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Arts-chipels.fr

Una Madre. Marie la cartésienne.

Una Madre. Marie la cartésienne.

Raconter l’aventure du Crucifié à travers les yeux de sa mère, à la lumière d’une installation sonore qui fait résonner l’histoire de manière contemporaine, forme la matière de ce spectacle complexe et envoûtant.

Jésus a été crucifié et deux hommes se pressent à l’endroit où se cache Marie. Pour lui faire avouer quoi ? Que son fils était le fils de Dieu ? Elle se livre à un long monologue dans lequel elle expose son point de vue. Celui de la mère. Celui d’une mère qui se retourne sur la vie de son fils et en repère les errements.

© Roberta Verzella

© Roberta Verzella

Un espace marqué par la vibration sonore

Dès l’abord, on est saisi par l’omniprésence du son dans le dispositif. Disposées verticalement de chaque côté de la scène, des tables d’harmonie de pianos sont comme des squelettes décharnés d’instruments disparus, des sculptures à la Arman révélant les rebuts d'une société de consommation à outrance ou des vestiges d’un monde en voie de disparition, mais aussi comme des lyres dont on ne peut plus pincer les cordes. Mais ce qui semble accessoire et décoratif ne l’est pas. Sous la lumière apparaît une myriade de fils de nylon qui relient les tables les unes aux autres, les cordes de l’une à celles des autres en traversant la scène. Entre cordes vocales, qui constitueront la matière du récit, et cordes des tables d’harmonie des pianos, cordes et fils définissent l’espace dans lequel se déplacent les protagonistes et donnent le ton.

© Roberta Verzella

© Roberta Verzella

Des voix croisées

L’histoire elle-même se situe au carrefour de plusieurs voix. Il y a celle de l’actrice, Vittoria Scognamiglio qui, enfant, rêvait de partir et qui, devenue adulte, s’installa à Paris pour y devenir comédienne. Il y a les langues qu’elle parle – entre français, italien et napolitain, avec leur musicalité propre, leurs expressions intraduisibles –, emblématiques d'un temps où latin, grec et araméen se côtoyaient et symboles de toutes les langues du monde qui relaieront l’histoire du christianisme. Il y a aussi la voix de la littérature où le spectacle prend sa source : le Testament de Marie, de l’Irlandais Colm Tòibìn où l’auteur se glisse dans la peau de la mère – qui finira divinisée et objet de culte – de celui dont le passage sur terre influa sur le destin de l’humanité, et où il installe une voix de femme dans un récit exclusivement transmis jusqu’alors par des hommes.

© Roberta Verzella

© Roberta Verzella

Le Testament de Marie

C’est dans une langue puissante d’un lyrisme profond que Colm Tòibìn exprime la résistance de Marie. Cette mère qui refuse à son fils les titres et noms dont on l’affuble donne une autre vision de celui qu’on qualifia de Fils de Dieu. Elle dénonce la manipulation qui fit de lui le tribun haranguant les foules, le porte-drapeau d’une faction de jeunes fauteurs de trouble utilisant son charisme, qui n’hésiteront pas à le pousser vers la crucifixion pour faire de lui la victime expiatoire sacrifiée pour le salut de l’humanité. Elle ne dit pas seulement la douleur d’une mère qui voit son fils se détacher d’elle pour prendre son envol, « avoir perdu tout souvenir de ces années où il avait eu besoin de mon sein pour boire le lait, de ma main pour le guider, de ma voix pour l’apaiser et le conduire au bord du sommeil », elle analyse la manière dont, par des tours de passe-passe, on a façonné son mythe pour conclure : « Vous affirmez qu’il a sauvé le monde, mais moi je vais vous dire ce qu’il en est. Cela ne valait pas la peine. »

© Roberta Verzella

© Roberta Verzella

Du son pour des larmes

Enfermé par deux laizes de moquette taupe, l’espace est comme un microcosme où se tissent et s’unissent présent et passé, et où les fils de l’un renvoient aux sources de l’autre. Contraignants pour la comédienne dont les déplacements ne peuvent s’effectuer que dans les interstices, ils font naître d’étranges sonorités venues d’ailleurs, petite musique des sphères dont Alvise Sinivia anime la partition par les mouvements de son corps. Évoluant le long des fils de nylon qu’il frôle, pince, pousse et déforme, le compositeur donne vie aux cadres-cadavres qui délimitent la scène. Geste et son sont ici liés de manière indissoluble et le corps du musicien, devenu archet vivant, répond à cette voix d’outre-tombe qui cherche à se glisser hors de l’espace qui l’enferme pour trouver la sortie, l’échappée belle qui lui rendra sa liberté de parole, très éloignée des dogmes et attendus fixés par l’histoire « officielle ». L’incompréhension entre les générations, symbolisée par cette juxtaposition forcée des cordes humaines et musicales est-elle cependant le caractère premier de leur cohabitation ? La doxa religieuse se heurte-t-elle vraiment au monde contemporain ? N’en est-elle pas plutôt qu’un des aspects ? Et la voix de Marie est-elle si anachronique par rapport au temps présent ? Son « testament » parle de soif d’argent, d’immigration, de manipulation, d’« idoles » fabriquées de toutes pièces et d’un monde qui part à vau-l’eau. Les dérives de la société contemporaine, entre intox et infox, ne sont pas si différentes…

© Roberta Verzella

© Roberta Verzella

Una Madre - Texte d’après le Testament de Marie de Colm Tòibìn

S Mise en scène et dramaturgie Amahì Saraceni S Musique et création du dispositif Alvise Sinivia S Avec Vittoria Scognamiglio, Alvise Sinivia et Eloïse Vereecken S Scénographie Franck Jamin avec la collaboration de Anabel Strehaiano S Lumières Éric Wurtz avec la collaboration de Carlo Mene S Son Clément Hubert avec la collaboration de Renato Baratucci S Costumes Consuelo Zoelly S Adaptation du texte en Italien pour la scène Andrea De Luca, Vittoria Scognamiglio, Amahì Camilla Saraceni S Construction des décors Ricardo Taborelli et Francesco Christini S Durée 1h15 S Création en France au Théâtre 14 du 26 au 30 janvier 2021 S Production Théâtre de Léthé à Paris Collectif 2 plus-France, en coproduction avec ARTINVITA Festival international des Abruzzes-Italie S Première résidence de création en Italie avril/mai 2019 en collaboration avec le Théâtre 14 S Avec l’aide de la SPEDIDAM, du studio de photo-Le Petit oiseau va sortir et du théâtre de la Bastille.

Du 08 mars au 19 mars 2022 - Mar., mer., ven. à 20h, jeu. à 19h, sam. à 16h (sf 13 et 14 mars)

Théâtre 14 - 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris

Réservation : theatre14.fr / 01.45.45.49.77 / billetterie@theatre14.fr

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