12 Décembre 2021
Clotilde Rullaud a intitulé son nouveau spectacle « Poésie polyphonique pour 5 musicien.ne.s, 5 danseurs et 1 film ». Effectivement, je confirme on a bien 5 danseurs, 5 musiciens et musiciennes et un film mais ensuite c’est une autre histoire. C’est un peu comme dans Alice au pays des merveilles, car dès les cinq premières minutes on passe de l’autre côté du miroir et on ne répond plus de la réalité. C’est un spectacle époustouflant, concert, danse, cinéma, hors cadre où le rythme nous porte, la musique nous transporte et les images nous provoquent. Les 5 musicien.nes sont excellents car ce spectacle est aussi un concert et un magnifique concert. Et, il est à noter que Clotilde Rullaud est à la voix et à la flûte. Au début du spectacle, on est enveloppé par le son, d’abord comme une vibration, comme une pulsation, ce que Clotilde Rullaud appelle « transe ancestrale et qui doit modifier nos sens et éveiller nos émotions ». Pari parfaitement réussi. Et puis on bout d’un certain temps, les danseurs bougent peu à peu avec des mouvements presque langoureux, s’enveloppant les uns les autres dans une caresse, mouvement universel sans début et sans fin qui s’enroule et se déroule interminablement et ces mouvements tendres, doux, plein d’attention se transforment, se précipitent petit à petit, changent de rythme, évoluent différemment avec une intonation plus rude, plus « viril » et surtout plus hip hop assurément.
La scène est divisée en 4 parties. Le fond avec les musiciens, le plateau avec 3 espaces distincts avec de chaque côté deux énormes structures en métal, sortes d’architectures monstrueuses avec un espace vide entre les deux. Ces deux structures pourraient être d’énormes chaises portant chacune un écran vibratile positionné en hauteur comme un dossier. Ces écrans servent de support aux films projetés dans la dernière partie du spectacle.
Les films et l’exploration du genre
Ces films projetés sont en noir et blanc et sont issus d’un précédent travail de Clotilde Rullaud sur le féminin et le genre. Ce sont des portraits de 7 femmes assez singuliers, chacun caractérisé par une citation d’un auteur tel que James Joyce ou Gérard de Nerval ou d’une femme afghane anonyme. Autant les mouvements des danseurs sur scène sont assez fluides et doux même si une certaine violence parfois se fait ressentir, autant dans ces films qui ne sont joués que par des femmes on est pratiquement à l’opposé. On ne ressent aucune « mièvrerie », aucune douceur. C’est complètement brut, intense, violent, saugrenu parfois, provoquant et à la limite de temps en temps de l’hallucinatoire. Les images sont belles, le rythme colle parfaitement avec la musique et les danseurs. Ces portraits projetés dans la seconde partie du spectacle représentent les femmes et leur environnement, leur empreinte sur le monde où plutôt l’empreinte du monde sur leur vie. On est obligée de s’interroger sur les rapports de domination dans les rapports humains, sur notre environnement et nos comportements.
Ainsi, cette dichotomie entre les danseurs sur scène, habillés de noir et blanc, avec des volants et des froufrous blancs et les femmes filmées en noir et blanc, un peu lointaines et sauvages permet de visualiser et de s’interroger sur notre côté féminin et notre côté masculin que nous avons tous.
Une artiste à part, talentueuse
Clotilde Rullaud met parfaitement en scène et en mouvement toutes ces questions. Et c’est en cela que nous pouvons saluer le talent de cette artiste inclassable. Clotilde Rullaud s’avère être une grande metteuse en scène en plus d’être une musicienne et une vidéaste C’est une touche à tout, une magicienne, une exploratrice plurielle et aussi une artiste internationale qui fait émerger de nouveaux langages artistiques et poétiques. Ses œuvres mélangent la musique, le chant, la danse et les arts visuels sous forme de spectacles, concerts, films. Elle a commencé la flute à 5 ans et donc la musique est une part importante dans toutes ces créations mais son approche pluridisciplinaire en fait une artiste à part.
Ainsi, son moyen-métrage XXY [ɛks/ɛks/wʌɪ] (2018) a été sélectionné dans plus de 30 festivals à travers le monde et a reçu 5 prix et nominations. Son dernier album, A woman’s journey (2016) a reçu 16 prix dont 6 en tant que meilleur album en France et aux USA. Elle se produit en Allemagne, en Australie, au Burkina-Faso, en Chine, en Corée, en France, au Japon, au Luxembourg, en Suisse, à Taïwan, au UK et aux USA.
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Une démarche pédagogique :
En écho au spectacle une exposition jusqu’au 7 janvier 2022 de la plasticienne Anne Mars avait lieu en parallèle et que l’on a pu découvrir en entrant dans la salle. Cette exposition a été faite en lien avec le spectacle et avec des collégien.ne.s qui se sont impliqué.e.s dans ces questions du genre. C’est une harmonie d’ombres et de silhouettes découpées qui jouent avec des phrases enregistrées de ces collégien.ne.s. Une classe était également présente lors de la représentation à laquelle j’ai assistée et j’ai demandé à quelques un.e.s si ils, elles avaient aimé. Et elles m’ont toutes répondu OUI !!! Il faut donc réellement souligner cette démarche pédagogique qui devrait pouvoir être reproduite beaucoup plus souvent. Créer des liens entre le théâtre, les spectacles qui y sont programmés, les questions de société et travailler là-dessus avec une plasticienne et des collégiens et lycéens de la ville en parallèle, n’est pas si courant, et c’est dommage. Ainsi, la culture, le spectacle et la réflexion sur notre société doivent s’appréhender très jeune, doivent faire partie intégrante de l’éducation.
Ce spectacle est une expérience multisensorielle et originale qui fait appel à nos sens oui mais aussi à notre réflexion et cela fait du bien et très plaisir dans ce contexte actuel.
La distribution.
Conception et direction artistique Clotilde
Composition Grégory Dargent en collaboration avec les artistes interprètes
Chorégraphie Mehdi Diouri et Céline Tringali en collaboration avec les artistes interprètes
Création lumière Gérald Karlikow
Sonorisation Céline Grangey
Création des structures métalliques : Reicko - Willy Pierre - Joseph
Création plastique des lanternes transes Anne Mars et la Martiennerie
Création mécanique des lanternes transes Héliobil
Création des costumes des danseurs Iuliia Gulina
Interprétation musicale
Grégory Dargent (Guitare électrique, Synthétiseur modulaire, Fx), Anil Eraslan (Violoncelle, Fx), Fanny Lasfargues (Basse acoustique, Fx), Jean-Louis Marchand (Clarinette basse), Clotilde (Voix, flûte)
Interprétation chorégraphique
Adrien Goulinet (Bboy, House, Hip Hop), Willy Pierre-Joseph (Hip Hop, Dancehall, Afro, Jazz), Laurent Bélot (Hip Hop, Breaking, Contemporain, Capoeira), Edwin Saco aka « Jamsy » (Krump), Djeff Tilus aka Jeff Steel (Breakdance)
Réalisation et montage des films, Vjing Clotilde
Interprétation chorégraphique des films
Marina Chojnowska, Keiko Sato, les danseuses du Shanghai Jin Xing Dance Theatre, Courtney Moreno et Tony Nguyen de la Cie BANDALOOP
Direction de la photographie des films Florent Bourgeais
Conseil en art numérique et multimédia Arnaud Girard
Intervenants Dahara - Kung-Fu des maîtres du Tien Ti Emile Morinière et Lucile Blanc
Production Tzig’Art