14 Mars 2022
Cette plongée dans la culture populaire des années 1960 et 1970, au travers de l'évocation d’une émission d’exception, Discorama, et de son intervieweuse, Denise Glaser, nous plonge aussi dans ce qui constitua notre passé.
Le 4 février 1959 marque la naissance de l’émission de variétés de Denise Glaser, Discorama. En ce temps-là, la télévision n’est pas dans tous les foyers et il faut parfois se rendre chez les voisins pour la regarder. L’émission est animée par Jean Desailly avant que Pierre Tchernia, puis le duo Philippe Noiret/Jean-Pierre Darras ne lui succède et que Denise Glaser, sa productrice, n’apparaisse à l’écran à leur côté en avril 1961. Elle n’inaugure ses entretiens en tête-à-tête, seule cette fois, qu’en février 1963, une illustration emblématique de la place que réserve la société aux femmes – « Les femmes, ça ne travaille pas », dit le pianiste qui accompagne sur scène la productrice lorsque commence l’histoire… Variété commence là...
Une traversée de deux décennies
Sur la scène, une installation limitée à l'essentiel. Sur un fond blanc qui couvre la scène et le fond, comme dans la neutralité d’un studio de télévision, un piano, dans un coin, et deux sièges rudimentaires forment un décor placé sous le regard de projecteurs placés dans les angles. Le passage du temps sera sensible à travers la teneur des entretiens et les détails vestimentaires des personnages. À travers aussi des réflexions qui émaillent le spectacle et viennent rappeler le contexte. Lorsque la pièce commence, 121 intellectuels, universitaires et artistes ont signé un manifeste, titré « Déclaration à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ». On verra passer au fil du temps les grandes questions de l’époque, la shoah, les droits des femmes, mai 1968… jusqu’au « débarquement » par Valery Giscard d’Estaing de l’émission en janvier 1975.
Denise Glaser, un style à part
Dans le paysage de la variété où s’illustre aussi, à la même époque, le Petit conservatoire de la chanson de Mireille, Denise Glaser est une figure à part. Dans ses entretiens les yeux dans les yeux avec les chanteuses et chanteurs de son époque, elle introduit une dimension plus personnelle, plus intime, plus intellectuelle aussi. Sarah Le Picard reconstitue certaines de ses mimiques caractéristiques, cette voix douce, apaisante, qui incite à la confidence, cette manière de faire de ses mains un lien vers l’autre, ce vis-à-vis dont elle explore la personnalité. Nous sommes dans un studio avec, parfois, des reprises nécessaires. On retrouve cette manière inimitable qu’elle avait de mettre en évidence la particularité d’une œuvre, le caractère insolite, par exemple, que revêt le choix du point de vue du cheval dans le poème de Paul Fort, la Complainte du petit cheval blanc, mis en musique par Georges Brassens. Elle donne ses lettres de noblesse à la « variété », définie, par le chauffeur de taxi qui l’emmène chaque fois à la RTF puis à l’ORTF, comme bigarré – ce qu’il sait car il est « cruciverbiste ». Les commentaires hors tournage rappellent en même temps que Jean Ferrat, avec Nuit et brouillard, fut considéré en son temps comme persona non grata par la direction.
Véronika, une chanteuse-symbole
Une femme incarne l’ensemble de la chanson française des décennies 1960-1970. On y reconnaîtra au fil du temps les tendres niaiseries des yé-yé, mais aussi les accents rock, la douceur musicale de Marie Laforêt ou le blues de Barbara, tandis que se dessinent les silhouettes de Reggiani, de Moustaki, de Maxime le Forestier ou de Léo Ferré. Véronika May, d’abord toute jeunette, mix de France Gall et de Véronique Sanson, incarne le côté adolescent, timide, emprunté, balbutiant de ces jeunes chanteurs projetés sur le devant de la scène par la génération du baby-boom avant de prendre de plus en plus d’assurance pour devenir une femme plus libre et sûre d’elle, garçonne cravatée qui affirme sa différence.
Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
On se divertit et on s’amuse de ce « Je vous parle d’un temps… » où, dans l’euphorie des années de prospérité et l’irruption d’une jeunesse bruyante et contestataire, tout semblait possible mais où régnait aussi une censure féroce. Le joli temps passé, s’il charrie de la tendresse et la nostalgie d’un temps où parler le français s’ornait de belles tournures de phrases et d’images ciselées que le spectacle fait revivre, était aussi celui d’une société muselée qui craquait de partout et dont la variété révélait les fissures. Un monde où le mot « populaire », loin d’être péjoratif, représentait une ouverture, assez éloignée des canons contemporains avec leur lot d'interrogations. Aujourd'hui, « Que sont les chansons devenues ? » Et qu'est devenue la culture populaire ?...
Variété - Une création inspirée par l'émission Discorama 1959-1974
S Création Sarah Le Picard S Avec Anne-Lise Heimburger (Véronika), Florent Hubert (Claude), Sarah Le Picard (Denise) S Direction musicale Florent Hubert S Cheffe de chant Jeanne-Sarah Deledicq S Espace et scénographie Chantal de la Coste et Kelig Le Bars S Costumes Pauline Kieffer S Lumières Kelig Le Bars S Régie générale Édith Biscaro S Collaborateur technique Adrien Bonnin S Stagiaire assistant à la mise en scène Samuel Dijoux S Production la POP, Avec le soutien de La Vie Brève — Théâtre de l’Aquarium (résidence et accompagnement), de la MC93 et du Théâtre National De Strasbourg (prêt de costumes) S Création en novembre 2019 à la POP S Durée 1h
Au Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
9 – 27 mars 2022, 20h30, dimanche 15h30
Rés. 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr