondements qui environnent la maison où les femmes sont terrées, renvoie à la fois au danger qui guette à l’extérieur de la cellule protectrice de la famille et à la figure de l’interdit dont la transgression engendre des conséquences irrémédiables. Entre analyse sociétale et interprétation psychanalytique, il garde toute sa complexité. Braver l’interdit, c’est à la fois quitter le confort de la famille pour affronter une société où l’homme est un loup pour l’homme et en même temps trouver le chemin de soi-même. S’y ajoute et s’y mêle que cet interdit ne concerne que les femmes…
Le jeu du dedans et du dehors
Le dispositif scénique montre ce qui ressemblerait à une cabane de bois – celle que le loup souffle dans les Trois petits cochons ? – dont seule l’armature et la porte, lieu de passage « officiel » vers l’extérieur – l’officieux étant la fenêtre par laquelle saute Jimmy quand il prend son envol – seraient visibles. Au fond, l’espace de la forêt, quand il est éclairé indique la proximité du danger. Enfermées, la mère et ses trois filles se débattent dans un espace symbolique parce que les murs sont invisibles. Ils sont la paroi de verre qui les sépare d’elles-mêmes mais aussi la vitre derrière laquelle le spectateur les voit se débattre, comme des mouches prises au piège qui se cognent contre la fenêtre sans trouver la sortie.
Le père, protecteur et bourreau
Aux chausse-trappes du monde extérieur, aux mesures liberticides à l’égard des femmes et au parcours initiatique à accomplir pour conquérir son autonomie s’ajoute la dimension de la figure du père. Lorsqu’il disparaît, privant la famille de son soutien, il lui donne, paradoxalement, les moyens de s’affranchir de son autorité. Dans le même temps il devient loup, le prédateur liberticide qui rôde à l’extérieur. Mais la pièce ajoute un cran de plus à la ceinture. Si le Loup-Père gronde et inquiète, c’est dans une bonne intention. Il le fait pour protéger sa famille des vicissitudes du monde. On peut alors se demander à qui s’adresse cet amalgame qu’on pourrait résumer en : il-croyait-bien-faire-mais-il-a-tout-faux ? Aux enfants, à qui on essaie d’expliquer que les mesures coercitives des parents partent parfois d’une bonne intention ? Ou aux parents à qui l’on montre les conséquences de leur absence d’écoute et de leur volonté d’imposer leur point de vue ? Au lieu de ramener les relations parents-enfants à des archétypes réducteurs, la pièce les complexifie. On se retrouve dans une auberge espagnole où chacun apporte ce qu’il veut bien. La question qui se pose alors est celle de la lisibilité par les enfants. Les adultes, parents ou enseignants, ont encore un rôle à jouer…
Jimmy et ses sœurs Texte Mike Kenny Traduction Séverine Magois
S Mise en scène Odile Grosset-Grange S Assistant à la mise en scène et voix Carles Romero-Vidal S Avec Marie-Charlotte Biais en alternance avec Emmanuelle Wion, Blanche Leleu, Camille Voitellier en alternance avec Odile Grosset-Grange S Scénographie Marc Lainé S Lumière et régie générale Erwan Tassel S Son Jérémie Morizeau S Costumes Séverine Thiebault S Construction du décor Atelier du Grand T (Nantes) S Création graphique Stephan Zimmerli S Création perruque Noï Karunayadhaj S Administration / production Caroline Sazerat-Richard, Emilienne Guiffan, Mathilde Göhler S Diffusion Caroline Namer, Caroline Sazerat-Richard S Durée 1h10 S À partir de 8 ans S Création le mardi 26 mars 2019 à Lillers (62) S Programmation en décentralisation de La Comédie de Béthune – CDN des Hauts de France S Production La Compagnie de Louise S Coproduction La Comédie de Béthune – Centre Dramatique National des Hauts de France ; La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle ; Le Théâtre de l’Agora à Billère ; Le Théâtre de Thouars – Scène Conventionnée ; l’Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine (OARA) ; Le Théâtre de la Coupe d’Or à Rochefort ; Le Centre Culturel La Caravelle à Marcheprime ; La Comédie Poitou-Charentes – CDN de Poitiers S Bourse à l’écriture dramatique Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine (OARA) S Avec l’aide et le soutien à la résidence de La Comédie de Béthune – Centre Dramatique National ; La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle ; La Ferme du Buisson – Scène Nationale de Marne-la-Vallée S Avec le soutien à la création de La Ville de La Rochelle ; Le Département de la Charente – Maritime ; La DRAC Nouvelle Aquitaine - site de Poitiers ; La Région Nouvelle Aquitaine S La Compagnie de Louise est soutenue pour son projet par La Ville de La Rochelle, Le Département de la Charente-Maritime, La Région Nouvelle-Aquitaine et le Ministère de la Culture – DRAC site de Poitiers.
DIFFUSION 2022
7 > 9 avril 2022, Théâtre 71, Malakoff Scène nationale (92)
28 > 30 avril / Théâtre de la Passerelle, Scène Nationale de Gap, Alpes du Sud (05)
4 mai / Salle Larreko de Saint-Pée-sur-Nivelle / Communauté de Commune du Pays Basque – Urrugne (64)
17 mai / Théâtre de l’Hôtel de Ville de Saint-Barthélemy-d’Anjou (49)