20 Décembre 2021
Dans la droite ligne de l’injonction beckettienne, « Essayer encore. Rater encore, rater mieux », une histoire sans parole qui emprunte à l’art du clown. Pour tous ceux qui n’ont pas encore coupé les liens qui les relient à l’enfance.
Ils ont l’allure de deux cabossés de la vie. Visages blanchis, pansements, cicatrices. Pour tout accessoire, une caisse et une planche en bois, qui s’enrichiront au fil du spectacle d’un escabeau, de deux tréteaux récalcitrants et d’une autre planche. L’un a un caillou dans la chaussure. Chaque fois qu’il l’évacue, le caillou semble animé d’une génération spontanée. Il repousse dans la même chaussure, et ainsi de suite. L’autre porte un bandage autour de la tête dont une partie lui tombe sur les yeux, ce qui l’embarrasse grandement, surtout lorsqu’il a les mains occupées. Il souffle dessus et la chasse mais elle revient. Obstinément. Le ton est donné. Tout va de travers dans les occupations que se proposent sans se décourager les deux compères.
Une histoire sans parole, ou presque
Ils sont hyperactifs, nos deux personnages. Ils parlent par borborygmes et onomatopées sauf de temps en temps où une phrase poncif sort toute finie de leur bouche… Avec une allure à la Charlot dans les virages soudains qu’ils prennent sur la scène, avec leur visage impassible à la Buster Keaton même lorsque les pires choses leur arrivent, ils auront, bien sûr, un compte à régler avec les objets. Extraite du banc devenu caisse, une cafetière surgit. Mais comment faire un café quand on n'a pas de café ? Et comment brancher la cafetière, où trouver une prise ? Celle-ci est hors de portée, au plafond. Les voici lancés dans la recherche frénétique d’un moyen d’accéder au plafond qui multiplie chutes et gags. Manger un petit bout ? une boîte de conserve sort magiquement du banc-caisse de nos deux clochards. Mais comment faire pour l’ouvrir, surtout lorsqu’on n’a pas d’ouvre-boîte ? Ils s’échinent, cherchent en vain à utiliser ce qu’ils ont à portée de main, rivalisent d’inventivité face au public qui a vu, lui, que la boîte disposait d’un système d’ouverture intégré. Mais même lorsqu’ils auront trouvé la languette salvatrice, ça n’ira pas non plus…
Une utilisation détournée des objets
Les cailloux deviennent grains de café dans un moulin électrique transformé en balise clignotante, qui évidemment ne fait pas son office, un stéthoscope, fabriqué avec un bout de ficelle, permet d’ausculter une semelle de chaussure devenue poitrine, les planches deviennent balançoire, contrepoids et ouvrent la voie à des équilibres plus qu’hasardeux. Nos deux compères se croisent avec de longues planches qui se frôlent dans un ballet dont un attend un choc qui ne vient pas, se livrent à des acrobaties périlleuses, incertaines, en tremblotant, avec un acharnement gaguesque qui donne son nom au spectacle. Pour peu qu’on se laisse aller au non-sens généralisé qui gouverne ce spectacle, on s’amuse beaucoup. Tenir un spectacle entier, avec une histoire qui n’en est pas une tout en proposant des variations autour du thème du ratage qui mènent à une forme de fin et pas seulement une suite de numéros comme au cirque est une gageure. Pari réussi pour nos deux clowns qui nous entraînent dans un pays où un chat peut être tout autre chose…
Les Acharnistes
Conception Jean-François Maurier, Rafael Batonnet Mise en scène : Jean-François Maurier Co-écriture et jeu Michaël Périé, Rafael Batonnet Lumière Thomas Delacroix Mobilier/accessoires Adrien Alessandrini Choix des défroques Nadia Léon Photos Dominique Chauvin
Au Lucernaire – 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris
Du 1er décembre 2021 au 2 janvier 2022 à 19h
Rés. 01 45 44 57 34 ou en ligne