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Arts-chipels.fr

Eldorado 6. Quand le spectacle vivant rencontre la pratique artistique et le public jeune.

Photo Aglaé Bory pour le Théâtre de Lorient

Photo Aglaé Bory pour le Théâtre de Lorient

À Lorient, du 26 au 30 avril 2022, pour sa 6e édition, le Festival Eldorado poursuit son exploration du spectacle vivant dans une forme participative à destination des adolescents et des jeunes. Théâtre, musique, danse, ateliers, animations, images, projets participatifs et rencontres forme la trame très diversifiée de ce festival.

Sur le parvis du théâtre, des tables à tréteaux ont été disposées. Marchands de glaces et de burgers sont en place tandis qu’à l’intérieur la librairie installée pour l’occasion offre BD et livres. Dehors comme dedans, c’est l’effervescence. Toute une jeunesse qui s’active et se déploie au milieu de groupes tout aussi « teen ». Ici les jeunes sont partie prenante du Festival. Non seulement en tant que comédiens amateurs, mais mêlés à l’ensemble de la vie du théâtre et à l’organisation matérielle des activités, chacun évoluant en fonction de sa volonté d’implication, de son expérience, de sa capacité d’autonomie.

Et nos enfants seront des philosophes © Agathe Poupeney

Et nos enfants seront des philosophes © Agathe Poupeney

Des spectacles de théâtre sous le signe de la jeunesse

Qu’ils participent à une création de spectacle et à sa diffusion, qu’ils se fassent force de proposition de spectacles ou participent à leur présentation, ils sont au cœur des choix faits par le Festival, des thèmes privilégiés et de leur lien avec leur culture. La programmation, majoritairement théâtrale mais ouverte à la danse et à la musique, questionne le passage à l’âge adulte ou les grands thèmes qui agitent l’adolescence – l’amour, l’identité, l’engagement politique, la violence, le monde virtuel, l’avenir… Le héros flamboyant et un brin farceur qu’est Robin des Bois, présenté cette année (voir l’article sur ce spectacle en suivant le lien http://www.arts-chipels.fr/2021/09/robins.experience-sherwood.who-is-the-hero-you-might-be-him.html) est l’un des archétypes incarnant la liberté, la lutte contre l’oppression et la justice sociale. Il sera présent au même titre que le thème éternel des amours adolescentes contrariées de la pièce Ne pas finir comme Roméo et Juliette (http://www.arts-chipels.fr/2021/10/ne-pas-finir-comme-romeo-et-juliette.dans-le-labyrinthe-des-certitudes-arretees-rien-n-est-definitif.html). C’est un type de choix analogue qui conduit à la création de Et nos enfants seront des philosophes rois, librement inspiré de Captain Fantastic de Matt Ross, qui oppose deux modèles de société – la vie dans la nature et le monde urbain – et y ajoute le conflit générationnel. Un père élève ses six enfants en pleine nature, à l’écart du monde « moderne ». Mais le vert paradis n’abrite pas que la vision hédoniste de la grande réconciliation avec Mère Nature. Un entraînement physique rigoureux, presque paramilitaire, pompes à l’appui, des séances de tir à l’arc, d’escalade, ajoutées au yoga et à la musique constituent des points de passage obligés, pas du goût de tous, imposés par un père dictatorial. Aussi, quand la mère se suicide et que l’aîné se révolte, il y a quelque chose de pourri dans le beau royaume de la forêt, les cartes se redistribuent et mènent les enfants vers la ville avant qu’ils ne choisissent par eux-mêmes le mode de vie qu’ils recherchent. Réalisé avec de jeunes acteurs amateurs qui affirment déjà pour certains un caractère bien trempé, la pièce reste très schématique. Cela n’empêche pas le public de réagir avec enthousiasme à la présence sur scène de ceux qui leur ressemblent, aux rifs puissants de la guitare électrique et aux percussions qui rythment le spectacle de bout en bout.

Ma vie est un clip © Alain Julien

Ma vie est un clip © Alain Julien

Eh bien, dansez maintenant !

Danse et mouvement sont au cœur des activités de l’adolescence. C’est donc tout naturellement que la danse vient s’intégrer dans le festival. Pas sous la forme d’un spectacle chorégraphique mais sous une forme répondant à la dynamique et au besoin de bouger qui caractérise la jeunesse. Le propos de Marinette Dozeville s’inscrit dans cette pulsion dansante pour soi. Elle laisse au large la danse spectacle pour s’ancrer résolument dans une danse-plaisir, participative. Le public, invité à se déchausser, s’étire et se contracte, alterne danse de l’ours, en frottis-frottas dos contre dos, jetés et mouvements amples, danse sur place et déplacements dans l’espace. Mais la formule est hybride, à mi-chemin entre danse bien-être, lâcher-prise et « démonstrations » – pas vraiment convaincantes – de la danseuse qui vient interrompre les invitations à danser qu’elle formule auprès d’un public ouvert au jeu. Si l’on ajoute les tronçons d’interviews qu’elle nous propose sur le ressenti des gens « ordinaires » lorsqu’ils dansent – s’alléger, se libérer, évacuer le stress, se sentir soi-même – qui s’insèrent dans l’ensemble, on finit par se demander où l’on est. Illustrés par des images qui rappellent étrangement le confinement récent, ces fragments disent, de plus, à peu près tous la même chose sans qu’on en retire quelque chose de plus que du déjà connu. Ni spectacle, ni « gym » collective, ni documentaire, ce happening hybride, traversé de clips dansants, peine à trouver une définition.

Errances © Enzo Berthier-Klapp

Errances © Enzo Berthier-Klapp

Travailler le personnage

Plus intéressante en revanche est la proposition faite par les jeunes comédiens amateurs lorientais sur le thème des Errances dans le foyer du théâtre. Près d’un bar, des sièges ont été disposés en gradins pour le public. Ici s’y racontent des histoires sans histoire qui, par leur définition même, sont des histoires en soi. Nous voici plongés dans l’espace anonyme d’un hall d’aéroport, voyageurs en attente de partir, comme beaucoup d’autres, oisifs, contemplant ce qui nous entoure. Et justement, dans cet aéroport, erre pléthore de personnages qui se croisent, s’observent, s’interpellent parfois au milieu des annonces de vols. Il y a la timide qui tire sur sa jupe. Destinée à devenir cheffe de cabine, elle lutte contre sa nature profonde pour avancer d’une voix tremblante les annonces attendues sur les masques ou les ceintures de sécurité. Il y a celle, armée de son appareil photo, qui traque les passant.e.s avec le projet d’entamer le dialogue, ou une musicienne, tranquillement assise sur son siège, qui passe le temps en pinçant sa harpe. On reconnaît le maniaque précautionneux avec sa petite valise, toujours soucieux que chaque chose trouve sa juste place et que rien ne dépasse ni ne se dérègle, dont la réserve va, bien évidemment, être perturbée par une jeune fille, et bien d’autres encore. Ils passent, vont et viennent, se croisent, continuent de jouer au loin, dans les profondeurs du foyer. Des anonymes capables de se fondre dans la foule qu’on ne reconnaîtrait pas si on les croisait dans un aéroport. Pour chacun de ces « errants », chacun des jeunes comédiens a choisi son personnage. Il lui prête une individualité, un comportement, des mimiques et cet exercice de style de la vie comme elle vient amuse et interpelle le spectateur en lui proposant les images-miroir de son quotidien, lui aussi peuplé de silhouettes sans nom.

Eldorado 6, dans sa diversité et son éclatement, déborde les critères esthétiques qu’on pourrait appliquer au spectacle vivant car son objectif est ailleurs. Auberge espagnole formée de l’agrégat des propositions des forces vives de la cité, il a pour objectif revendiqué d’amener au théâtre un public pour qui ce n’est pas une évidence. De ce point de vue, l’objectif est atteint, dans la bonne humeur, la bienveillance et l’enthousiasme général.

Festival Eldorado 6 - Théâtre de Lorient

Rés. 02 97 02 22 70 www.theatredelorient.fr

Programme

Théâtre Errance - Marie-Hélène Roig - 26 et 27 avril, Grand Théâtre

Théâtre Création - Et nos enfants seront des philosophes rois - Antoine Kahan - 26 et 27 avril, Grand Théâtre

Danse - Ma vie est un clip - Marinette Dozeville - 27 avril, CDDB

ThéâtreRobins – Expérience Sherwood - Le Grand Cerf Bleu - 26 et 28 avril, Studio

Théâtre - La Chanson [reboot] - Tiphaine Raffier - 29 et30 avril, CDDB

Théâtre Cinéma - Ne pas finir comme Roméo et Juliette - La Cordonnerie - 29 et 30 avril, Grand Théâtre

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