4 Décembre 2021
S’inspirant de l’histoire de Natascha Kampusch, maintenue captive près de huit ans et demi par son ravisseur, et de la complexité de leurs rapports, Solenn Denis livre un spectacle fort, parfois à la limite du soutenable, sur ce que résister et survivre veut dire.
Nous pénétrons dans la salle par une petite porte à la lueur d’une lampe de poche tenue par la femme qui nous accueille. Au sol, de la terre battue. Nous arrivons dans un espace fermé par deux murs. Les deux autres murs, ce sont les gradins où le public est invité à s’installer. La porte, on le comprendra plus tard, est celle qui ferme la cave, où ne parvient d'autre lumière qu’artificielle, et dans laquelle le ravisseur, Franz, retient sa victime, Solveig, prisonnière. Un enfermement total, hors du temps. Un espace clos, sans échappatoire possible. Le public se retrouve dans une double position : celle du voyeur et celle de la victime.
Un huis clos dramatique et ritualisé
Il entre, une assiette à la main, avec du jambon et des œufs. Lui, Franz. Il mange devant elle, lui concède parfois quelques bouchées. Il est le maître – c’est ainsi qu’il veut qu’elle l’appelle. Elle joue l’amour – est-ce tout à fait un jeu ? – s’offre à lui qui se refuse, plein de désir. Elle quémande. De sortir. D’avoir au moins une télévision, le moyen de savoir ce qui se passe dehors. D’avoir au moins la radio. Il se laisse fléchir. Mais un mot échappe à Solveig et elle se retrouve, porte refermée dans un claquement successif de verrous, dans le silence, à gratter la terre pour y enfouir de petits restes de ce qui constitue sa vie. Dans cet espace confiné, il y a des règles, telles les leçons à réciter qui montrent qu’on est une bonne fille – c'est elle qui l'a demandé pour pouvoir continuer d'évoluer, avoir une échappée, une brèche dans son enfermement. D’ailleurs, aujourd’hui, elle a essayé quelque chose de nouveau. Elle l’a appelé « papa ». Lui, il refuse de l’appeler par son nom. Il la surnomme Violaine. Lui, qui pourrait être son père, qui l’aime, « vieux, violent, Violaine... »
L’éternel recommencement de la violence
Les jours passent, les mois passent, les années passent dans cet espace où le temps a été aboli. Un éternel recommencement où cependant émergent d’autres moments que ceux des menaces et de l’emprise. Car elle résiste, ne se plie plus aux exigences de son ravisseur, revendique, s’insurge, se met en colère, se révolte. Lui se mue en bourreau, en tortionnaire violent. Le rituel devient insoutenable, monstruosité vécue dans la chair et le viol, la punition de la faim et de la privation. Les mêmes mots, les mêmes situations se reproduisent, avec un crescendo dans l’horreur et dans l’inacceptable. Ils n’ont plus le même sens, révèlent l’autre face, plus nue, plus dépourvue de filtre, de la violence et de la contrainte qui forment le diptyque de la relation des deux protagonistes. De la soumission, Solveig est passée à la révolte, non plus larvée et insidieuse, mais ouverte. Et si elle se plie encore aux demandes de son bourreau, c’est pour parvenir à ses fins : s’enfuir, et retrouver le monde extérieur.
Syndrome de Stockholm ?
L’ambiguïté reste de mise comme dans le cas de Natascha Kampusch, qui a inspiré le spectacle. Car après sa fuite, son tortionnaire se suicide et elle en porte le deuil. Elle lui pardonne même certains de ses agissements, signe d’une forme d’empathie qui rapprocherait son attitude de celle décrite par le syndrome de Stockholm. Cependant dès le départ des signes indiquent le contraire. Solveig, comme Natascha, rachète la maison de son tortionnaire, non pour revivre la lente agonie de son calvaire, mais pour que d’autres n’y perpètrent pas les mêmes horreurs. Elle la rachète pour affronter ses propres démons et trouver le chemin de la liberté. Et la femme qui nous a escortés dans l’antre de la Bête a voulu faire de nous les témoins de ce qui s’est joué dans la séquestration et dans son issue. Dans cet étouffoir angoissant et mortifère où les comédiens se donnent à fond, jouant de tous les registres pour faire percevoir la violence insoutenable de la situation, il peut y avoir une lumière au bout du corridor…
SStockholm. Texte de Solenn Denis (éd. Lansmann, bourse d’encouragement du CNT 2011 et Prix Godot 2012)
S Création collective Le Denisyak & Faustine Tournan S Avec Erwan Daouphars Franz, Solenn Denis l’assistante sociale, Faustine Tournan Solveig, Violaine S Scénographie Philippe Casaban, Éric Charbeau S Lumières Yannick Anché S Création sonore Jean-Marc Montera S Regard chorégraphique Alain Gonotey S Construction décor Nicolas Brun, Stéphane Guernouz S Production TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine – CDN et Compagnie du Soleil Bleu (dans le cadre de la Pépinière du Soleil Bleu-Glob Théâtre) ; en coproduction avec l’IDDAC – Institut départemental de développement artistique et culturel – Gironde, l’OARA – Office artistique de la région Aquitaine, le Glob Théâtre – Bordeaux Avec le soutien de la DRAC – Aquitaine, de l’Adami et de la ville de Bordeaux ; en partenariat avec La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, La Factorie – Val de Reuil ; en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Théâtre de la Tempête – Cartoucherie – Route du Champ-de-Manoeuvre 75012 Paris
du 2 au 12 décembre 2021, du mardi au samedi 20 h 30, dimanche 16 h 30
Théâtre de la Tempête
Infos et réservations www.la-tempete.fr T 01 43 28 36 36