1 Février 2022
Ce seul(e) en scène autour des relations parents enfants et du passage de l’enfance à l’âge adulte a de quoi réjouir tous ceux qui ont joué ces rôles dans la vraie vie…
Les cadeaux d’anniversaire, c’est d’usage. Mais quand le gentil tonton se ramène avec un tambour, tous ceux qui sont ont été parents font la grimace. Car les enfants adorent faire du bruit et qu’on ne peut plus lire son journal tranquille. Lorsque plus tard, votre fille – puisque c’est ici d’une fille, jouée par un garçon, qu’il s’agit – passe, avec une obstination rare, du petit tambour à la batterie, c’est encore pire. Et voici, cerise sur le gâteau, que l’année du bac, elle décide, appuyée par son professeur de musique, de faire de la batterie son métier, et vous demande de l’inscrire dans une école ad hoc. Cette fois-ci, c’en est trop ! Papa prend la mouche. Fâcherie, rupture familiale e tutti quanti…
Une histoire comme il en est des milliers
Cette histoire, racontée à six mains – celles d’Étienne Bianco, de Guillaume Jacquemont et de Luc Rodier –, on a tous l’impression de la connaître, voire de l’avoir vécue. L’aventure de la petite Zélie, devenue musicienne professionnelle – de rock, bien sûr, pas de classique ! – et dont on retrouve magiquement le journal, pourrait être d’une banalité affligeante. Les vocations tuées dans l’œuf par les « Passe ton bac d’abord » et « Artiste, c’est pas un métier, ça ! » sont légion et chacun, peu ou prou, pourrait y aller de son histoire. Mais celle-ci a quelque chose de plus : l’humour qui la traverse de part en part, et la dynamique que lui imprime Luc Rodier.
Le difficile passage de l’adolescence
Chacun le sait, tout ou presque baigne dans les premières années entre les générations, pour peu que les parents se montrent compréhensifs, pas torgnoleurs et plutôt réceptifs aux idées saugrenues de leur progéniture. Les choses se gâtent dès qu’on atteint l’adolescence. Déjà au collège-lycée, il y a les profs, le prof d’histoire qui vous balance « La Guerre froide, ça donne pas envie de voter à gauche ! », la prof d’anglais bien gentille mais peut-être un peu niaise et bien d’autres – chacun pourrait allonger la litanie selon ses propres souvenirs. Et puis il y a la meilleure copine qui rafle tous les garçons, le beau gosse sur lequel toutes bavent, les attitudes niaises qu’on prend pour draguer – parce qu’on ne sait pas et qu’on voudrait avoir l’air –, les premières clopes, les querelles de coq, les parents qui s’inquiètent quand on tousse – « T’es pas accro, au moins ? » Et les oppositions qui se cristallisent.
Un one man-woman show
Jouer une fille sans sombrer dans les habituels poncifs de mièvrerie des petites nanas accros à la mode couleur rose bonbon est une gageure tant les visions des garçons et des filles sont genrées, et entretenues ainsi par l’air du temps. La pièce réussit avec humour à passer au large. En jouant tous les rôles, avec des changements de ton d’une réplique à l’autre, et les commentaires du conteur sur l’histoire au fil de son déroulement, l’acteur se livre à un exercice de haute voltige aussi distrayant que juste. Il n’est pas jusqu’au vocabulaire employé, caractéristique de chacun des types de personnages, qui ne soit de la partie au fil d’une temporalité marquée par des pluies de confettis et de pastilles de couleur – dorés pour l’été, rouge-jaune pour l'automne, blancs pour l’hiver etc. Mobile, virevoltant, malicieux, le comédien passe de la petite-fille à la mère-grand, du père au technicien de plateau, de la mère aux « copains » d’école. Il se métamorphose, de l’enfant au jeune adulte, comme une chrysalide devenant papillon.
À double détente
Lorsque l’ado grandit, que la fureur de vivre s’est emparée de lui et que vient le moment de la séparation – qu’elle soit harmonieuse ou pas, consentie ou forcée – le burlesque cède la place à une certaine nostalgie. C’est au tour des parents – qui ont lu Dolto et tous les ouvrages de puériculture et de psychologie et essayé de tout faire bien – de se sentir floués – « J’en fais quoi, dit la mère, de cet amour pas donné ? » Et l’incompréhension, parfois, les attitudes revanchardes du style « Ah, tu sais mieux que moi ce qui est bon pour toi, tu veux voler de tes propres ailes ? Eh bien, débrouille-toi. » Mais notre Zélie tient bon. Caissière, elle devient, pour aller au bout de ses rêves – « La vie, c’est pas de la compote, faut mâcher ! » – et résister un sport difficile à pratiquer…
Pour l’amour de l’art
Zélie, c’est la figure emblématique de la passion qu’on éprouve pour tout ce qui ne rentre pas dans les cordes, pour tout ce qui effraie les parents parce que non balisé, considéré comme à risque. L’aventure de cette petite fille, pleine de rock, d’électro et de David Bowie, qui dialogue avec les étoiles et avec sa grand-mère, cuisinière émérite qui mijote dans la casserole de la Grande Ourse, est celle d’un désir si fort qu’il n’a cure de se laisser enfermer ou d’emprunter les sentiers balisés. Un projet dans lequel aimer, au sens le plus fort du terme, est le verbe premier. Si le spectacle emprunte à l’expérience personnelle de Luc Rodier, son propos ricoche chez chacun de nous de manière personnelle, intime. Et si l’on s’amuse beaucoup, si la légèreté reste de mise, la poésie affleure. Jeunes et moins jeunes, présents lors de la représentation ne s’y sont pas trompés. En même temps qu’un plaidoyer très « jeune » et une invitation à vivre ses passions, Grande Ourse est aussi un bel hommage à ce qui réunit acteurs et spectateurs : l’amour de l’art.
Grande Ourse.
S Texte d’Etienne Bianco S Mise en scène Guillaume Jacquemont S Avec Luc Rodier S Conception sonore Colombine Jacquemont S Création lumière Stéphane Deschamps S Durée 1h10 S À partir de 14 ans S Production Compagnie La Guilde. S La Guilde est soutenue par le département des Côtes d’Armor.
Au Théâtre Les Déchargeurs | 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris
Du dimanche 30 janvier au mardi 22 février 2022 à 19h, les lun., mar. & dim.
Réservations : 01 42 36 00 50 www.lesdechargeurs.fr
TOURNÉE
- Le 15 mars 2022 à l'Espace Palante, Hillion (Côtes d'Armor)
- Festival d’Avignon 2022 (à confirmer)