20 Janvier 2022
Un homme est poignardé un soir de 14 juillet dans un petit village. Sous des dehors d’intrigue policière, la pièce nous invite à une plongée dans les drames quotidiens du racisme ordinaire.
Dans le petit village de Vezin, Jésus Badin a été assassiné. Il était, avec toute sa famille, la bête noire du village. Sous couvert d’une enquête émergent peu à peu les raisons qui ont conduit à son assassinat. Car le geste du meurtrier n’est que l’épisode ultime d’une longue hostilité qui s’est de plus en plus cristallisée jusqu’à conduire un homme à s’emparer d’un couteau pour le faire passer de vie à trépas.
Au point de départ, un fait divers
L’histoire n’est pas une fiction pure. Elle prend sa source dans un article de journal qui rapporte l’assassinat, un soir de 14 juillet, d’un homme, dans un petit village, quelque part en France. Cet homme pas comme les autres était considéré comme « étranger », un furoncle, un trublion de l’ordre public. Aussi, lorsqu’il est assassiné, le village constitue un comité de défense et de soutien en faveur du meurtrier. Si l’un a tenu l’arme, c’est tout le village, d’une certaine manière, qui a porté le coup. Ce fait divers inspire à Sarah Blamont le désir d’interroger, au travers d’un spectacle, le processus d’exclusion et le communautarisme qui mènent un homme « ordinaire », et derrière lui toute une communauté, à exclure par sa suppression pure et simple l’Autre, le différent, celui dont on a peur.
Récit pour un comédien seul
Sur un sol composé de tracts et de prospectus jetés pêle-mêle sur un plateau que traverse de biais une représentation de route – celle qui sépare les mondes du village de la famille de Jésus – Jérôme Fauvel convoque dans le désordre les protagonistes de l’histoire tandis qu’une voix off rappelle les interrogatoires de police. Il y a la mère, qui ne comprend pas pourquoi ils sont devenus parias, pourquoi on badigeonne sa porte de sang d’animal, pourquoi, après la mort de son fils, elle a reçu un tract signé « Justice ». Peu à peu on remonte dans le temps, trois générations auparavant, à cette famille de gens du voyage qui sont « censés passer » mais qui se sont incrustés. Il est question de chat décapité, de lapins chapardés et tués, prélude à ce qui pourrait se passer avec de petits enfants. « Faut qu’ça saigne » aurait dit Boris Vian sur les traces de ce boucher qui n’aime décidément pas les vegan.
Une responsabilité collective
Aussi, quand un soir de 14 juillet Jésus se met en tête de chanter sur la scène, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Rixe, chasse à l’homme et le geste fatal de l’un des poursuivants. La moitié du village se dresse pour défendre le meurtrier. « Votre fils était un emmerdeur. Fallait qu’il meure », asséneront-ils à la mère. Si l’un d’entre eux l’a étripé, ce n’était que justice, une volonté collective assumée par l’un d’eux. Au-delà de l’acte inique que constitue l’assassinat, c’est l’absence de vergogne, la bonne conscience avec laquelle une justification qui ne s’apparente même pas au « œil pour œil » les lave de toute responsabilité autre que celle d’avoir éliminé un animal nuisible.
L’argument développé par la pièce n’est hélas qu’une des multiples manifestations de ce racisme ordinaire dont les faits divers sont pleins. Reste que cette négation du statut d’humain accordé à tous, quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine, sonne comme un avertissement sur les dérives d’une société qu’on voit se mettre en place insidieusement à travers les prises de position de plus en plus extrémistes qui acquièrent aujourd’hui droit de cité au rang des opinions...
Bête noire de Sarah Blamont
S Mise en scène Jérôme Fauvel S Avec Jérôme Fauvel S Collaboratrice artistique Ariane Heuzé S Concepteur son Raphaël Barani S Scénographie Gala Ognibene S Lumières Arthur Gueydan S Costumes Floriane Gaudin S Durée 55min S À partir de 14 ans S Production Théâtre de Belleville et TerTer Théâtre S Coproduction Théâtre de L’Archipel - pôle d’action culturel - Fouesnant-les-Glénan S Production exécutive, administration et diffusion FAB - Fabriqué à Belleville S Partenaires Le Strapontin - scène dédiée aux arts de la parole - Pont Scorff, Ville de Bagnolet, théâtre des Malassis, À mots découverts - laboratoire vivant de l’écriture théâtrale, Gigors Electrics - lieu d’émulation – Drôme S Texte sélectionné par le comité de lecture tout public des Écrivains Associés du Théâtre - E.A.T
Théâtre de Belleville – 16, passage Piver – 75011 Paris
Rés. 01 48 06 72 34 www.theatredebelleville.com
Du jeudi 6 janvier au jeudi 31 mars 2022, mer. au sam. 19h15, dim. 15h (sf du 2 au 6 fév.)