28 Mars 2022
Entre l’improvisation et le théâtre, entre la performance et la cérémonie sacrée Sébastien Barrier nous offre son nouveau spectacle comme un cadeau, comme une offrande.
Au tout début, il est debout sur scène derrière un pupitre, la scène noire, seul sa tête est visible et la salle éclairée, déjà ce changement de paradigme nous bouscule d’entrée. Puis petit à petit les choses reprennent leur place si je puis dire, la scène très peu éclairée mais la salle dans le noir. Très peu d’accessoires juste 3 poutres énormes suspendues avec les lesquelles il joue tout le long du spectacle en les disposant à sa guise debout, couchées, obliques comme un autel ou comme un cadre ou plus sûrement comme une croix. Il joue également avec un pupitre et des sons enregistrés comme un instrument en accompagnement de ces propos. ET puis en fond de scène un immense écran, noir au départ qui peu à peu s’anime et s’éclaire pour nous permettre de visualiser un clip / film sur un de ses héros, le groupe Sleaford Mods…
On est dans un moment punk. C’est fouillis, brouillon, désordonné. C’est brut, sans fioriture. Comme un funambule sur un fil tendu entre des pics et des trous, Sébastien Barrier convoque sur scène les héros de son panthéon intime : son père, son fils, le poète Georges Perros, un curé breton et les deux musiciens du groupe de post-punk Sleaford Mods. Et à travers eux, à travers ces hommages racontés, à travers les cinq portraits de ses saints intimes, il est enfin capable de parler de lui, d’évoquer ces moments d’exaltation et de déprime, ses moments de doute et d’allégresse, ces montagnes russes de sa vie d’avant quand il allait moins bien. Car finalement, il parle et se raconte. Il raconte ces moments où il va mieux et peut ainsi parler des autres, avec une volonté de les honorer par ce qui fait du bien, par ce qui fait aller de mieux en mieux. IL parle aussi de lui, de son bipolarisme. Chaque personnage est un coté de lui qu’il met en avant. Chaque héro est une victoire sur lui-même, un révélateur de ses tourments et de ce qui a fait sa guérison.
C’est un récit vivant, c’est un livre d’images, un livre de souvenir aussi. qui mêlent tendresse et ironie. C’est une cérémonie qu’il célèbre avec son public en direct, c’est la célébration de l’instant avec les personnes qui sont là, c’est ce moment-là, ici et maintenant, et cette intimité racontée à des inconnus est le révélateur, le curseur d’émotions qui le porte tout le spectacle.
Sébastien Barrier, est un performeur né. Il vient du cirque avec une formation de clown et je pense que ce qu’il aime vraiment c’est réinventer en direct son spectacle à chaque fois, comme un rituel. Il aime improviser. Les mots qu’il prononce en appellent d’autres et il se laisse happer par ce flot. C’est comme une dérive, un peu comme une descente d’un torrent. On y va en ayant préparé mais sans vraiment savoir ce qui va vraiment se passer, en tant que spectateur assurément, mais aussi, lui comme interprète. Le spectacle se déroule et s’enroule au fur et à mesure de ses émotions. C’est du punk à l’image de ses héros, avec toujours une poésie brute et intransigeante.
Le plus difficile pour lui est de suivre son scénario je pense et de ménager un espace à chacun de ses portraits sans repartir dans un spectacle de sept ou huit heures comme lors de son dernier spectacle « Savoir enfin qui nous buvons ».
Il nous raconte à travers le récit de ses héros son rapport à la bipolarité dans un propos autobiographique, pour décrire et inventer aussi ces moments qui vont mieux par un mélange d’écriture et d’improvisation, par une prise de parole brute, presque sauvage parfois, mais toujours intime et singulière. Bref il nous raconte son chemin pour aller mieux. C’est réinventer, réécrit en live, Il nous livre les bas et les hauts de sa vie de bipolaire qui va mieux. C’est donc l’histoire d’une victoire sur la maladie mentale qu’est cette maladie et c’est la célébration de cette victoire.
Ainsi, Il invente sa propre cérémonie pour « Célébrer le présent », c’est une messe à la vie retrouvée et la joie de vivre cette vie. Et comme toute bonne messe il faut des saints, un rituel et des ouailles. Nous sommes donc là pour célébrer ses saints, ces cinq héros sanctuarisés dans son panthéon privé. Ils sont tous des « survivants » ou presque et le récit tous les soirs doit changer, je pense, en fonction de ces humeurs et de ces envies… Il tisse et retisse son récit autour d’eux et par eux.
Ses cinq héros, ses saints privés, prétextes donc à ce récit, ont tous deux points en commun, l’attachement et le lien fort que leur portent Sébastien Barrier et également le fait qu’ils vont mieux, essentiel et nécessaire pour appuyer le propos et tenir le fil de son récit.
Son père, qui aurait pu être curé, qui souffre de dépression mais qui va mieux. Parler du père est délicat parce qu’il y a des souvenirs douloureux qui remontent, parce que le rapport à son père est compliqué mais là il en parle parce qu’il va mieux et qu’il est aussi un lien avec son fils.
Sleaford Mods, duo anglais de post-punk, composé d’Andrew Fearn et de Jason Williamson dont la musique pourrait être la bande -son de ce spectacle et qui par leur liberté brutale et minimaliste inspire et ravit l’auteur. Ce sont ses idoles pour l’intensité de leur proposition tant musicale que politique et scénographique. Tout dans leur comportement et leur posture l’inspire. Et d’ailleurs, ils sont présents tout le long du spectacle. Et toujours d’après Sébastien Barrier, ils vont mieux parce qu’ils ne sont pas morts, parce que leur excès et leur démesure ne les ont pas tués.
Yves, le curé de Morlaix, prêtre ivoirien, venu en France pour lutter contre la désertification des paroisses françaises, s’était installé à Morlaix et puis au milieu d’une messe devant ces quelques ouailles dispersées il est sorti de l’église et s’est jeté du pont. Il n’est pas mort, il redit la messe, ailleurs, devant un autre auditoire, il va donc mieux. Sébastien Barrier reste fasciné par le passage à l’acte, si soudain, et si radical de cet homme. Il n’en a eu que le récit, il ne sait que peu de choses de lui mais reste fasciné par cet instant décisif où le sort bascule.
Le poète Georges Perros, et là on revient à l’écriture, à l’improvisation, à la liberté dans la création bien sûr mais aussi à son approche du monde et de la vie, à sa manière de travailler, de lier la vie et la création qui fascine Sébastien Barrier. Il admire aussi chez lui sa fidélité en amitié, son rapport à la paresse et son amour du Finistère.
Et pour finir, son fils, tout là-haut sur son piédestal d’enfant, cadeau de la vie, auréolé de sa naïveté enfantine.
Chacun, de ces héros, a un rapport à la vie et à la mort différent mais tous ont choisi d’en finir avec la maladie ou le mal être et de renaître ou naître et d’aller mieux… Chacun a choisi de vivre et non de mourir et c’est en cela qu’ils font partis de son panégyrique. C’est une ode à la vie, c’est une messe, une cérémonie en hommage aux vivants qui ont choisi de ne pas mourir en allant mieux.
Distribution
de et par Sébastien Barrier
régie générale, lumière et vidéo Félix Mirabel
son Jules Trémoy / Jérôme Teurtrie
matelotage et accessoires Matthieu Bony
Merci Elisa, Catherine Blondeau, Gaele Flao, Geoffroy Pithon, Mohammed El Khatib
participation artistique ENSATT
La tournée :
Jusqu'au 2 avril 2022 au Monfort théâtre – Paris
Les 6 et 7 avril au Théâtre national de Bretagne – Rennes