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Arts-chipels.fr

Là où tu es. Vivre avec nos morts.

Là où tu es. Vivre avec nos morts.

Nos sociétés occidentales ont une manière particulière de traiter la mort : ils l’évacuent, la taisent, la masquent sous des oripeaux fleuris. Brigitte Barbier choisit de ne pas occulter ceux qui ont disparu et nous montre sa manière de vivre avec eux…

Une femme a perdu son fils. Nous ne savons pas de quoi il est mort – on nous parle de maigreur et de cheveux qui se détachent par touffes – mais dans le même temps les informations débitent sans discontinuer des annonces catastrophiques. Nombre de disparus en constante augmentation, effondrements divers, êtres ensevelis sous les décombres qui forment comme une toile de fond morbide à un deuil, personnel. Camille parle de la perte, du manque qui se manifeste, de la douleur. D’une voix presque monocorde, légèrement saccadée, le corps bloqué, elle dit la difficulté de trouver le chemin vers celui qui a disparu et dont le temps efface peu à peu la trace. On cesse de porter le deuil, on recommence à sourire, à s’habiller de couleurs vives, la douleur s’atténue. Pourtant la mémoire demeure et c’est ce chemin qu’elle choisit de d’adopter, contre l’oubli.

© Alain Miquau

© Alain Miquau

De musique, de danse et de texte

Le texte n’est qu’un long monologue, une réflexion intérieure, un rêve en dedans que poursuit Camille d’une voix neutre et avec une gestuelle limitée, encadrée. Pendant qu’elle se bat à coup de phrases contre la néantisation de celui qui est parti, remplissant son carnet de notes accumulées, l’enfant mort continue de se manifester, de revenir hanter le monde des vivants. Il déploie, dans l’ombre tandis qu’elle parle puis dans une lumière bleue, irréelle, dans les intervalles que laisse la parole, une belle et étrange chorégraphie muette, toute en liés et en déliés, en lents mouvements serpentins qui transforment le corps en une liane sans cesse en mouvement. Il ondule, assemble ses mains pour les disjoindre, roule, se déplie et se contracte dans une manière de break dance hip hop qui aurait renoncé à la rapidité et à l’urgence pour développer une gestuelle libératoire et intérieure. L’opposition des deux mondes, soulignée par la l’éclairage, cessera d’être lorsque Camille, au bout de sa douleur, aura compris que la mort ne doit pas être le repoussoir, la frontière infranchissable entre les vifs et les disparus, mais qu’elle s’apprivoise.

Comme pour un certain nombre de pièces à l’heure actuelle, la fonction cathartique, libératoire, pour l’auteure constitue le fondement du spectacle, même si elle s’est enrichie des réflexions qu’elle a recueillies sur les formes de dialogue avec les morts utilisées par d’autres pour un documentaire réalisé en 2015. Cette catharsis est si présente qu’on peut se demander si la thérapie que la pièce offre a valeur pour d’autres… Nous avons tous nos morts, que nous gérons comme nous pouvons, et il n’est pas sûr qu’un mode d’emploi qui cite Alan Kardec soit un véritable recours…

Là où tu es

S Écriture et mise en scène Brigitte Barbier S Avec Coralie Émilion-Languille et, en alternance, Bouziane Bouteldja ou Naïs Haidar S Musique Arnaud Vernet « Le Naun » S Lumière Nicolas Sand S Collaboration artistique Eva Rogow.

Manufacture des Abbesses – 7, rue Véron – 75018 Paris

Du 5 janvier au 12 février, du mercredi au samedi à 19h

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