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Arts-chipels.fr

L’homme qui dormait sous mon lit. Dans le meilleur des mondes impossibles.

L’homme qui dormait sous mon lit. Dans le meilleur des mondes impossibles.

Pierre Notte se « lâche » dans cette fable de social-fiction pleine d’une drôlerie acide qui prend sa source dans notre manière d’occulter ce qui nous gêne et nous fait honte dans la réalité. Un pamphlet virulent mais irrésistible.

Sur un plateau nu simplement marqué au sol par des bandes de chatterton, un espace rectangulaire délimité côté cour forme une tache claire. On découvrira par la suite qu’il désigne un lit sans matérialité né de l’imagination de l’auteur. Au centre, seul un tabouret de piano tient lieu de mobilier. Deux personnages vont peupler ce lieu. Il y a la logeuse, tenue recherchée et gestuelle emphatique, volontairement déconnectée de tout naturalisme et l’homme qu’elle héberge, volubile, discutailleur, un peu sautillant, comme agité de l’intérieur. Il a la peau noire et ne cesse de corriger le français parfois approximatif de la dame « chic » qui l’a accueilli chez lui. Il est « réfugié », manière élégante de qualifier le migrant qu’il est. Cela fait deux mois qu’ils cohabitent et l’enfer a des allures de salon mondain à côté des relations qu’ils entretiennent. Il veut du thé, elle lui donne de la boue. Sans relâche, elle lui indique les lames de rasoir enfermées dans le placard.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Un insupportable meilleur des mondes

À mesure que la pièce avance, nous voici projetés dans un monde qui nous ressemble et nous échappe en même temps. L’accueillante, qu’on aurait pu croire désintéressée et bienveillante au départ, a hébergé ce réfugié pour des raisons financières. Et si elle s’obstine à designer l’emplacement des lames de rasoir, c’est qu’elle touchera une prime si « son » réfugié se suicide. Devant la mauvaise volonté dudit hébergé, elle se fait de plus en plus pressante et explicite. S’il ne veut pas du rasoir, il peut toujours, dit-elle, se jeter par la fenêtre. « Je vous pousse si vous voulez », ajoute-t-elle, pleine de sollicitude. Nous voici au cœur de cette fable noire, d’un cynisme grinçant. C’est alors qu’intervient un troisième personnage : celui du médiateur – ou de la médiatrice selon ses options de féminisation. Son rôle est de lisser les relations entre accueillants et accueillis – on doit faire preuve d’humanité, pas vrai ? – mais dans une optique pour le moins particulière. S'il n’est pas admissible de pousser les gens par la fenêtre, rien n'empêche de les inciter à le faire pour se conformer à ce que la société espère et attend…

© Pierre Notte

© Pierre Notte

Une hypocrisie qui déborde de la fable

Les faux-semblants qui masquent la barbarie ambiante, placés dans ce décor abstrait, sont aussi ceux de notre société : un monde d’égoïsme où s’expriment sans vergogne la « supériorité » de « notre » culture et notre autosuffisance, notre peur aussi, de l’Autre, du différent. « Le pire, déclare Piette Notte, c’est le mépris dont on s’arrange », toute honte bue, qui a provoqué le sentiment de révolte de l'auteur et l'a poussé à explorer le pire, à mener jusqu’à leurs conséquences ultimes la logique de nos comportements. Si on rit beaucoup car l’absurdité est portée à son comble, c’est très jaune parce que ça touche juste. Les dialogues sont drôles en même temps que saignants et hargneux, comme si toute la rancœur du monde s’était concentrée sur cet espace nu où ils acquièrent tout leur relief, où leur portée n’est masquée par rien.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Un happy end où le théâtre a sa part

Il n’est pas indifférent que, dans la pièce, la « médiatrice » ne soit pas une professionnelle de l’action sociale mais une actrice. Elle est le révélateur qui commente et souligne les positions et les attitudes des personnages, qui vient se mêler au réel pour lui donner une autre tonalité. Partenaire de la tragédie qui se joue, le théâtre est en même temps celui par qui un décalage s’établit avec le réel, ce qui permet de le mettre à distance pour le comprendre. Pierre Notte achève cette évocation très noire où rire et malaise cheminent de pair par une note optimiste. On retrouve là, après l’homme en colère, la tendresse malicieuse et chaleureuse de l’auteur. La perspective d’une fin heureuse, réconciliatrice reste ici l’apanage du théâtre. On aimerait pouvoir en dire autant de la réalité…

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

L’Homme qui dormait sous mon lit

S Texte, musiques et mise en scène Pierre Notte S Avec Muriel Gaudin (L'Accueillante), Silvie Laguna (La Modératrice), Clyde Yeguete (Le Réfugié) S Éclairagiste Éric Schoenzetter S Arrangements musicaux Clément Walker-Viry S Durée 1h25 S Production Scène et public S Spectacle créé en août 2020 dans le cadre du festival « Un été particulier » au Théâtre de la Ville, Scène et public.

7 – 30 janvier 2022, 20h30 Dimanche, 15h30 — relâches les lundis

Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

Tél. 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr

Tournée

10, 11 et 12 février 2022 Fort de France (97)

2 mai 2022 Coye-la-Forêt (60)

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