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Arts-chipels.fr

Mademoiselle Julie. Huis clos désespéré pour voies sans issue.

© Alain Richard Bellamy

© Alain Richard Bellamy

Élisabeth Chaillou propose de ce drame une version percutante et resserrée où se rejoignent dans une joute mortifère lutte des sexes et lutte des classes.

Un soir de Saint-Jean. Dans cette nuit de liesse où l’on célèbre l’été revenu, on boit plus que de raison et toutes les classes se mélangent. La fille du comte, Mademoiselle Julie, est ivre. Elle se jette à la tête de Jean, le valet de son père, pourtant promis à Kristin, la cuisinière. Dans la cuisine, les trois personnages se croisent, s’affrontent et se déchirent.

© DR

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Une tragédie « naturaliste »

La pièce fut créée en 1889 dans un décor contemporain. Élisabeth Chaillou la déplace à notre époque. Des chaises de bois fatiguées et disparates, une table sans ornement, quelques pièces de vaisselle sur une table à l’écart côté jardin, des casseroles banales, et des bouteilles qui jonchent le sol. Kristin, la cuisinière, et Jean, le valet, échangent sur le comportement peu convenable de Mademoiselle Julie – les maîtres ne devraient pas se laisser aller ainsi – en se référant à la fête qui se déroule à l’extérieur et dont les échos parviennent dans la cuisine chaque fois que la porte s’ouvre. Ils sont fiancés, un mariage devrait suivre. Mais Mademoiselle Julie s’invite dans la cuisine. Impérative, sûre d’elle, consciente de sa supériorité de classe, elle provoque Jean. Elle le veut et elle est la maîtresse. Kristin se retire. Le champ est désormais libre pour un affrontement maîtresse-valet.

© Morgane Delfosse - Hans Lucas

© Morgane Delfosse - Hans Lucas

Lutte des sexes et lutte des classes

Élisabeth Chaillou n’encombre pas le huis clos d’éléments extérieurs. Pas de bois de bouleaux suggérant les pays nordiques, ni d’employés dansant en arrière-fond. Une pièce rendue à son essence, dans un espace restreint, fermé, étouffant où le drame est nu, sans fioriture, où s’affrontent avec une violence croissante les personnages. Car c’est bien d’un combat qu’il s’agit. Julie et Jean, face à face, sont agressifs. Deux fauves lancés l’un contre l’autre dans un combat inégal puisque l’un a barre sur l’autre. Julie, dans sa robe de soirée chic, le martèle. Elle domine et entend être obéie. Jean s’écarte, maintient les distances mais Julie est belle et volontaire. Elle obtient ce qu’elle veut. Mais au lendemain de leur nuit d’amour, le rapport s’est inversé. Domination sexuelle et domination sociale ont changé de main. Le pouvoir est passé entre les mains de Jean. Julie s’est déshonorée, elle a déchu de sa classe et, avec le retour annoncé du comte, la seule issue est la fuite, qu’elle propose à Jean qui la refuse. Ne restera, pour Julie, comme unique solution que le suicide.

© DR

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Entre deux femmes

La mise en scène ne se contente pas de mettre en avant le rapport « maître-esclave ». À travers les attitudes des deux femmes, elle dévoile deux types d’attitude issus de la situation d’oppression des femmes. Si Julie se révolte et rue dans les brancards, Kristin semble se résigner et accepter la loi qui lui est faite. La metteuse en scène ne l’efface cependant pas du paysage. Ce qu’elle ne peut dire, elle le danse et veille, fantôme obsédant, derrière la paroi translucide qui occupe le fond de scène. Son obstination d’ailleurs, l’emportera à la fin. Dans la guerre des sexes que se sont livré Jean et Julie, d’une certaine manière, c’est elle qui gagne, avec sa force tranquille.

© Alain Richard Bellamy

© Alain Richard Bellamy

Un point de vue féminin contre la misogyne de l’auteur

Strindberg n’a pas d’état d’âme pour stigmatiser l’attitude de Julie. Il la dépeint comme un monstre portant une hérédité trop lourde, liée à l’éducation que lui a donnée une mère féministe. Elle lui a inculqué, au plus profond d’elle-même, cette résistance qui lui fait sacrifier honneur et statut social à l’assouvissement de son désir. Une attitude qu’il juge contre nature pour cette jeune femme, cependant élevée en « fille de nature » qui a dû apprendre tout ce qu’un garçon peut apprendre pour être l’égale de l’homme. Mais là où Strindberg dénonce l’émancipation des femmes, Élisabeth Chaillou, sur les traces de Virginie Despentes et de King Kong Théorie, met en accusation le système capitaliste, qui fait porter aux femmes la responsabilité de son effondrement. C’est avec âpreté que Julie se débat dans le tissu de contradictions dont elle a hérité, avec désespoir qu’elle livre un combat qu’elle sait, au fond, perdu d’avance, et qu’elle se révolte. Le drame que portent les personnages dans leur histoire, au-delà de ce que la fable raconte, renvoie à des questions très actuelles qui ont pour nom égalité des chances et égalité réelle des droits entre sexes. Et la jeunesse très lucide et acide des comédiens qui incarnent les personnages apporte un peu plus d’eau au moulin de la contemporanéité de la problématique.

© Hans Lucas

© Hans Lucas

Mademoiselle Julie d’August Strindberg

S Mise en scène et traduction Elisabeth Chailloux S Avec Anne Cressent, Pauline Huruguen, Yannik Landrein S Scénographie et lumières Yves Collet et Léo Garnier S Costumes Dominique Rocher S Réalisation costumes Majan Pochard S Son Madame Miniature S Assistanat à la mise en scène Pablo Dubott S Durée : 1h30 S Production Théâtre de la Balance, subventionné par le ministère de la Culture ; Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne coproduction et accueil en résidence de création ; résidence de création au Théâtre de la Tempête.

Du 29 mars au 02 avril 2022, mar, mer., ven. à 20h, jeu. à 19h, sam. à 16h

Théâtre 14 - 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris

Réservation : www.theatre14.fr / 01.45.45.49.77 / billetterie@theatre14.fr

TOURNÉE

5 avril 2022 - Centre des Bords de Marne - scène conventionnée, Le Perreux

8 avril 2022 - Grand théâtre de Calais

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