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Arts-chipels.fr

Algérie mon amour, 1953-2021. Une identité qui s’inscrit dans l’histoire de l’art moderne et contemporain.

Sur l’affiche. BAYA (1931-1998), Musique, 1974. Gouache sur papier, 100 x 150 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Sur l’affiche. BAYA (1931-1998), Musique, 1974. Gouache sur papier, 100 x 150 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

L’Institut du Monde Arabe témoigne, au travers d’une exposition-donation de dix-huit artistes, de la vitalité de la création algérienne des dernières décennies. Quand spécificité rime avec mondialité.

Du 18 mars au 31 juillet 2022, trente-six œuvres seront exposées. Choisies par Claude Lemand, qui en est le donateur et le commissaire de l’exposition, elles présentent un éventail de trois générations d’artistes emblématiques de l’art algérien, depuis les derniers moments de la colonisation française jusqu’à la période contemporaine. Au-delà de la simple exposition artistique, cet événement se fait l’écho d’un lien entre l’Algérie et la France qui déborde les origines, les cultures et les religions et qui marqua, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le besoin de liberté qui conduisit l’Algérie à son indépendance et, plus largement, et le signe d'une fraternité de l’art et des artistes qui déborde les frontières.

Abdallah BENANTEUR (1931-2017), Le Hoggar, 1960. Huile sur toile, 100 x 200 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Abdallah BENANTEUR (1931-2017), Le Hoggar, 1960. Huile sur toile, 100 x 200 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Une diversité très grande présentant un éventail très large de styles

L’art algérien, comme l’art mondial, est traversé durant cette période par les mêmes courants, les mêmes tendances et l’exposition s’en fait le reflet. Entre abstraction et figuration, sculpture, installation, photographie, vidéo, les artistes algériens ne se tiennent pas à l’écart des courants qui traversent l’art moderne et contemporain. Des œuvres non figuratives de Louis Nallard, né en 1918, marquées par un cerne noir qui rappellent la facture de Jean-Michel Atlan, jusqu'aux préoccupations sociales et historiques qui animent les tableaux volontairement figuratifs et simples qui masquent un contenu plus complexe d’El Meya, une jeune artiste née en 1988, c’est toute une traversée de l’histoire de l’art des dernières décennies qu’on retrouve. Style « naïf » comme le Jardin des Moines (1977) d'Abderrahmane Ould Mohand ; marqué par le dadaïsme et le surréalisme comme Denis Martinez avec son explosion de couleurs pures ; proche de l’art informel d’un Fautrier comme Abdelkader Guermaz, considéré comme l’aîné des fondateurs de la peinture algérienne moderne, dont le travail presque « aquarellique » réserve au blanc une place particulière ; abstrait comme l’œuvre d’Abdallah Benanteur, à cheval entre Algérie et Bretagne, complètement imprégnée de spiritualité et d’humanisme ; mais aussi marqué par l’abstraction lyrique comme les toiles mouvementées de Mohammed Khadda.

Kamel YAHIAOUI (1966), La Mer des tyrannies, 2020. Installation en matériaux divers, diamètre 420 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Kamel YAHIAOUI (1966), La Mer des tyrannies, 2020. Installation en matériaux divers, diamètre 420 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

L’Algérie et l’exil au cœur

Si un grand nombre de ces artistes vivent, peignent et enseignent en Algérie et si tous ou presque ont fait leur apprentissage en France, d’autres ont choisi, en raison des problèmes politiques de s’installer en métropole. Mais pour tous, la terre algérienne demeure une référence, un arrière-fond omniprésent et obstiné qui éclaire certains choix artistiques, quand elle n’occupe pas le premier plan. Une douleur marque l’évocation matiériste du Hoggar (1960) par Abdallah Benanteur, où dominent les jaunes, les ocres et les rouges, symbole d’une aridité qui est un état d’âme. M’hamed Issiakhem, qui a perdu un bras, déchiqueté en 1943 par une grenade qui a tué deux de ses sœurs et l’un de ses cousins, saisit la dimension tragique de la guerre et fait de la contestation de l’ordre colonial la face indissociable de sa création. Ses portraits de femme, et plus précisément de mères, portent en elles une souffrance palpable. Il les montre de manière saisissante, affrontées à la violence symbolisée par la trace de main ensanglantée de l’artiste ou résistant à l’effacement qui les noie dans la lumière. Dans ses installations, Kamel Yahiaoui donne à son art une visée politique. L’une de ses premières œuvres, On torture des torturés, mettait en scène une répression exercée avec des pratiques similaires à celles qui s’étaient déroulées durant la guerre d’indépendance. La Mer des tyrannies (2020) qui fait flotter des crânes dans un univers de billes bleues au large d’un bateau-plateau de bois, dit sa révolte contre le sort des migrants lancés sur des embarcations de fortune à travers la Méditerranée.

Choukri MESLI (1931-2017), Les Protectrices, 1991. Technique mixte sur carton, 110 x 74,5 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Choukri MESLI (1931-2017), Les Protectrices, 1991. Technique mixte sur carton, 110 x 74,5 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

La réinterprétation de la tradition

Mohand, illustrant en 1996 le poème de Claude Aveline, Portrait de l’Oiseau-Qui-N’Existe-Pas, reprend les motifs géométriques de la céramique, des textiles ou des manuscrits arabes ou persans. D’autres, comme Choukri Mesli, réinterprètent des motifs traditionnels, ancestraux, en mêlant cette prééminence du signe sur la figuration avec des nus de femme pour mettre en avant la question de la place de la femme dans la société. Mohammed Aksouh introduit dans ses œuvres abstraites des signes évoquant les alphabets arabes. Rachid Koraïchi agence sur la toile, dans un chahut d’orientations multidirectionnelles, des caractères arabes qu’il mêle à des calligraphies d’apparence extrême-orientale. Quant à Mahjoub Ben Bella, il emprunte à l’écriture automatique surréaliste, au all-over, à la peinture gestuelle ou à l’expressionnisme abstrait pour former des compositions où le signe prime sur le sujet dans des Écritures peintes qui rappellent le maillage complexe de tapis où la géométrie prime sur le dessin.

Zoulikha BOUABDELLAH (1977), Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019. Dessin original, laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.

Zoulikha BOUABDELLAH (1977), Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019. Dessin original, laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.

Les femmes aussi

L’exposition fait une place non négligeable aux femmes qui prennent place dans le paysage de l’art algérien. Le Cheval blanc (2021), sur lequel chevauche Abdelkader d'El Meya, voisine avec les images colorées de la peintre et sculptrice Baya, propulsée dès l’âge de seize ans au sommet de la notoriété et dont André Chastel rappelait la parenté de style avec Matisse, dans « des images faites de mille petits contes africains, pris dans des arabesques ingénues et des aplats éclatants ». Une joie de vivre, irradiante, qui s’oppose aux photographies d’Halida Boughri dont la série, Femmes dans l’oubli, montre des veuves résignées ayant subi les violences de la guerre d’Algérie. Zoulikha Bouabdellah, elle, cherche de nouveaux supports, utilise la vidéo pour Envers / Endroit (2016), qu’elle développe sur deux écrans, ou recompose à la laque rouge à partir de feuilles de papier assemblées qui dessinent un espace puzzle le sommeil des deux femmes enlacées de Courbet (le Sommeil. Hommage à Gustave Courbet, 2016-2019). Dans cette œuvre qui ne conserve qu’un trait rouge qu’elle laisse couler comme une traînée sanglante, l’artiste souligne la sensualité et le plaisir charnel que contient l’œuvre d’origine.

Halida BOUGHRIET (1980), Mémoire dans l’oubli, 2010-2011. Série de six photographies. Tirage Lambda contrecollé sur Dibon, 120 x 180 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.

Halida BOUGHRIET (1980), Mémoire dans l’oubli, 2010-2011. Série de six photographies. Tirage Lambda contrecollé sur Dibon, 120 x 180 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.

Une réappropriation de l'image féminine

Plus marquées que les hommes par l’imagerie féminine fabriquée par leurs collègues masculins, ces femmes artistes la réinterrogent, en révèlent les artifices. Souhila Bel Bahar réinterprète les Femmes d’Alger d’après Delacroix (1962) dans une palette fraîche et colorée, tandis que Halida Boughriet, dans ses photographies, reprend le thème de l’odalisque allongée dans une version tragique. Âgées, usées, ces femmes abandonnées sur leur couche ne provoquent plus le spectateur mais donnent à voir l’envers du décor. Quant à Zoulikha Bouabdellah, dans la vidéo Envers / Endroit, elle interroge l’image de la femme dans la société à travers trois tableaux emblématiques qu’elle réinterprète sur le rythme lent d’une mélopée arabe : les Trois Grâces de Raphaël, Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs de l’École de Fontainebleau et Olympia de Manet. En délocalisant le récit, en mettant en scène des femmes agissantes, en inversant la représentation racialisée maîtresse / servante d’Olympia, elle introduit la problématique de la place de la femme.

M’hamed ISSIAKHEM (1928-1985), Mère courage, 1984. Huile sur toile, 116 x 81 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

M’hamed ISSIAKHEM (1928-1985), Mère courage, 1984. Huile sur toile, 116 x 81 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Ne privilégiant aucun thème par rapport aux autres, l’exposition donne à voir la diversité et la richesse de la production algérienne. Mais au-delà, elle dit aussi la force contenue dans le syncrétisme qui préside à l’acte créateur. Loin d’un appauvrissement ou d’une perte, les métissages artistiques, qu’ils concernent la France et l’Algérie ou tous les autres territoires de la planète, sont porteurs d’immenses champs d’exploration où se rencontrent les différences et où se renouvelle le monde.

Algérie mon amour. Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021

Commissaires de l’exposition : Nathalie Bondil Directrice du département du musée et des expositions, Eric Delpont, Conservateur du musée de l’IMA, Claude Lemand, Commissaire, donateur et mécène

Artistes exposés : Louis Nallard, Abdelkader Guermaz, M’hamed Issiakhem, Mohamed Khadda, Baya, Choukri Mesli, Abdallah Benanteur, Souhila Bel Bahar, Mohamed Aksouh, Denis Martinez, Mahjoub Ben Bella, Rachid Koraïchi, Mohand Amara, Abderrahman Ould Mohand, Kamel Yahiaoui, Zoulikha Bouabdellah, Halida Boughriet, l Meya

Institut du monde arabe – 1, rue des Fossés-Saint-Bernard – 75005 Paris

Du 18 mars au 31 juillet 2022

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